Ruddy Sylaire est un habitué de la Chapelle du Verbe Incarné. Il y a déjà présenté Opéra pour une mangrove rebelle en 1998, puis Nègrerrances de José Pliya en 2000 et le voilà de retour pour cette saison avec une adaptation du Prophète de Khalil Gibran. Une gageure à vrai dire, car on pourrait croire ce texte très philosophique et surtout très méditatif, voire réfractaire à tout passage à la scène. Rien de tel en fait, Ruddy Sylaire a trouvé les entrées, les failles dramaturgiques d’un long poème pour nous y faire pénétrer par les voies du théâtre. Et c’est à un véritable voyage sur la mer des émotions et des angoisses humaines qu’il engage toute voile dehors, tendant dès l’ouverture du spectacle un grand drap entre les spectateurs et les actrices-hôtesses du voyage, un grand drap destiné à amortir peut-être notre chute, car ce voyage est bel et bien une descente comme celle d’Alice dans le puits, loin de nos habitudes, de nos faux semblants, de nos idées reçues, de nos artifices et de nos superflus, c’est une entrée en profondeur. Tour à tour plate ou tendue, flasque ou gonflée, déployée ou empaquetée… voile de navire au milieu de l’océan, toile de tente au milieu du désert, drapé de sculpture, fantôme, linceul… la toile qui se tend et se détend entre les deux comédiennes est celle de la parole, un tissu ou peut-être un tissage de mots qui construit une relation pleine. Bravo à ces deux remarquables actrices dont la présence au plateau est assez intense pour donner vie et chair à cette pensée.
Chapelle du Verbe incarné
Production : Compagnie Les Enfants de la mer (Martinique)
mise en scène et adaptation Ruddy Sylaire
Chorégraphie : Josiane Antourel
Costumes : Phe
Avec Amel Aïdoudi et Yna Boulangé///Article N° : 2384