Le théâtre au plus près du public

Entretien d'Olivier Barlet avec Hassane Keïro le Kaïnkoula, acteur sur Moussa Begoto ou le drame d'un fonctionnaire.

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Un homme arrive sur scène et prépare ses accessoires en expliquant qu’il va jouer seul cette pièce prévue pour 10 acteurs.  » Les fonctionnaires de ce pays sont des insectes et l’Etat est un insecticide !  » Car ce fonctionnaire vit dans un cimetière en compagnie de sa famille défunte et ne mange que les offrandes aux morts qui ne sont plus ce qu’elles étaient. Il raconte son histoire et se tourne peu à peu vers le public. Le spectacle se fait jeu avec les spectateurs qui réagissent à chaque réplique par des rires ou des approbations. Jusqu’au final tout en suspens où il compte jusqu’à trois avant de se suicider. Si sa prière est profane, c’est parce que c’est de l’histoire africaine qu’il nous parle :  » Que m’avez-vous légué en héritage ? Je n’ai même plus de larmes pour vous pleurer « . Qu’on se rassure : cet instituteur qui était arrivé en complet veston dans un village et s’était marié à une villageoise n’a pas le goût de la mort et même si son devenir est dramatique, c’est le rire qui domine. Bel exemple de comique puisant dans le drame de la vie, le spectacle de Kadja Kossi réjouit par cette distance : même si la vie n’est pas facile, on ne peut quand même pas compter jusqu’à trois ! OB

On croit en général qu’il est bien d’être fonctionnaire en Afrique, face aux problèmes de chômage.
Oui, mais les fonctionnaires sont mal payés et ne le sont que lorsqu’il n’y a pas de troubles ou de difficultés économiques ! Et tout un village se construit autour de lui !
Tu indiques en arrivant sur scène que la pièce est écrite pour 10 comédiens et que tu vas la jouer seul.
Oui, dans la pièce originelle, le père est mort et ne sont vivants que la mère et les enfants. Je l’ai réécrite pour la jouer seul, ajouter des chansons, la situer dans un cimetière et conserver le père ! Le Tchad est enclavé et peu habitué au phénomène théâtral : j’ai opté pour le monothéâtre pour le rendre plus léger et déplaçable.
Le texte attaque l’Etat de front.
Les gouvernants sont coupables ! Les discours officiels donnent la priorité à l’enseignement mais les enseignants sont dans la misère !
La question de la transmission est également centrale.
En Afrique, celui qui meurt laisse la sagesse, le bien matériel, le bien spirituel dont la famille doit hériter. Dans la pièce, les enfants meurent jeunes : la transmission ne se fait pas, le cimetière est celui de nos espoirs.
La salle participe très bien au spectacle.
C’est une exigence du monothéâtre : il doit amener les gens à réagir. Les gens reprennent aussitôt les chants ou résonnent aux suspens qui se passent sur scène. On forge ou utilise des expressions du langage populaire que les gens comprennent bien.  » La richeté  » n’est pas français mais tout le monde comprend !
La prière reste profane et politique.
 » Nos pères qui sont dans des bureaux climatisés, que vos noms soient maudits, que votre volonté soit faite dans les marmites comme dans les calebasses, payez-nous nos années de labeur, délivrez-nous de la faim, délivrez-nous de la tentation de repartir dans les classes et de reprendre la craie. Dites-leur que j’ai fait ma prière. Qu’ils continuent à s’en mettre plein les poches. Le jour où nous les enseignants nous serons au paradis, nous nous en mettrons plein la bouche nous aussi !  » Voilà ma prière ! On en a marre des politiciens qui continuent à nous brimer.
Pouvez-vous jouer souvent au Tchad ?
Nous faisons un théâtre de pauvres, sans moyens. J’arrive sur scène avec mon sac à dos et repars avec. En dehors du CCF, il n’y a pas de salles de spectacle. Il est donc très difficile de faire une véritable production professionnelle. L’intérieur du pays est difficile d’accès, les routes ne sont pas bonnes et l’argent manque. Mais nous nous battons ! Etant fonctionnaire, il m’est difficile d’aller dans les festivals car mes chefs croient que j’y vais pour me promener !
Nous jouons aussi en langue locale dans les quartiers populaires, ainsi que du théâtre d’intervention sociale en lien avec des ONG. Tout cela ouvre le public au théâtre.

Présenté par la compagnie ASEC – Kadja Kossi (Tchad)
auteur : Ali Abdrahman Haggar
Mise en scène : Djamal Ahmat Mahamat///Article N° : 2603

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