Lors d’un troisième forum de la mission de préfiguration le 16 mars 2004, le rapport à présenter au gouvernement fin avril a été présenté, analysé et critiqué par les associations présentes. Le » musée de l’immigration » est en bonne voie mais n’est pas sans soulever de nombreuses questions.
Qui s’en étonnerait ? Le sujet est sensible et la très large consultation organisée par la mission présidée par Jacques Toubon et organisée par l’ADRI auprès de près d’une centaine d’associations (dont une soixantaine ont participé aux forums) ne pouvait que déclencher de vifs débats.
C’était le but : écouter chacun, tenir compte des courants et des visions, fusionner les propositions, développer une synergie. A ce niveau, l’objectif est atteint : le rapport final est de bonne tenue, et l’on y sent la synergie de la concertation.
Voici que depuis six mois les associations actives sur les questions d’immigration sont face à un grand projet qui les concerne au plus haut point : elles tentent de cerner leur rôle dans ce qui leur semble être une grosse machine à la fois redoutable et nécessaire, s’inquiètent pour leurs financements, cherchent à se positionner en partenaires parfois critiques.
Un musée ? Plutôt un centre de ressources et de mémoire. Il y aura certes des salles à visiter mais sa définition est moderne afin de résoudre le fait de devoir rendre attractive une Histoire tragique. Jacques Toubon affiche un discours rarement entendu à droite comme » Le Français n’existe pas » (au sens où il est toujours le produit d’une migration, même lointaine). Il s’agit de reconnaître l’apport de l’immigration dans la construction française et de le populariser. Installation permanente mais aussi expositions temporaires thématiques, centre de documentation, archives de l’Histoire de l’immigration, une grosse place laissée au multimédia et à l’internet pour l’accès aux contenus et la mise à disposition de bases de données : tout cela pour montrer l’enrichissement continu de la culture française par l’apport de l’immigration.
Premier obstacle à résoudre : le lieu. Dans la conception de la mission Toubon, pour ne pas dévaloriser son sujet, il doit être parisien et prestigieux. Cela n’est pas sans évoquer le débat autour du projet de Maison de l’Afrique noire à Paris : centre culturel de prestige à l’image de l’Institut du monde arabe dans la conception d’Olivier Poivre d’Arvor, président de l’AFAA (cf. sa tribune libre dans Libération du 12 décembre 2002, à lire dans un murmure sur notre site) ou centre de ressources en banlieue pour les artistes en lien avec la diaspora dans celle de l’association créée dans ce but à St Denis. Or, les bâtiments publics vacants sont rares à Paris. La Bourse de commerce située près des Halles était idéale, centrale et dans un lieu largement fréquenté par les jeunes immigrés, mais la Chambre de commerce n’est pas prête à la lâcher. On se replie donc sur le Musée des arts africains et océaniens de la Porte Dorée, bâtiment problématique s’il en est : édifié en 1931 comme centre de la plus grande exposition coloniale, son architecture et ses fresques dorées font de lui une mémoire de l’histoire coloniale plus que de celle de la migration. Il serait le lieu désigné pour un musée de l’Histoire coloniale qui manque encore à l’appel.
On voit ainsi poindre l’inévitable contradiction d’un projet qui cherche à conforter une vision positive de l’immigration pour faciliter son intégration mais qui se trouve confronté à la véracité historique qui n’est guère en l’honneur de l’Etat français. On risque de construire un nouveau mythe style nation arc-en-ciel où ne soit pas clairement pris en compte le vécu d’exclusion des populations immigrées mais aussi la difficile articulation du rapport entre les communautés.
Le grand avantage du projet tel qu’il est défini est cependant de ne rien figer : rien ne l’empêche d’effectivement prendre en compte ces contradictions, de concevoir ses expositions, médiathèque, activités et colloques comme des lieux de débat ouvert. La volonté semble réelle de ne pas s’enfermer dans des discours convenus et la mobilisation du réseau associatif lui-même traversé de multiples expériences et visions en est un signe.
Le sens d’un tel mammouth central est d’avoir les moyens de faire évoluer au niveau global les représentations. Il ne cherche bien sûr pas à se substituer aux associations privées ni à la politique de la ville : c’est avant tout un projet culturel.
Mais c’est justement la question des moyens qui inquiète ces mêmes associations : destiné à être un Etablissement public administratif dès 2005, le musée risque de pomper des fonds nécessairement mobilisés auprès des ministères concernés : Education nationale, Culture, Recherche, Affaires étrangères
Prévu pour être de 7 millions d’euros en rythme de croisière, le budget de fonctionnement du musée financera pour un million les associations qu’elle choisira comme opérateur sur ses projets, avec une attention portée à la décentralisation. La relation sera contractuelle : non celle d’un subventionneur mais d’un partenaire.
De la capacité du musée à se laisser orienter par l’expérience des associations dépendra sa pertinence et son avenir. De son ouverture à mettre à disposition du public les éléments des débats qui rendent compte de la complexité des problématiques migratoires dépendra la cohérence de sa démarche : les revues qui sont depuis toujours les véritables laboratoires de la pensée sont à cet égard essentielles.
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