L’éditeur de BD Afrobulles s’ouvre à la Centrafrique

Les bédéistes centrafricains à l'honneur avec la publication de deux albums grâce à l'éditeur lillois Afrobulles

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La BD centrafricaine fait très peu parler d’elle en Europe. La sortie en mars 2008 des deux albums de l’éditeur lillois Afrobulles : Corne et ivoire et vies volées constituent donc une réelle surprise pour les amateurs du genre. Le premier album a été dessiné par le français Fabien Didier (dit Ström) dont c’est la première BD et scénarisé par René Pakondji, malheureusement décédé en mai 2007, sans avoir vu le résultat de son travail.
L’album est principalement centré autour d’un conte opposant le buffle et le lion dans la savane et leur combat homérique afin de savoir qui est le plus puissant. Un autre conte, parodie de La guerre du feu de Rosny Aîné, complète l’ouvrage. Présenté en deux versions dont l’une sur un mode délirant truffé de termes argotiques, il raconte les aventures du chien obligé de partir à la recherche du feu et de sa rencontre avec l’homme dont il deviendra le meilleur ami.
Le Centrafricain Pakondji décode parfaitement les lois du genre et nous raconte ces histoires avec énormément d’humour et de recul. La technique de Ström tout en légèreté, servie par de belles couleurs pastel rend bien compte de « l’ambiance africaine », malgré quelques difficultés de maîtrise. Son dessin très expressif, dans le style caricatural, fonctionne bien. Les animaux aux traits humains sont particulièrement réussis et la simplicité fraîche et pleine de vie de son travail n’empêche pas une certaine imagination graphique. Ström se met au service de l’imagination de Pakondji avec jubilation et cela se voit. Une très belle réussite donc, pour le premier album de ce duo qui devrait être suivi d’un second l’année prochaine, René Pakondji ayant laissé un scénario inédit avant de partir.
Le second est un album collectif dessiné et scénarisé par trois dessinateurs : les Congolais (RDC) Alix Fuilu (par ailleurs éditeur de Afrobulles), Alan Kojélé et Didier Kassaï (RCA). Il s’agit d’une première pour celui-ci. Sélectionné au concours « Vues d’Afrique » en 2005, lauréat du prix Africa é Mediterranéo en 2006, il n’avait pas encore eu l’opportunité d’être publié par un éditeur européen. Vies volées vient donc combler ce manque. Ce n’est par contre pas une première pour Alain Kojélé qui a déjà publié en Belgique, Zamadrogo (Ed. Mabiki, 2006) et sur Ananzie.net, un sympathique feuilleton à l’eau de rose : Kamuke sukali vs Papa mopao entre septembre et décembre 2007. Deux des trois histoires qui composent cet album abordent le même thème : les violences subies par les femmes en temps de guerre civile avec son cortège de viols, d’esclavage sexuel, de meurtres… La troisième dessinée par Kassaï, parle du Sida et des rapports sexuels non protégés.
Les trois bédéistes, issus de pays touchés par la guerre et le Sida, evoquent une situation qu’ils connaissent bien. On peut seulement regretter le traitement scénaristique un peu plat de ces trois histoires. L’intensité dramatique y est faible et le lecteur a du mal à entrer en empathie avec les héroïnes confrontées à une succession de malheurs. La faute en incombe certainement à l’influence des travaux de commande de la part d’ONG installées sur place auxquels ces auteurs doivent habituellement répondre pour (sur)vivre. Souvent centrée autour du Sida, de la guerre ou des enfants soldats, cette production de faible qualité influence manifestement les bédéistes africains dans leur travail personnel. L’approche, généralement didactique et démonstrative de ces travaux se retrouve parfois dans quelques-unes de leurs albums, dépersonnalisant la façon dont certains artistes abordent le sujet. Rien d’irrécupérable, cependant, les histoires se lisent tout de même avec plaisir et, surtout, s’adressent à un très large public.
Graphiquement, les trois auteurs relèvent de la ligne franco-belge, avec un sens très soutenu du cadrage. Didier Kassaï démontre un beau travail de pinceau léger et précis à la fois avec un découpage qui rappelle la technique de Will Eisner. Alix Fuilu, qui fait des progrès à chaque parution, garde la même constance de dessin durant toute l’histoire avec un bon sens du gestuel, malgré une tendance à toujours travailler en plan moyen qui nuit un peu à l’humanité de ses personnages. Enfin, Alain Kojélé montre une belle maîtrise. Il lui reste à mieux maîtriser les détails en arrière-plans pour toucher au très haut niveau….
Ces deux albums, qui constituent au final une belle production, marquent une étape importante pour le dessinateur Alix Fuilu (responsable d’Afrobulles). Sur un plan professionnel, ces deux titres sont en net progrès par rapport aux quatre collectifs précédents. La technique de la couleur est mieux maîtrisée, en particulier pour Vies volées où le jeune français Simon Sternis fait ses débuts de coloriste (son père, Philippe Sternis avait participé au N°4 de Afrobulles). Les fautes d’orthographe et de syntaxe ont disparu, le format est plus grand et les deux couvertures sont une belle réussite. En résumé, on a affaire à de beaux objets bien conçus à un prix relativement abordable (10,50 €) sur le marché actuel. Les responsables du secteur BD de la Fnac du Forum des Halles à Paris ne s’y sont pas trompés puisque ces deux ouvrages – lancés en mars 2008 au dernier Salon du livre de Paris – étaient en vedette, au moment de leur sortie, au rayon des nouveautés, fait rarissime pour des BD africaines. Les premières ventes (250 exemplaires écoulés pour chaque titre en 5 jours) laissent espérer un succès pour le dynamique Alix Fuilu qui n’a pas hésité à contracter un emprunt pour se lancer dans l’édition. Dans l’univers devenu très formaté de la BD, ce genre de production, très marqué « Afrique », a manifestement sa place.

Pour commander (diffusé par Makassar) :
Vies volées, collectif, Afrobulles éditions, 2008. ISBN 978-2-916690-01-8
Corne et ivoire, Ström et Pakondji, Afrobulles éditions, 2008. ISBN 978-2-916690-04-9///Article N° : 7492

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