Le SUD (Salon Urbain de Douala), un festival qui réinvente le genre urbain

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Du 4 au 11 décembre 2010, se déroulera la seconde édition du SUD (Salon Urbain de Douala), festival triennal d’arts visuels explorant l’identité de la ville de Douala – Cameroun. Unique en son genre, ce festival, qui invite des artistes et intellectuels de différents pays à se pencher sur le cas « Douala », s’adresse avant tout aux habitants de la ville. Un processus à méditer…

Véritable OVNI en Afrique, Doual’art, « Centre d’art contemporain et laboratoire de recherches urbaines » cherche depuis sa création en 1991 par Marilyn Douala Bell et Didier Schaub, à expérimenter l’impact de l’art sur le développement urbain. Son terrain de jeu, c’est la ville de Douala, inlassablement pensée et repensée, travaillée et retravaillée, en tous sens, en tous lieux, à tâtons et grand renfort d’intuitions. Son dernier bébé s’appelle le SUD, pour Salon Urbain de Douala. Ce festival triennal, qui prétend faire rayonner Douala comme capitale des arts visuels en Afrique Centrale, est devenu la partie émergée de l’iceberg Doual’art : la plus visible et la plus reconnue.

Là où la plupart des festivals d’art visuels en Afrique (Dak’art, Rencontres de Bamako…) présentent des artistes « africains » (avec toute la complexité que cette appellation suppose) à un public souvent composé d’une majorité d’Occidentaux, l’équipe de Doual’art a renversé la proposition : elle a ouvert les portes de son festival à des artistes venus d’autres continents mais a veillé à associer le public local au processus créatif.

Le SUD demande en effet aux artistes de proposer une œuvre en lien avec la ville de Douala. S’ils sont étrangers, ils effectuent une résidence préalable pour faire connaissance avec la ville. S’ils sont Camerounais, ils travaillent dans un quartier (généralement leur quartier de résidence), avec les habitants, sur un projet qui peut aller de quelques mois à deux ou trois ans. Les œuvres des uns et des autres sont ensuite présentées durant la semaine du festival, qui se déroule presque intégralement « en plein air ». Ici on inaugure une œuvre d’art public, là on assiste à une performance, là encore on se réunit autour d’une installation ou d’une réalisation architecturale. Seules quelques expositions et conférences se déroulent dans des lieux fermés.

La première édition, en décembre 2007, tirait tous azimuts : économie informelle, recyclage, patrimoine visible et invisible, « rurbanité » des villes africaines, non-linéarité du développement, tradition et modernité… On a pu voir un zébu-fanfare (1) croiser un défilé de « débrouillards » affirmés (2) ou de bend-skin (3) poètes, des notables en déperdition (4), un obélisque se dresser fièrement (5) non loin d’une forêt de pagaies (6) honorant la mémoire d’un artiste décédé. La ville s’est enrichie de pas moins de quatre œuvres d’art pérennes (7) à ce moment-là.
L’édition 2010, en revanche, explore un thème précis, celui de l’eau. Il faut dire que l’eau a une place de choix dans la culture et les réalités locales. Située au bord de l’estuaire de Wouri, Douala était à l’origine constituée d’une série de villages de pêcheurs chez qui les rituels et imaginaires liés à l’eau avaient une grande importance. Elle est l’une des villes les plus arrosées de la planète, humide même en saison sèche, sillonnée par les drains du fleuve qui inondent la ville durant la mousson… et paradoxalement l’accès à l’eau est un vrai casse-tête pour les habitants : rares sont les foyers qui ont l’eau courante, fréquentes sont les coupures pour ces happy-few.

Ces questionnements « aquatiques » seront explorés à travers quatre tables rondes et seize projets artistiques. Tout d’abord les « Liquids projects » menés par quatre artistes du cru dans autant de quartiers de la ville : « Les Mots écrits de New Bell » d’Hervé Yamguen, autour de textes écrits par des rappeurs du « kwat » (8), « Face à l’eau » de Salifou Lindou, qui viendra cacher la pudeur des pêcheurs sur la rive du Wouri, « Pirogue céleste » d’Hervé Youmbi, qui reprend la tradition des tangué (9) à la sauce moderne et « Corps d’eau » d’Aser Kash, sortes de cruches anthropomorphiques installées à Cité Sic, le quartier étudiant. Ces quatre projets ont débuté il y a deux ans, été pensés avec les habitants et été suivis par un journal trimestriel créé pour l’occasion, le Liquid, dont le dernier numéro sortira durant le SUD.
Quant aux douze autres projets, ils vont de l’aménagement de sources, puits, passerelles ou caniveaux (Philipp Aguirre, Ties Ten Bosch, Loris Cecchini, Kamiel Verschuren) à la vidéo-performance sur Mami Wata (10) (Ato Malinda), en passant par un projet de cartographie des sources naturelles de Douala (Bili Bidjocka) ou encore l’installation d’un « jardin sonore » de trois étages utilisant l’eau de pluie pour arroser les plantes et produire de la musique (Lucas Grandin) (11).
Histoire d’asseoir un peu la dimension internationale du festival, c’est l’incontournable Simon Njami qui a été invité comme curateur, secondé par Koyo Kouoh, Elvira Dyangani et Didier Schaub, directeur artistique de Doual’art.

La Communauté Urbaine de Douala soutient le festival, signe que la vision de Doual’art a fait son chemin : l’art a désormais « officiellement » sa place dans les questions urbaines. On espère que les habitants eux aussi se saisiront des enjeux du SUD, dont l’objectif ultime est peut-être de leur rendre hommage…

1. Performance proposée par Lucas Grandin (France)
2. Performance proposée par Pascale Marthine Tayou (Cameroun/Belgique)
3. Performance proposée par Lionel Manga (Cameroun) et Philippe Mouillon (France). « Bend-skin » est le nom qu’on donne aux moto-taxis (et par extension à leurs conducteurs) à Douala
4. « Les neuf notables », de Joseph-Francis Sumégné (Cameroun) : série de neuf sculptures en matériaux de récupération qui interrogent la déliquescence du pouvoir traditionnel bamiléké (Ouest du Cameroun)
5. « Sud-Obelisk » : oeuvre d’art public implantée par Faouzi Laatiris (Maroc)
6. « Paï » : oeuvre imaginée par « Baby » Kouo Eyango (Cameroun), décédé en 2001
7. « Sud-Obelisk » de Faouzi Laatiris (Maroc) et « Paï » de Kouo Eyango (Cameroun), mais également « Njé Mo Yé » de Koko Komégné (Cameroun) et « L’arbre à palabre » de Frédéric Keiff (France). Sans compter l’achèvement de la « Nouvelle Liberté » de Joseph Francis Sumégné (Cameroun), implantée par Doual’art en 1996 et devenue depuis le symbole de la ville de Douala.
8. « Kwat » = « quartier » en argot local
9. « Tangué » : figure de proue dans la tradition douala/sawa
10. « Mami Wata » : esprit de l’eau (jengu (sing) / miengu (plur)) en douala, généralement représenté sur les côtés d’Afrique et des Antilles sous la forme d’une femme-sirène à la longue chevelure noire tenant deux serpents entrelacés.
11. Les autres artistes invités sont Mariela Borello(Argentine/Canada), Aliette Cosset et Isabel Forner (France), Christina Kubisch (Allemagne), Pascale Marthine Tayou (Cameroun/Belgique), Younès Rahmoun (Maroc) et Tracey Rose (Afrique du Sud)
///Article N° : 9823

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Les images de l'article
Jardin Sonore de Lucas Grandin, SUD 2010 © DR
Face à l'eau de Salifou Lindou - SUD 2010 © DR
Les mots écrits de New Bell d'Hervé Yamguen - projet SUD 2010 © DR
Corps d'Eau d'Aser Kash - projet SUD 2010 © DR
Performance d'Ato Malinda sur Mami Wata - SUD 2010 © DR
L'arbre à palabres de Frédéric Keiff - SUD 2007 © DR
Nje Mo Ye de Koko Komégné - SUD 2007 © DR
Sud Obelisk de Faouzi Laatiris - SUD 2007 © DR
La Nouvelle Liberté de JF Sumégné, achevée durant le SUD 2007 © DR
Les neuf notables de JF Sumégné - SUD 2007 © DR
Pai de Kouo Eyango - SUD 2007 © DR





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