Le vote en débat

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L’abstention, « premier parti de France » ? Pour les élections présidentielles elle flirte autour des 20% depuis des décennies. Et quand on s’interroge sur qui sont les abstentionnistes, il en ressort que les habitants des quartiers populaires votent moins que la moyenne. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour expliquer cette désaffection, notamment sociaux. « L’intégration politique prolonge l’intégration sociale » explique la sociologue Cécile Braconnier, soulignant que les personnes précaires délaissent davantage les urnes. Elle parle également « d’abstention sanction », pour exprimer le désenchantement vis-à-vis de politiques qui n’auraient pas, une fois élus, respecté leurs engagements. Les élections de 2017, considérées comme les plus incertaines de l’histoire de la 5e République ne déroge pas à ce dysfonctionnement de la démocratie. Et on remarque que les caravanes de sensibilisation au vote ne parcourent pas cette campagne. Dans ce contexte, Afriscope est allé interroger des artistes engagés et des militants de terrain pour leur demander s’il est (encore) nécessaire de voter.

© Samba Doucouré

Karfa Diallo, Initiateur de La Marche de la pleine citoyenneté (président de Mémoires et Partages, essayiste), 45 ans, Bordeaux (33) Oui je pense qu’il faut aller voter. Si le droit de vote semble être un acquis, c’est pourtant un combat. Par respect pour l’engagement et le sacrifice des femmes et des hommes qui se sont battus en sa faveur, il est important d’exercer nos droits. Même si l’offre politique n’est pas satisfaisante. Le vote reste le moyen le moins imparfait pour choisir nos dirigeants, changer la société, faire des lois, etc. Ne pas voter c’est pire que de choisir de voter pour le moins pire des candidats, c’est s’exposer au pire du pire. Le pire ce serait que l’extrême- droite arrive au pouvoir, ce que les États-Unis sont en train de découvrir, et qui risque de se passer en Allemagne ou en Angleterre. Le pire ce serait de voir toute l’Europe aux mains des populistes. Il faut aller voter pour éviter cela. La société parfaite n’est pas pour demain, il faut utiliser les moyens qu’elle nous donne aujourd’hui. Et puis le pouvoir, il faut le prendre par le bas. Nous devons continuer nos engagements associatifs. Ils sont déterminants. Ils permettent à la société de tenir. Mais il ne faut pas pour autant mépriser le vote.

© Noémie Coppin / Africultures

Mohammed Mechmache Président du collectif Pas sans nous (aussi conseiller régional),
50 ans, Clichy-sous-Bois (93) Oui il est nécessaire d’aller voter. Je comprends qu’on puisse en avoir marre de voter pour le moins pire, mais il est important de ne pas laisser certaines personnes accéder au pouvoir. Je pense que les choses peuvent changer parce que chacun d’entre nous détient une partie de la solution. Il y a les déceptions des uns et des autres, elles sont légitimes mais le vote est une manière de peser notamment sur d’autres échéances locales. C’est déjà difficile d’intéresser la classe politique à ce qui se passe dans les quartiers populaires mais si, en plus, on ne vote pas ça va être encore plus compliqué.

© Sokontra Studio

Rakidd Auteur et illustrateur, 28 ans, Paris et Le Puy-en-Velay (43) Moi je n’irai pas voter en tout cas. J’ai l’impression que ce sont toujours les mêmes et que c’est toujours la même chose. C’est comme s’il y avait une équipe de foot qui ne gagnait jamais et dont on ne changerait jamais les joueurs tout en disant : « Ce sera mieux la prochaine fois ! » En tant qu’arabe et musulman, pour moi, c’est quoi le pire ? Marine Le Pen ? Manuel Valls ? J’ai l’impression que nous vivions mieux sous Sarkozy ! Il faut que les gens se réveillent. On nous présente le FN comme l’Étoile noire dans Star Wars. Je ne dis pas que c’est bien le Front national mais ce n’est pas que notre problème, à nous. On fait peser sur les banlieusards et les minorités le poids du FN. Quel que ce soit celui qui passe, j’en ai rien à faire. Si le FN passe, ce sont les « français de souche » qui vont en pâtir le plus. Le vote serait important si cela servait à quelque chose. Ce que je demande au prochain président c’est de ne pas faire de vagues, qu’il ramasse son chèque et qu’il nous lâche.

© Cédric Roux

Matthieu Longatte (Bonjour tristesse)Comédien, 29 ans, Bourg-la-Reine (92) Il ne faut pas se sentir obligé de voter. C’est souvent la même problématique : voter par défaut, voter blanc ou ne pas se déplacer. Le problème de l’abstentionnisme c’est, que les cons, eux, ont toujours tendance à aller voter. Lorsqu’on ne va pas aux urnes, on se retrouve dans la catégorie des gens dont on ne sait pas s’ils veulent ou non participer au processus électoral. Je n’avais pas d’avis tranché et depuis l’élection de Trump, j’en ai encore moins. Je ne suis pas de ceux qui souhaitent que Le Pen passe pour que ça pète. Cela ne va pas péter, il y aura juste Le Pen au pouvoir. Vu l’immobilisme de la proposition électorale, les affaires qui poursuivent les politiciens et la déconnexion totale qu’ils peuvent avoir vis-à-vis du peuple, je comprends très bien qu’on n’ait pas envie de voter. Dans tous les cas, je me déplacerai pour voter blanc dans un premier temps. Ensuite on verra si je vote blanc ou si je vais baltringuer et voter par peur.

© Hugo Aymar

Bakary Sakho, Éducateur et essayiste, 36 ans, Paris (75) Oui c’est une obligation pour quiconque se considère comme engagé. La nécessité est de s’organiser politiquement pour qu’on ait des candidats et des gens qu’on soutient depuis leur émergence. Parce qu’aujourd’hui, qu’on ait un candidat de droite ou de gauche qui gagne, cela ne change rien à nos conditions de vie à nous, habitants de quartiers populaires. Si le FN passe on vivra avec. Qu’est-ce que cela changera concrètement à nos vies ? Allons-nous perdre le peu qu’on a déjà ? Peut-être que si cela arrive, la politique sera prise davantage au sérieux. Peut-être qu’on se posera enfin les bonnes questions et qu’on arrêtera d’être passifs. Tant qu’on n’aura pas un front organisé avec nos propres revendications, quel que soit le candidat élu, on sera perdants.

© Manu Dorlis / Dorlis photography

Almamy Kanouté, Tête de la liste Émergence aux régionales en 2010, 37 ans, Fresnes (94) Oui, il est nécessaire d’aller voter quand on assume sa responsabilité de citoyen. D’autant plus quand on a affaire à des hommes et des femmes politiques irresponsables. Quand on a l’opportunité de pouvoir choisir, on se doit de fournir l’effort nécessaire pour apporter le changement. Je comprends que certains en aient marre et s’abstiennent. Il y a ce jeu avec la menace FN mais je ne crois pas que ce sera pire avec lui. Cela arrange certains partis qu’il y ait une démotivation et de l’abstention. Moi j’irai voter blanc comme je le fais depuis plusieurs années car l’offre politique est vide. Le vote blanc a le mérite d’exprimer une idée : celle qu’on est prêt à aller voter pour un candidat s’il propose quelque chose d’intéressant. En restant chez soi, on montre qu’on n’en a rien à faire et qu’on ne compte pas.

© DR

Naïma Amiri Membre du collectif Je ne vote pas, 34 ans, Saint-Ouen (93) Appeler à ne pas voter, selon moi, c’est « un devoir d’irrespect » comme dirait Claude Julien. Il faut qu’on considère à la fois les abstentionnistes, et les gens qui n’ont pas le droit de vote. Aujourd’hui, de la gauche à l’extrême-droite, les discours sont similaires et quand ce n’est pas dans les paroles, c’est dans les actes. Nous avons besoin d’un espace d’expression et il n’est malheureusement pas dans les voies démocratiques actuelles. L’abstention est un moyen d’expression et un moyen d’alerter. Il faut que nos hommes politiques répondent à cet appel de détresse. Ce n’est pas Marine Le Pen qui m’effraie le plus. Nous avons eu sous Nicolas Sarkozy, un ministère de l’Identité nationale. Un régime de gauche est au pouvoir et des gamins se prennent des matraques dans les fesses. Nous sommes sous un état d’urgence qui ne sert pas à grand chose. Il faut sonner l’alarme et indiquer que nous n’allons pas dans la bonne direction y compris à l’extrême gauche, où nous, qui venons des quartiers populaires, nous ne nous sentons pas les bienvenus. Nous avons besoin de mettre un coup de pied dans la fourmilière pour expliquer que le système est défaillant.

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