Au crépuscule de sa vie, l’infatigable Jean Rouch continue d’aller à la rencontre de ses amis africains et d’écouter et filmer les rituels avec lesquels ils consultent « les gens du ciel, ceux d’en haut et ceux d’en bas ». Sans rupture aucune avec ce qui a fait sa vie, il se passionne pour ceux qui n’acceptent pas que l’âme soit moins forte que la mort. Vieux rêve ! Leurs incantations le fascinent et il contemple dans leur durée les gestes, les chants et le jeu des instruments. Il appelle de ses voeux « une école de possession pour nourrir les pluies et pour que jamais ne s’arrêtent les merveilleuses histoires du fleuve Niger ». Et c’est vrai qu’il le filme bien, le Djeliba et ces vaches trop maigres qui le traversent et ces bergers peuls pour qui elles sont plus que de simples bêtes : « oh que mes vaches sont belles ! dit l’un d’eux, oh que je les aime ! » Sa chaude voix chevrotante se fait elle aussi incantatoire, poétique et lyrique, pour un dernier voyage à la découverte de la beauté de l’Afrique traditionnelle, de ceux qui croient encore qu’offrir le lait et la calebasse au fleuve amènera paix et prospérité. Au final, il fixe sur la pellicule la citation de Valéry qui orne le Musée de l’Homme, dernier hommage avant dislocation (cf interview avec Jean Rouch).
Moins construit, plus ardu que nombre de ses documentaires ethnologiques, surtout lorsqu’il film longuement la répétition en grec et en danses des Perses d’Eschylle avec des amis africains dont on se demande un peu ce qu’ils font dans cette galère, le film déçoit par la tension qu’annonçait son titre. On en vient à regretter, comme pour nombre de films de Rouch, que plutôt que des déchaînements lyriques, il n’ait pas joué pour cette dernière carte l’implication et la mise en danger, ce que Johan van der Keuken avait merveilleusement osé dans Vacances prolongées. Pourtant, cet arrêt prolongé sur le son nasillard du violon-calebasse plane comme un méditation ultime, le rappel que des hommes existent encore, qui croient à la force du rêve face aux contingences de la vie.
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