Les Arrivants

De Claudine Bories et Patrick Chagnard

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L’immigration telle qu’on la vit aujourd’hui est un phénomène chargé d’histoire. Issue du colonialisme, liée aux guerres et dictatures dans lesquelles les pays occidentaux trempent, elle est au cœur des questions politiques contemporaines. Comment ne pas voir le gouffre entre l’aspect institutionnel et la dimension humaine ? Voilà de quoi soulever la question universelle de la solidarité de l’individu face à une société incapable de traiter les problèmes concrets qui la secouent. C’est ce que font des films comme Welcome (Philippe Lioret, 2009) ou The Visitor (Thomas McCarthy, 2007), où le personnage principal choisit de venir en aide à des immigrés clandestins. Les Arrivants emploie une méthode différente avec ce témoignage filmé de familles en demande d’asile politique, chacune dans une situation très différente mais chacune face à la même procédure d’attente légale dans l’illégalité, avec un soutien financier insuffisant mais avec interdiction de subvenir à ses propres besoins.
Dans ce monde surpeuplé où les inégalités sont immenses, chaque citoyen français connaît des immigrés en proie aux arcanes de l’administration. On sait qu’il y a des absurdités, que les procédures sont longues, indifférenciées, autrement dit, que le système n’est pas parfait. Mais ce qu’on découvre avec Les Arrivants, c’est à la fois le manque de moyens chronique des services de la CAFDA (la Coordination pour l’Accueil des Familles Demandeuses d’Asile) et le paternalisme révoltant que les familles subissent, après avoir survécu à des périples aussi dangereux qu’onéreux, dans leur pays comme en Europe. Aucune question n’est jamais posée par les cinéastes, qui se contentent de filmer les entretiens de quelques familles avec leur assistante sociale, puis la déposition écrite pour le dossier qui sera soumis à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). La caméra témoigne sans donner les explications qui ne viennent qu’au fil des conversations. La trame narrative est réduite au suivi des différents dossiers, un rejet par l’OFPRA conduisant à l’expulsion.
Le rapport avec les assistantes sociales est dominé par leur frustration de ne pouvoir faire davantage pour des familles à qui elles annoncent une procédure longue et éprouvante. Elles préviennent du risque d’expulsion à tout moment pour une infraction quelconque, de l’impossibilité de travailler légalement et de l’obligation de détailler leur histoire, au risque de dénoncer leurs futurs bourreaux. Entre la barrière de la langue et la différence culturelle, le dialogue est souvent difficile. En position de pouvoir, les assistantes sociales émettent parfois des propos tels que les traducteurs, certainement eux-mêmes issus de l’immigration, prennent l’initiative de ne pas les traduire. L’espace réduit force les plans rapprochés sur les visages de chacun des partis. La jeune assistante sociale qui, dans la tradition du cinéma-vérité, se prête courageusement au jeu de la caméra invisible, est particulièrement touchante de naïveté et de condescendance. On ne peut s’empêcher de penser qu’elle manque cruellement d’expérience, mais quand on voit qu’une institution court après les tickets-repas et les abonnements RATP, on se dit qu’elle fait sans doute aussi des économies sur la formation…
Avec pertinence, Les Arrivants offre d’édifiants éléments de réflexion sur les conséquences de la politique de fermeture des frontières, les priorités budgétaires au sein de cette politique, les conditions de travail du personnel associatif dans ce chaos permanent, mais aussi sur l’exercice du pouvoir sur des personnes vulnérables et l’effet qu’a ce pouvoir sur les personnes qui l’exercent pour d’autres. Au final, il fait le triste constat que la France n’est pas la terre d’asile qu’elle croit être. Le faisant sans grands discours mais en se centrant sur les gens concernés, c’est leur humanité qui perce et ainsi le scandale de ces pitoyables traitements.

///Article N° : 9415

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