Le Temps d’un film

De Laurence Attali

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Le making-of, exercice obligé des bonus de dvd, censé nous introduire au vécu du tournage pour nous en dire davantage sur le film, n’est souvent qu’un masque de plus, une illusion reconstruite destinée à la promotion plutôt qu’à l’exploration intime du secret. L’alternative proposée par Laurence Attali est tout le contraire : elle est un rêve de film. Le Temps d’un film est ainsi le temps d’avant le film, le temps où le film s’installe pour exister, avant même que le premier « action » puisse enregistrer les premières images, mais aussi avant qu’il ne sonne le glas d’un désir de film qui ne sera finalement que le produit de la dure négociation avec les contraintes. Mais si Le Temps d’un film n’est pas triste, c’est que cette confrontation est une quête joyeuse et bénéfique – et que l’on sent bien que c’est cet enfantement même qui fascine la réalisatrice et motive son engagement. Ces pistes ouvertes sur des impasses ne se font ainsi autant de possibles que par le bâton magique de la créativité. Il était dès lors cohérent que dans ce documentaire de création, la cinéaste installe la distance de l’humour dans le regard sur soi en se proposant en dessin animé plutôt que de s’auto-représenter, elle qui déjà s’autoproduit comme le suggère le titre de sa maison de production (ici quand même en collaboration avec l’INA). Le Temps d’un film navigue ainsi pour notre plus grand plaisir dans la création, le dessein d’un dessin. Il est en fait le temps nécessaire de l’intermittence, le film toujours renouvelé que se fait une réalisatrice qui se « fait un film » de son film. Elle le pétrit obsessionnellement avant de pouvoir le cuire comme le bon pain de sa maman.
Seulement voilà, le réel résiste, inséparable du cinéma. Faire un casting, choisir un partenaire, c’est sacrifier l’idéal pour magnifier le présent. Comme dans Le Déchaussé, le film qui s’élabore, il faut perdre une chaussure pour pouvoir aimer. Il y a un deuil essentiel dans Le Temps d’un film, celui d’un projet qui doit sempiternellement s’adapter, celui d’une envie folle de débaucher Tom Waits et de tant d’autres choses encore. Laurence se la joue à Venise avant de se rabattre sur Paris pour finalement revenir à St Louis du Sénégal, tout aussi aquatique, tout aussi prometteuse et bien davantage, car dans les canaux sénégalais, elle retrouve ce « pays de la séduction », une séduction qu’elle avait largement explorée dans Sénégalais Sénégalaises et qu’elle met subtilement en scène dans tous ses films. Le Temps d’un film est ainsi l’histoire d’un retour amoureux vers un pays, des hommes et des femmes, qui lui offrent la possibilité de charger son propos d’encore davantage de sensibilité que ne lui en aurait offert un Tom Waits pourtant si bouleversant. Et parce que l’amour est comme ça, c’est aussi le deuil d’un projet qui ne cesse de mourir pour renaître un peu, tant il est vrai qu’il n’y a pas de création sans incertitude. « Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît : tu pourrais ne pas t’égarer », phrase du Déchaussé. Laurence Attali va quand même consulter une voyante, laquelle est suffisamment décontenancée pour comprendre la violence de l’égarement. Le film se fait puzzle, sous la baguette de la monteuse Attali, laquelle disparaît peu à peu au profit de son double Esther. Et lorsqu’à la fin redéfilent les images saccadées, ce sont des flashs qui se bousculent dans la tête en fin de vie. On croit pouvoir dire « cut », comme Nicholas Ray dans le Nick’s Movie (Lightning over water) de Wim Wenders, mais on entend « action ». Le film voit le jour, le vrai, celui qui échappera à la réalisatrice pour s’inscrire hors de la durée.
Car Le Déchaussé existe bien, film en projet du Temps d’un film, troisième temps de la trilogie des amours, grande œuvre que la cinéaste poursuit depuis 1999 avec Même le vent et Baobab. Ce retour sur les dilemmes et les doutes d’un film en gestation pourrait bien être une pause pour mieux cerner l’acte de créer avant d’affronter l’épreuve suprême, le test des dieux, le long métrage en préparation.
Que la musique occupe peu à peu le champ et remplace la voix-off de la réalisatrice est salutaire, même si son côté très personnel à la Agnès Varda est plutôt réjouissant : un autre espace se superpose, dont le rythme gère les images. Nous sommes dès lors prêts à tout, comme d’accueillir les folles visions graphiques des costumes d’Oumou Sy, leitmotiv des films de Laurence Attali. Dans les bras de leur imaginaire tentaculaire et caméléon, forts de tout ce qu’un film n’est pas, n’est plus mais porte encore en lui, nous sommes prêts à écouter le regard d’une réalisatrice qui dans son retour répété à ses amours sénégalaises ne cesse de nous emmener sur des terres méconnues.

///Article N° : 7195

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