« Le questionnement des artistes à qui l’on demande des réponses toutes faites ».

Débat avec Newton Aduaka et Émile Abossolo Mbo à propos de One man's show

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Newton Aduaka est venu présenter son dernier film One man’s show en compagnie de son acteur principal Émile Abossolo Mbo au festival des films d’Afrique en pays d’Apt de novembre 2012. Débat de fin de séance avec la salle, animé par Olivier Barlet :

Voici un rythme devenu rare au cinéma, qui ouvre à la profondeur. La bande-son est très travaillée. On entend le bruissement des parquets, le bruit des choses, qui participent du rythme global et forgent l’homogénéité. Comment avez-vous travaillé ce film ?
Newton Aduaka
 : C’est un film bizarre car il est improvisé mais avec quand même un scénario. Est arrivé un moment où j’ai voulu me débarrasser du scénario pour prendre une situation qui est commune au monde des adultes. J’avais d’excellents acteurs et nous avons passé quatre semaines à chercher ensemble le sens des choses. C’est le premier film que j’ai monté moi-même depuis l’école de cinéma, il y a vingt ans ! Je me sentais désillusionné face au cinéma et ce film m’a ramené au cinéma. Je voulais faire un film qui rende justice à la gravité des choses : la vie va trop vite. J’ai passé six mois sur le montage, enfermé dans mon appartement, 16 heures par jour : je retournerais à l’école de cinéma pour retrouver l’esprit artisanal. Chaque détail, chaque cadre… À l’école, on nous dit de choisir ce qu’on veut mettre dans le cadre : choisir l’ambiance, choisir la musique. C’était très frustrant mais très fort car ça me ramenait à mes débuts.
La trame du film est simple mais entre les personnages se joue des tensions de compréhension ou d’opacité qui déclinent aussi les questions interculturelles puisqu’il y a la Maghrébine, l’Européenne et la Noire.
Newton Aduaka
 : Je voulais présenter la société telle que je la vois, avec les images et les dialogues que nous partageons tous. Cette imagerie et ces symboles sont universels. Et je voulais les références musicales en mode mineur. Mettre tout ce subconscient sur un écran ne pouvait se faire qu’en revenant aux fondamentaux du cinéma.
Vous dédiez ce film à Fanon, pourquoi ?
Newton Aduaka
 : C’est le seul qui pourrait décoder le caractère du personnage principal ! (rires)
La renaissance, puis l’enfer, puis le paradis, mais le paradis s’arrête bien vite : on passe au générique !
Newton Aduaka
 : Le paradis, c’est la scène ! Le jeu, une nouvelle chance ! On recommence !
Cette structure est-elle là au départ ou s’est-elle peu à peu imposée ?
Elle s’est imposée au montage. Je l’ai empruntée aux états de l’esprit humain dans la Divine comédie de Dante, mais j’ai ajouté la naissance.
Il est difficile de ne pas comparer le film à Aujourd’hui d’Alain Gomis, qui se situe lui aussi au seuil de la mort et où l’on retrouve Aïssa Maïga. L’enfant est présent dans les deux films, d’où la naissance qui semble intervenir comme un cycle vers lequel on revient.
Newton Aduaka
 : Je n’ai pas encore décidé s’il meurt ou non. Je ne l’ai pas encore accepté dans l’idée. Mais il est sûr qu’il pense à son enfant.
Émile Abossolo Mbo : Une des belles répliques que Newton met dans la bouche de son personnage est : « Je n’ai pas peur. J’ai juste besoin de me retrouver, de savoir qui je suis ». J’ai l’impression en voyant le film que le personnage, plutôt que de mourir, se retrouve et retrouve son enfant.
Une très belle scène du film d’Alain Gomis est celle du théâtre du lavement du corps. J’ai l’impression que dans ce film, il se lave également de ses problèmes, ce qui ouvre à terminer sur l’enfant.
Newton Aduaka
 : Ce lavement est plutôt cathartique : Émile construit sa compréhension de l’univers et de son rapport à l’univers. C’est un moment métaphysique où il envisage les choses au-delà de lui-même, vers une éternité. Il transcende son propre esprit en dialogue avec lui-même.
La scène de la voiture qui groupe Émile et Aïssa Maïga est magnifique de simplicité et d’émotion.
Newton Aduaka
 : J’avais écrit un dialogue pour cette scène, qui a été tourné, mais je ne l’ai pas conservé au montage car le silence était plus riche : c’est une scène de profonde humanité qui devait rester épurée.
Émile Abossolo Mbo, vos rôles ont cinéma sont toujours marqués par la complexité et l’ambiguïté. Comment avez-vous travaillé cette complexité durant le tournage de ce film ?
Émile Abossolo Mbo
 : J’ai beaucoup de chance de pouvoir travailler avec quelqu’un comme Newton. C’est la première fois que je rencontre un réalisateur qui s’efface tant devant l’exigence de l’œuvre. On cherche ensemble à entendre ce que l’œuvre demande. C’est important pour développer la complexité. Dans les improvisations, le réalisateur et l’acteur sont à l’écoute du sens de l’œuvre, et tant qu’on n’a pas trouvé cette essence, ce que le cœur dicte, on continue de creuser. C’est une affaire d’humilité, persuadés que c’est ainsi qu’on pourra toucher le spectateur. Dans un cinéma qui est souvent fait très rapidement, on s’arrête à ce qui est haleté : on joue une colère mais elle reste superficielle. Le spectateur l’oublie vite. S’il se déplace pour venir voir une œuvre alors qu’il a 350 chaînes de télévision chez lui, ce serait un manque de respect que de ne pas lui offrir de l’essentiel !
Newton Aduaka : J’avais six ou sept acteurs magnifiques et c’est une chance rare. Le travail sur les textes est parfois très exigeant pour les acteurs : ils m’ont fait confiance sans rechigner, malgré l’effort énorme que je leur demandais. La scène dans l’hôpital, ce furent 18 heures de tournage en continu ! Je devais les amener à être cassés pour obtenir ce que je voulais !
Émile Abossolo Mbo : Ni Odile ni moi n’avons eu l’impression que cette scène durait autant. C’est très intense et Newton ne force jamais, n’est jamais agressif, seulement exigeant. On a l’impression de mettre sa vie au service de son travail et cela fonde une grande confiance.
On a l’impression que le film revient finalement un appel à la responsabilité.
Newton Aduaka
 : Émile est mauvais dans la vie mais il est bon dans ce qu’il fait ! Il comprend que la liberté est une affaire de responsabilité.
Émile Abossolo Mbo : On lui demande des formules toutes faites et il ne sait qu’en faire : c’est le questionnement des artistes à qui on demande des réponses toutes faites.
Les relations portent toujours sur la question de la compréhension jusqu’à ce qu’intervienne une scène où il se dit qu’il y a une partie de soi qu’on ne peut comprendre. Dans la relation interculturelle, il y a toujours une partie d’opacité qui ne pourra être surpassée.
Émile Abossolo Mbo
 : La difficulté dans le rapport à l’autre est que cela ne se passe pas au niveau du cliché, de la surface, de l’apparence. Émile ne ramène jamais cela au niveau de la couleur de la peau, mais à l’essentiel de la relation. On se raccroche à l’apparence mais c’est notre fragilité humaine. Dans son rapport avec son fils, il joue le clown mais l’enfant attend autre chose, et lui pose des questions difficiles sur l’imagination et la mémoire, pour lui enlever le masque.

Transcription : Olivier Barlet///Article N° : 11279

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Les images de l'article
Newton Aduaka © Véro Martin
© Véro Martin
En débat durant les rencontres de 10 h du matin au festival d'Apt © Véro Martin





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