Le Sud de la Méditerranée en voix et images

Festival international du Cinéma Méditerranéen de Montpellier 2008

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Du 24 octobre au 2 novembre 2008 a eu lieu à Montpellier la 30e édition du festival international du Cinéma Méditerranéen. Le long-métrage Le Chant des mariées de Karin Elbou, situé à Tunis sous occupation allemande en 1942, et Un fiancé pour Yasmina d’Irène Cordona, qui dénonce le malaise d’une jeune Marocaine immigrée en Espagne, ont reçu respectivement les prix du soutien technique Eclair Laboratoires et du public du quotidien régional Midi Libre. Quant au prix le plus important du festival, l’Antigone d’or, il a été décerné par la Ville et l’Agglomération de Montpellier au serbe Goran Markovic, auteur de Tournée, un long-métrage qui évoque la période la plus sombre de la guerre en Bosnie-Herzégovine, en 1993.

Quelque 86 500 spectateurs ont participé au Cinémed de Montpellier, un important rendez-vous pour le cinéma des pays méditerranéens. Frontière mouvante entre des rives séparées malgré elles, le Mare nostrum – la mer de tout le monde – inspire des histoires d’émigrations et d’exils, de violences et de ruptures, de quêtes identitaires et de mémoires retrouvées.
Parmi les films marocains présentés au festival, Un fiancé pour Yasmina d’Irène Cordona raconte l’histoire d’une jeune Marocaine cultivée et séduisante qui est arrivée en Espagne avec l’intention de continuer ses études universitaires. Elle habite dans un village d’Estrémadure (dont la réalisatrice est originaire) avec son frère Abdel et avec d’autres Marocains qui travaillent dans les exploitations agricoles de la région. Elle ne se sent à l’aise ni avec eux ni avec les Espagnols et le seul endroit où elle se sent bien est l’association d’accueil pour immigrants.
Le protagoniste du film En attendant Pasolini de Daoud Aoulad-Syad est un réparateur de télévision et figurant dans des films étrangers tournés au Maroc. Il s’est lié d’amitié avec Pasolini – icône du cinéma méditerranéen auquel ce film veut rendre hommage – lors du tournage du film Œdipe Roi en 1966. Quarante ans plus tard, une équipe d’Italiens vient dans son village préparer le tournage d’un film sur la Bible : il croit que son ami Pasolini est de retour.
Dans le court-métrage Sellam et Démétan de Mohamed Benamraoui, un artiste peintre, retourne dans le village de son enfance après vingt-cinq ans d’absence. Il y retrouve les gens changés et des lieux déserts, en ruine. Dans Squelette, Yassine Fennane affronte aussi le thème du retour au bled après l’aliénation de l’exil : revenu au village après un séjour en ville, Houcine crie sur tous les toits qu’il veut vendre son corps à la science.
Parmi les films algériens Houria de Mohamed Yargui a reçu une mention spéciale du jury du grand prix du court-métrage. Son héroïne est une fille de vingt-trois ans, séquestrée et violée, qui parvient néanmoins à s’échapper. Rejetée par une société qui la condamne, elle erre de ville en ville. Dix ans plus tard, elle retrouve sa famille, installée à Bejaïa pour fuir le déshonneur et la honte. Elle commence à reprendre goût à la vie lorsqu’elle tombe par hasard sur son tortionnaire.
Dans leurs œuvres d’art vidéo Katia Kameli et Zineb Sedira, artistes vidéastes et photographes d’origine algérienne vivant l’une à Paris et l’autre à Londres, s’interrogent sur les relations complexes qu’elles entretiennent avec leur culture d’origine et la représentation de leur Algérie. Zineb Sedira crée des images par ordinateur afin de confronter les icônes de la modernité aux rituels de la représentation islamique. De l’installation à la musique électro-pop, en passant par l’image numérique, la sculpture, la photographie et la vidéo, Katia Kameli propose un langage transculturel. Elle a présenté, parmi ses vidéos, le beau court-métrage Les Baies d’Alger de Hassen Farhani (2006) et Monte dans le bus et regarde (2006) de la très courageuse Amina Zoubir qui monte et descend des bus d’Alger avec sa caméra, défiant les menaces et les insultes des passants.
Tewfik Farès – qui par ailleurs est poète, scénariste et fait partie de cette diaspora algérienne de France en conflit avec la terre natale – a présenté Les Hors-la-loi en version restaurée quarante années après sa première projection en 1969 ; ce film sera dans les salles françaises à partir de 2009. Premier western algérien à caractère épique, quasiment interdit partout à sa première sortie, l’histoire est située peu après la seconde guerre mondiale dans une Algérie encore française mais déjà agitée par des mouvements indépendantistes. Au début du film : deux cibles, deux balles. « Joli coup. Comment diable fais-tu ? » « He bien, mon capitaine, je pense qu’un jour, la cible sera un de vos officiers« . Les personnages du film, Slimane, Ali et Moh, partagent la même passion pour la liberté, la famille et l’honneur, un désir de vengeance contre l’administration coloniale et les collabos algériens. Slimane apprend la mort de son père, déserte l’armée française, rejoint son village, fuit les gendarmes qui le poursuivent, se fait arrêter par un caïd local à la solde des colonisateurs français et est enfermé dans une prison avec deux autres Algériens. L’un est injustement accusé d’avoir abusé de sa patronne française, l’autre est un vieux voleur de poules.
Le très beau film tunisien de Karin Elbou, Le chant des mariées, a reçu aussi une mention spéciale du jury pour l’Antigone d’or. Il s’inscrit dans la tradition des grands films historiques tunisiens comme Les silences du palais de Moufida Tlatli. Nous sommes en 1942, pendant la période d’occupation allemande de la Tunisie. Les forces de l’Axe tentent de se rallier la population musulmane tunisienne en échange d’une promesse d’indépendance. Parallèlement commencent les persécutions des juifs, faisant suite à la politique de Vichy. Deux jeunes filles, voisines et amies depuis l’enfance, vivent leurs premières émotions amoureuses. Myriam est promise à Simon, un médecin beaucoup plus âgé qu’elle. Nour aime Khaled, son cousin, qu’elle souhaite épouser. L’une est juive, l’autre musulmane. Finalement les deux jeunes filles se rejoignent alors que tout tend à les séparer.
Parmi les courts-métrages tunisiens Allo, de Madih Belaïd, représente un jeune trentenaire célibataire, de condition modeste, comme il y en a beaucoup en Tunisie. Avachi dans son canapé devant la télé, il reçoit le coup de fil d’une inconnue. Il entre avec la mystérieuse Sarah dans un jeu de séduction et n’hésite pas à se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Dans Mergoz, rencontre de trois types, Fehd Chabbi imagine que les habitants de la planète Mergoz veulent entrer en contact avec les Terriens et ils choisissent ainsi la Tunisie, pays réputé accueillant, où ils envoient leur émissaire.
Si la Libye n’était représentée par aucun cinéaste, les Égyptiens n’ont pas manqué le rendez-vous montpelliérain. Une séance spéciale a d’ailleurs été consacrée à Youssef Chahine, un pharaon du cinéma égyptien récemment disparu, avec la projection d’un de ses films : L’émigré (1994).
Parmi les longs-métrages d’Egypte en concours Baby doll, d’Adel Adeeb, est une histoire tragi-comique. Il est à New York, elle est au Caire. Un couple séparé depuis un an par de longues distances. L’occasion inespérée se présente : une visite au Caire de 24 heures, la nuit de la Saint-Sylvestre. Il lui a acheté une nuisette (Baby Doll) et l’a ramenée avec lui ayant pour seul rêve de passer une nuit d’amour avec elle, une nuit où ils pourraient concevoir l’enfant tant désiré. Hassan et Morqos de Rami Imam, présenté en avant-première au festival, est un classique de la farce : les deux personnages principaux doivent, pour des raisons de sécurité, changer d’identité. Un théologien copte, connu dans sa communauté pour sa modération, est débordé par les jeunes extrémistes et se voit à son corps défendant devenir imam. Tandis que de son côté un cheikh doux et pacifique qui refuse de prendre la tête d’un groupe d’islamistes armés, s’enfuit et se voit assigné par les services de sécurité une nouvelle carte d’identité chrétienne. S’ensuit donc une succession de situations très drôles et cocasses où les miroirs sont inversés.
Parmi les artistes français dont le regard de leur œuvre porte sur la rive sud de la Méditerranée, figuraient par exemple Philippe Faucon, né au Maroc, auteur entre autres du film Les étrangers (1998), Samia (2000), La trahison (2005) ainsi que Dominique Cabrera auteur de L’autre côté de la mer (1997), Ici là-bas (1988), Rester là-bas (1992), des films qui dénoncent le drame malheureux des pieds-noirs, notamment de ceux qui sont restés en Algérie après l’indépendance.
Rendez-vous à Montpellier l’année prochaine, du 23 octobre au 1er novembre 2009.

///Article N° : 8170

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