« Les discours politiques ont un effet palpable sur ce que pense la population »

Entretien de Carole Dieterich avec Réda Didi

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Réda Didi, fondateur de l’association Graines de France, revient sur le rapport du think tank intitulé Altérité, racisme et xénophobie dans les campagnes présidentielles et législatives de 2012. Pour lui, il faut donner aux populations stigmatisées dans les discours politiques les moyens de riposter en faisant de la « politique par le bas ». Tout un programme pour le gouvernement en place !

Dans quelle mesure les discours des hommes politiques ont un impact sur les comportements ?
Les propos des hommes politiques ont un effet palpable sur ce que peut penser la population et sur le discours que développe le citoyen lambda. La logique est assez simple (même si je caricature) : « Si le chef le dit, je peux le dire aussi ». La commission nationale consultative des droits de l’homme constate d’ailleurs dans [son rapport de 2011], une diminution de la tolérance des Français vis-à-vis des personnes d’origines étrangères
Je pense que les hommes politiques utilisent tous les outils qui permettent de prendre un appareil et d’accéder au pouvoir. Ils développent ainsi des discours qui peuvent toucher l’imaginaire de chacun. Les faits sont peu probants, les caricatures nombreuses et les connotations sont toujours négatives.
Ces techniques remplissent l’objectif à court terme de ceux qui aspirent à diriger. Néanmoins, cette attitude a des impacts à long terme très fort, notamment sur la structuration de la pensée de la population.
On se souvient [du discours de Jacques Chirac] sur le « bruit et l’odeur » en 1991. Le discours politique n’a-t-il pas toujours été traversé par ce genre de phénomènes ?
Les discours stigmatisant les populations issues de l’immigration n’avaient jamais pris autant de place. Auparavant, il s’agissait de marqueurs très légers pour envoyer des messages à une partie de l’électorat, ces thèmes ne représentaient pas plus de 10 secondes dans un discours. Aujourd’hui, nous avons pu constater qu’une grosse partie de la campagne était focalisée sur ces thématiques. Le Front national a beaucoup alimenté le débat, tout comme une partie de l’UMP, donc par une partie du principal parti de droite dit « républicain ». C’est là que le bât blesse.
Dans la campagne présidentielle de 2012, nous avons noté des tentatives intéressantes d’aller à contre-courant. Je pense notamment au [discours de Marseille prononcé par Jean-Luc Mélenchon] (dernier discours de campagne de Jean-Luc Mélenchon, tourné vers la Méditerranée et dans lequel il a estimé que le métissage de la France était une chance. Mais ces tentatives n’ont eu que peu d’impact, en témoignent les résultats du candidat du Front de gauche.
Quels rôles les médias peuvent-ils jouer ?
L’étude de Graines de France portait sur le discours politique et non sur le discours médiatique. Néanmoins, sur ces questions, on constate que l’islam et les quartiers populaires, par exemple, saturent les médias. Ces thèmes sont toujours abordés de façon négative. Les habitants des quartiers populaires reconnaissent les problèmes mais il existe également de belles initiatives qui ne sont pas suffisamment relayées.
Finalement, ce reproche peut-être fait aux médias sur tous les sujets (« les médias ne parlent jamais des trains qui arrivent à l’heure ») ?
Si on peut faire le même reproche aux journalistes sur tous les sujets, tous les milieux n’ont pas la même capacité d’autodéfense.
Par exemple, si les dérives du football sont soulignées, on voit malgré tout les beaux buts. Les quartiers populaires, eux, n’ont pas le contrôle de leur image.
Ce que notre étude a montré c’est que malgré les attaques dont les quartiers font l’objet, on constate peu de réaction de défense. Personne n’a déminé le discours développé et la Gauche, plutôt que de déconstruire ce discours et de sortir des catégories ethniques imposées par l’extrême droite et une partie de la droite, était en réaction.
Comment lutter contre ces dérives racistes et antisémites dans les discours politiques ?
Nous n’avons pas fait de préconisation mais je pense que la première chose à faire est de travailler sur la sémantique, sur les mots utilisés. Il faut redéfinir le vocabulaire que l’on utilise tous vis-à-vis de ces populations. En 2013, nous avons pour projet de travailler sur la sémantique et d’organiser un séminaire sur les mots.
Il faut également faire de la politique par le bas. L’idée est de redonner à la base des moyens de faire de la politique, entre autres, par le biais du community organising.
Qu’en est-il du community organising en France ?
En France, on estime que les institutions publiques sont tellement fortes qu’elles doivent quasiment s’occuper de tout. Dans un système libéral comme le système américain, le citoyen lambda doit s’organiser pour améliorer lui-même son lieu de vie.
En France, on trouve très peu de financements privés pour travailler sur les quartiers populaires, tout vient de l’État. Aux États-Unis, l’État intervient peu et les fondations privées sont nombreuses.
Il y a eu de nombreuses tentatives de faire émerger du community organising mais les fonds publics « tiennent » les instigateurs qui se font très vite « racheter ». Ainsi, de nombreux leaders d’associations sont entrés en politique. Ce schéma est classique, c’est comme cela que l’on fait de la politique dans notre pays.

///Article N° : 11261

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© Graines de France





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