Les assos font leur cinéma

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En marge de l’industrie cinématographique traditionnelle et du show-business, de nombreuses associations s’activent pour démocratiser l’accès au cinéma et la création dans les quartiers populaires. Petit tour d’horizon d’initiatives franciliennes.

Les associations de quartier tentent de démocratiser le septième art. Majoritairement produits par des sociétés de production bien installées dans le centre de Paris, les films français représentent peu la réalité des quartiers populaires.
Cependant, alors que la diversité perce progressivement les écrans, l’État soutient plusieurs dispositifs d’appui importants : Passeurs d’Images, dispositif national d’éducation à l’image ; le Fonds Images de la Diversité, créé en 2007 et géré par l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE).
Les 1 000 visages de la France
C’est sur la base de ce constat qu’Eiji Ieno et Uda Benyamina ont créé en 2006 l’association 1 000 Visages, à Viry-Châtillon.
Refusant que le cinéma français « demeure le véhicule implicite des stéréotypes et des stigmates plaqués sur la banlieue », l’association encourage la réalisation de courts et longs-métrages citoyens dans les quartiers populaires mais aussi dans les pays du pourtour méditerranéen avec des ateliers, à Ouarzazate (Maroc) notamment.
Partant du fait que « les arts cinématographiques et audiovisuels de masse sont très loin d’incarner un modèle de diversité », l’association réunit une salariée, trois volontaires et vingt-cinq bénévoles autour de jeunes confrontés à ce « plafond de verre » qui limite leur accès aux métiers du cinéma. « Nous avons décidé d’insuffler une dynamique plus ouverte et plus démocratique au cinéma français afin qu’il soit représentatif des 1 000 visages et des 1 000 compétences de la France d’aujourd’hui », explique la chargée de mission Sandrine Barrucand.
Pour preuve, la projection de l’un de leur film durant le Festival de Cannes (voir encadré) marque l’entrée de ces jeunes dans le monde professionnel du septième art. « Je n’aurai jamais imaginé aller à Cannes. Maintenant je me dis : pourquoi pas ? ». Heureusement qu’il y a des associations comme celles-là qui nous disent que c’est possible ! », témoigne Jessica, 18 ans, engagée dans l’association 1 000 visages depuis cinq ans. « J’appréhende tout de même un peu cet événement et me demande, comment va être perçu notre film », continue-t-elle.
Faire parler les jeunes
« Les initiatives associatives ont un sens si elles n’essaient pas d’imiter le cinéma commercial. Celui-ci enferme dans une perception stéréotypée de la réalité et nous n’aurons jamais les mêmes moyens ! » insiste Jérôme Polidor, formateur au sein de l’association Les Engraineurs à Pantin. Fondée par Boris Seguin, professeur de français, et Julien Sicard, producteur, l’association est née en 1997 dans la cité des Courtillières à la suite d’un tournage. Fonctionnant avec trois salariés et une douzaine de bénévoles, elle implique des 10-25 ans dans toutes les étapes de fabrication de films documentaires, fictions ou sketchs.
Avec plus d’une soixantaine de films à son actif, Les Engraineurs fait émerger la parole des jeunes en France comme à l’étranger et propose des œuvres à l’image de ses participants : multiculturelles. Un défi dans un pays où les comédiens noirs sont encore incontestablement cantonnés dans des stéréotypes comme en témoigne le rôle de Omar Sy dans Intouchables. Sans concession sur ce sujet, Jérôme Polidor affirme que le cinéma français est aujourd’hui « économiquement dominé par une élite satisfaite d’elle-même ; artistiquement centrée sur les destins individuels, l’intime, la psychologie ; formellement formatée par les contraintes télévisuelles et publicitaires et politiquement affaiblie, accompagnant l’accroissement des inégalités sans véritable combat et sans grand espoir ».
« Filmer la banlieue »
Ce grand espoir, les banlieues françaises le représentent. Mais parce que leur jeunesse ne se projette pas dans les métiers du cinéma et que le milieu professionnel craint de s’ouvrir à l’Autre, un fossé grandissant se creuse entre le cinéma français et son public de banlieue.
Si des producteurs tels que Luc Besson (La Planque d’Akim Isker), Gregory Bernard (Faire l’amour de Djinn Carrénard) ou Nicolas Blanc (La Cité rose de Julien Abraham) commencent à soutenir de jeunes auteurs, le chemin à parcourir reste encore long. En cela, les structures associatives permettent « de raconter et de se raconter sans passer par une lourde machine et en interrogeant la fabrication des images qui peuvent manipuler », explique Karen Fichelson, fondatrice de la compagnie Le Masque Calao. Fondée en 2002 à Villejuif, cette structure allie cinéma et théâtre et réalise depuis 2009 des courts métrages collectifs avec des 18-22 ans.
En 2011, jeunes et intermittents du spectacle ont réalisé un film intitulé L’Amour en bas des tours. Dénonçant le manque d’ouverture d’un grand frère, « Noir », qui refuse que sa sœur sorte avec un « Arabe », le film aborde un sujet peu traité par le cinéma français.
Si Djamel Bensalah a tourné Neuilly sa mère !, que Rabah Ameur-Zaïmeche a filmé l’Aveyron (Les Chants de Mandrin) ou que Abdellatif Khechiche a reconstitué Picadilly pour Vénus Noire, c’est avant tout en filmant la banlieue (Le Ciel, les Oiseaux et ta Mère ; Wesh wesh ; L’Esquive…) que ces auteurs se sont fait (re)connaître. Sceptiques, les acteurs du Masque Calao s’interrogent. Faudrait-il nécessairement que « les jeunes de banlieue fassent des films en banlieue » ?

///Article N° : 10848

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Les images de l'article
Tournage du court-métrage L'Amour en bas des tours dans les quartiers sud de Villejuif © Le masque Calao





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