Les 20, 21 et 22 avril 2012, lors de la première édition des Rencontres tënk à Tamatave (1), Madagascar, des réalisateurs de l’océan Indien ont eu la possibilité de présenter leurs projets à des producteurs et diffuseurs. Pour certains, ces rencontres ont abouti à des projets concrets.
L’association Ardèche Images a mis en place, depuis quelques années, en Ardèche mais aussi en Afrique, des formations à l’écriture, à la réalisation et à la production de films documentaires d’auteur, considérant qu’il est indispensable que les Africains puissent se réapproprier les images de leur société, réalisées bien souvent par des étrangers.
Une fois formés en résidence d’écriture ou en master, encore fallait-il que ces jeunes réalisateurs et réalisatrices du Sénégal et d’ailleurs puissent produire leur projet de film. Ainsi, le programme Africadoc, rattaché à Ardèche Images, a mis en place des rencontres de coproduction qui ont été appelées tënk. Il s’agit d’un mot wolof qui a été choisi pour distinguer ces rencontres des pitches (2) de certains grands festivals.
En effet, lors d’un tënk le réalisateur a le temps de convaincre un producteur ou diffuseur de parier sur son projet de film.
Après l’Afrique, les activités d’Ardèche Images se développent dans les Balkans et dans l’océan Indien avec les programmes Eurasia Doc et Doc OI. Dans ce cadre a eu lieu la première édition des Rencontres tënk de coproduction de Tamatave les 20, 21 et 22 avril 2012, sur la côte est de Madagascar.
Et ce fut une première expérience concluante pour une réalisatrice réunionnaise, trois réalisateurs/réalisatrices mauricien(ne)s et six réalisateurs/réalisatrices malgaches qui ont présenté à des producteurs et diffuseurs venus de l’Océan Indien et de France leur projet de 52 minutes.
Ces projets seront produits dans le cadre de la collection de films documentaires de création nommée Lumière de l’océan Indien. Il s’agit d’une collection fondée sur une charte équitable de coproduction et un partenariat de diffusion non exclusif avec Lyon Capitale TV.
Les producteurs malgaches et mauriciens vont coproduire les films de cette collection avec des producteurs français ou réunionnais. Comme le système de coproduction favorise les Français qui ont accès à davantage de financements et sont, en contrepartie, dans l’obligation d’en dépenser une part non négligeable en France ou pour des techniciens français, l’association Lumière du monde à laquelle adhèrent ceux qui produisent des films de cette collection veille à une valorisation du travail accompli par le producteur malgache ou mauricien. Ainsi, ces derniers seront obligatoirement détenteurs d’un minimum de 40 % de la propriété industrielle de l’uvre.
Les projets présentés oralement lors de ce tënk avaient fait l’objet en amont d’une résidence d’écriture à Tamatave financée par la région Rhône-Alpes encadrée par Jean-Marie Barbe et Sophie Salbot.
Ils étaient tous très différents : des projets pour la plupart très personnels même si le réalisateur se met rarement en scène à l’écran, à moins que ce ne soit à travers des échanges oraux avec ses personnages ou par sa voix off.
Nombre de projets sont traversés par la question des risques liés à la modernité. C’est le cas notamment du projet du Mauricien Vivek Beergunnot sur une famille de musiciens rodriguais : cette famille cherche une place pour la musique traditionnelle qui se folklorise pour les touristes. De même, le projet du Tamatavien Gilde Razafitsihadinoina consiste à faire découvrir la vie de son village où l’argent de la pêche aux langoustes implique un changement de murs : un projet que les producteurs se sont presque disputé. Érika Etangsalé souhaite aussi remettre en question cette quête de réussite et d’argent que les sociétés occidentales nous donnent pour modèle, et ce, à travers l’expérience de son propre père qui est né à la Réunion et a émigré en métropole dans des conditions assez particulières.
Ces cinéastes, plus ou moins expérimentés, nous proposent leur regard sur l’Histoire et leur société : un regard singulier sur des questionnements identitaires avec pour toile de fond une inquiétude face à l’avenir.
À ce titre, le projet du réalisateur malgache, Alain Rakotoarisoa est très représentatif des préoccupations de la plupart des participants. Il a raconté comment « Rendala a quitté, avec sa famille, sa forêt natale et le reste de sa communauté des Mikea pour s’installer quelques kilomètres plus loin, dans le village de Antrafitsazo. Fortement encouragé par un programme du PNUD de protection de l’environnement et attiré par le monde moderne, il a renoncé à sa vie en forêt faite de chasse et de cueillette. Mais cinq ans après, son constat est amer. Ni l’eau, ni le centre de soin, ni l’école pour les enfants ne sont réellement au rendez-vous. »
Ce projet a particulièrement plu aux programmateurs des chaînes publiques de l’océan Indien invités par Canal France International (représentants de la TVM, de l’ORTC et la MBC). Ainsi, ils l’ont choisi pour bénéficier d’un pré-achat de CFI.
De plus, Alain Rakotoarisoa a été également récompensé aux RFC 2012 (Rencontres du Film Court) d’Antananarivo par un zébu d’or dans la catégorie documentaire pour son film Brebis galeuse. Ce véritable film d’immersion dans la vie d’une famille des bidonvilles d’Antananarivo devrait faire le tour des festivals du monde en attendant la production de son 52 minutes, Mikea.
Un autre réalisateur malgache, Lova Nantenaina, a également reçu un zébu d’or dans la catégorie diaspora de ces mêmes RFC et présenté un projet de film documentaire à Tamatave. Le prix reçu pour ce court-métrage de fiction (où se mêle l’insouciance des jeux d’enfants à la dénonciation d’un système politique fondé sur l’argent) n’est autre qu’un pré-achat de CFI pour son prochain film. Ainsi, deux documentaires malgaches seront diffusés sur de nombreuses chaînes de l’Afrique francophone grâce au travail de CFI, partenaire des RFC et des rencontres tënk de coproduction de Tamatave.
De plus, le directeur de la RTA, chaîne privée malgache, a montré un grand intérêt pour les différents projets : les Malgaches pourront donc découvrir cette collection en 2013-2014 à la télévision.
Mais les perspectives pour le cinéma documentaire malgache ne s’arrêtent pas là car, suite aux deux premières résidences d’écriture de Tamatave, six Tamatavien(ne)s bénéficient d’une formation lors d’un atelier de tournage et montage de leur projet de films de 26 minutes Certains ont participé au tënk bien que leur projet ne concourait pas pour une place dans la collection Lumière de l’océan Indien. En effet, ces six films devraient constituer une autre collection de 26 minutes : Tamatave en Doc.
Rendez-vous donc d’ici un an ou deux pour découvrir ces seize films documentaires de l’océan Indien ainsi que deux projets plus créatifs et/ou plus ambitieux qui ont été travaillés en résidence d’écriture : Mongozi de Mohamed Saïd Ouma, un voyage historique et actuel dans la société comorienne et Dann fon mon ker de Sophie Louÿs un autre voyage en poésie réunionnaise. Ces deux films devraient être produits dans un autre cadre (filière long ou court-métrage cinéma). Ainsi, pour cette première édition, tous les films travaillés lors de cette résidence d’écriture devraient trouver leur chemin vers la production.
En outre, l’organisme gouvernemental malgache pour l’audiovisuel et le cinéma,Tiasary, a été représenté lors de ce tënk par son directeur et divers membres de l’équipe. D’ailleurs, un temps a été trouvé entre les responsables de Doc OI et de Tiasary pour évoquer une coordination de leurs activités et la création à long terme d’un fonds de soutien pour le cinéma malgache. Pour la prochaine résidence d’écriture de Tamatave, Tiasary relaiera l’information concernant les démarches à suivre pour déposer sa candidature.
Les formateurs de la résidence font le recrutement à partir d’un dossier présentant le projet de film documentaire et contenant un résumé, une note d’intention et/ou un synopsis de deux à dix pages, un CV et éventuellement un film déjà réalisé (mais les débutants ont aussi leur carte à jouer). Le groupe doit être composé de Tamataviens, de Malgaches des autres provinces, et d’habitants des autres îles de l’océan Indien. Les candidatures féminines étant moins fréquentes, les filles sont appelées à tenter leur chance pour offrir leur regard sur le monde. Les projets comportant une dimension subjective et créative sont privilégiés.
Et quand les premiers films verront le jour, l’association Asa sary Prod de Tamatave, récemment créée, sera le relais de diffusion du documentaire de création dans la région.
Dans la collection Lumière de l’océan Indien :
Projets de la Réunion :
Lèv la tèt dann fé nwar de Érika Étangsalé
Projets de Maurice :
Baté tambour de Vivek Beergunnot
La part de Gertrude de David Constantin
Le vertige de Joëlle Ducray
Projets de Madagascar :
Vazaha de Philippe Gaubert, réalisateur habitant Tamatave
Langoustes de Gilde Razafitsihadinoina, réalisateur habitant Tamatave
Taxi be de Randriamananjo Manohiray
Une salle obscure de Rita Andriamoratsiresy
Avec presque rien de Lova Nantenaina
Mikea de Rakotoarisoa Alain
Dans la collection Tamatave en doc :
Au temps des litchis de Julie Anne Melville
Les enfants de la périphérie de Herménégilde Razafitsihadinoina
La maison bleue de Philippe Gaubert
Campus B5 de Mohamed Ali Ivesse
Docteur Informatique d’Yvan Fabius Soulafy
Todisoa et les pierres noires d’Andrianaly Michaël
1. ancien nom de Toamasina
2. au cours d’un pitch, un réalisateur dispose d’un temps très court, de l’ordre de quelques minutes, pour présenter son projet et convaincre un producteur///Article N° : 10729