Le tsapiky malgache fait danser les vivants et les ancêtres

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Damily, musicien malgache, installé en France depuis 2001, emmène le public français à la découverte d’un courant musical de son pays : le tsapiky. Natif du Sud-Ouest de la Grande île, le groupe de cinq artistes qui porte son nom se produit régulièrement en France, depuis 2006. Bien plus qu’une musique, le tsapiky est pour Damily, constitutif du quotidien de la population malgache et reste très imprégné du contexte dans lequel il est né et a évolué depuis la fin des années 80. Retour sur l’évolution de ce courant à travers le regard de l’artiste.

Le Tsapiky se joue, se danse, se chante… et se vit. Damily, guitariste du groupe qui porte son nom est intransigeant sur la définition de l’art qu’il pratique depuis la fin des années 80. En France ou à Madagascar, sa philosophie reste la même : ne pas oublier d’où l’on vient. « Le tsapiky, c’est d’abord les bals poussière, la brousse, les cérémonies traditionnelles ».
Le courant musical est né avec l’arrivée des guitares électriques sur l’île au début des années 80. Damily, comme de nombreux jeunes artistes à l’époque, s’empare de l’instrument. La musique amplifiée séduit et est source de création. Alliée aux influences venues d’Afrique et aux airs traditionnels malgaches, la guitare devient la base du nouveau courant, appelé tsapiky. Une musique d’abord régionale, collée à l’identité du Sud-Ouest. « L’influence du tsapiky vient de l’Afrique. Nous sommes à plus de 1000 kilomètres de la capitale malgache, mais à moins de 500 kilomètres des côtes africaines du Mozambique. À Madagascar, la musique c’est tous les jours, tout le temps, avec la radio. Nous ne captions que des ondes d’Afrique, pas la radio nationale malgache ».
Damily se souvient de ses débuts à Tuléar, tout juste débarqué d’un petit village de brousse avec son frère, Rakapo. Ils rencontrent Gany Gany, Claude Ralambomasinjaka et Naivo. Le groupe se constitue. À leurs débuts, le tsapiky séduit surtout les jeunes, puis il conquiert peu à peu l’espace public. « Ça n’a pas été facile. Au départ on nous considérait comme des voyous. Il a fallu du temps pour s’intégrer. Pour preuve, nous avons créé notre groupe à la fin des années 80 mais nous avons enregistré notre premier album seulement en 1996. » Leur légitimité est venue progressivement. Peu à peu ils ont trouvé leur place dans la société. Ils ont surtout marqué leur présence durant les grands temps forts de la vie malgache. Aujourd’hui ce sont les cérémonies traditionnelles qui font vivre les groupes et donnent le pouls de leur renommée.
Damily a ainsi construit sa carrière d’artiste avec les mariages, les cérémonies de circoncision et surtout les enterrements, selon un rite bien particulier à Madagascar, appelé le Famadihana (« Engalolo » ou « mandry ampototsy » à Tuléar), communément désigné, en français par : retournement des morts. « Le plus gros de notre travail d’artiste se passe pendant les cérémonies traditionnelles. 200 à 300 concerts par an sur une période qui va d’avril / mai à décembre. »
Durant plusieurs jours et nuits, ils ne cessent de jouer et d’emmener les invités sur des airs connus de tous. Damily raconte alors une cérémonie traditionnelle classique, un famadihana : « C’est le chef de famille qui nous choisit, l’organisateur de la cérémonie. Après avoir consulté un ombiasa (devin-guérisseur) sur le jour idéal pour l’évènement, il nous prévient. Nous, on prévoit alors des remplaçants, pour chaque musicien, pour tourner pendant la semaine ou les quelques jours. Le premier jour, lorsque les gens arrivent avec leurs enga (dons) pour la famille, ils passent devant nous par petits groupes et dansent sur ce qu’ils veulent ; ils demandent avant. Et après, ça ne s’arrête pas, c’est tout le temps, le jour comme la nuit. On accompagne la cérémonie, on fait danser les ancêtres et leurs familles ». Pour Damily, les cérémonies traditionnelles sont constitutives de la définition du tsapiky, c’est de là qu’il vient, de là qu’il s’inspire. Selon l’ethnomusicologue, Julien Mallet, ces cérémonies sont des moments extraordinaires « où se côtoient sacrifices et hauts parleurs, rituels et musiques électriques, dons ostentatoires et tenues vestimentaires à la mode occidentale, lances et fusils, billets de banques et tissus traditionnels ».
Les bals poussière
Si les cérémonies traditionnelles sont le lieu de prédilection des artistes de tsapiky, il trouve aussi d’autres espaces d’expressions. Pour Damily, l’image inhérente au courant musical, est celle des bals poussière. « C’est de là que tout est parti et continue aujourd’hui » Dans la brousse d’abord, sans terrain approprié, les artistes font danser les gens, qui remuent alors de la poussière. « C’est la musique des pauvres, des gens de la brousse même si les artistes de tsapiky jouent ensuite en ville, à Tuléar, mais ils viennent de la campagne et ne cessent jamais de jouer dans les petits villages autour de Tuléar mais aussi jusqu’à Morondava et Fort Dauphin ». Le lien qui se fait alors entre la ville et la campagne est aussi partie intégrante de la définition du tsapiky. Pour Damily, c’est « la musique de toutes les ethnies ». Le tsapiky transcenderait les stratifications sociales et les considérations ethniques pour devenir une musique populaire et identitaire d’un peuple. « Au-delà des contraintes mondiales, le tsapiky, comme « jeune musique » participe de la construction de liens sociaux relativement autonomes et produit du sens grâce à une articulation qui lui est propre entre passé, présent et avenir […] Dissonantes dans un monde désenchanté, les « jeunes musiques » fusionnent des sources d’origines et d’époques différentes, transgressent les frontières ethniques et sociales, dépassent l’opposition tradition / modernité »
Des tournées et des albums de Tuléar à Paris
Pourtant la diffusion du tsapiky, à l’échelle nationale, reste timide ou noyée dans d’autres influences. Un regret qu’exprime Damily : « A Tana surtout, il n’y a que de la musique transformée. Le tsapiky est aussi repris mais transformé pour en faire de la variété à l’occidental. Les producteurs demandent de la variété. Ce n’est pas ça le tsapiky, alors je dis non. C’est dur de dire non. Je suis pauvre, je vais rester pauvre parce que je ne fais pas comme les autres mais je respecte ma culture. » Musicalement, le tsapiky de Damily est très technique. À l’écoute, ses compositions surprennent : des rythmes rapides et saccadés portés par Rakapo à la basse, et Naivo à la batterie et aux percussions. Quant aux voix envoûtantes, ce sont celles de Gany Gany et de Claude. En concert, ces deux chanteurs n’en finissent pas de séduire et d’interpeller avec leurs danses, entre rites quasi-religieux et transe. « Le tsapiky, et les moments de transe sont une manière de sortir de notre corps toute notre souffrance ». Ensemble ils reprennent du Kolitsake, qui est une posture où les danseurs imitent un personnage infirme, ou encore celle du Mihaly Bageda, dos courbé, ils interpellent la figure du paysan qui creuse la terre pour y planter ou ramasser des patates douces. Gany Gany, elle, excelle dans l’art du Kininike, ce tremblement rapide et maîtrisé des fesses alors que le reste du corps reste fixe ou bouge lentement. Le rapprochement avec les musiques africaines est immédiat, loin des Hiragasy (1) solennels des Hauts Plateaux de Madagascar.
Avec ses six albums, et une carrière de plus de vingt ans à Madagascar, Damily est une véritable star dans la région de Tuléar et avoue n’avoir jamais pensé venir en France. « Je gagnais très bien ma vie avec le tsapiky à Madagascar. ». Gany Gany, Claude, Naivo et Rakapo continuent à animer les bals poussière et les cérémonies traditionnelles tout au long de l’année. Damily, lui, est en France depuis 2001. Avec sa femme, française, il a monté un duo et tourne sur quelques scènes françaises. « Toujours du tsapiky mais une version beaucoup plus intimiste ». Mais surtout, depuis 2006, ils font venir les autres membres du groupe pour quelques mois par an. Faire découvrir le tsapiky est leur objectif. Ils sont venus en 2006, en 2008, et en juillet 2009 pour un mois et demi de concerts en France, mais aussi au Portugal pour le festival Musicas Do Mundo de Sines.
En 2007, le groupe Damily a sorti son premier album en France, un deuxième est en cours. De scènes en scènes, ils vont à la rencontre du public et dévoilent leur art du tsapiky. Une démarche qu’ils défendent coûte que coûte « C’est notre pari : s’attacher les gens par la musique, rien que par la musique. Commencer avec le public et non pas au-dessus de lui ».

1. « Hiragasy » signifie littéralement « chant malgache », sorte d’opéra traditionnel qui mêle chants, danses et discours.Le groupe Damily sera en résidence en France du 15 octobre au 18 novembre à Mains d’œuvre (Saint-Ouen) avec le guitariste-chanteur Camerounais Franck Biyong.

Ils donneront un concert également :
– le 30 octobre : pour Nuits sans frontières dans le cadre du Festival villes des Musiques du Monde
– le 23 et 24 Octobre : Chez Alriq (Bordeaux)
– le 14 Novembre : Le Fil (Saint Étienne, 42)

Damily en duo :
– 13 Février 2010 : Forum sur la globalisation (Cité de la musique, Paris) ///Article N° : 8941

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Les images de l'article
Damily Live © Damily





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