Les Fresques des oubliés – entretien d’Olivier Barlet avec Samantha Biffot et Amédée Pacôme

Print Friendly, PDF & Email

Sélectionnés pour participer à la Fabrique des Cinémas du monde au festival de Cannes 2021 avec leur projet de long métrage, le réalisateur Amédée Pacôme Nkoulou et la productrice-réalisatrice Samantha Biffot ont répondu à nos questions sur la Fabrique et leur projet.

Comment avez-vous réagi par rapport au fait d’avoir été sélectionnés à la Fabrique des cinémas du monde ?

Samantha Biffot (S.B.) : On était aux anges, parce que c’est un programme qui nous faisait rêver. Cannes, c’est un peu le Saint-Graal du cinéma. On a bien conscience que rentrer dans La Fabrique, c’est rentrer dans un réseau.

Qu’est-ce que cela va vous permettre ?

S.B. : Un réseau, c’est d’être connus auprès des différents fonds, et des sections cannoises qu’on a pu rencontrer. Cela permet aussi de comprendre ce qui est attendu, ce qui est aimé. La partie formation est importante aussi : ce qu’on peut demander, comment faire une coproduction sereine, sur un pied d’égalité. Avoir la conscience qu’on apporte la matière première et qu’il n’y a pas à se mettre à plat ventre parce qu’il n’y a pas d’argent. Il y a moyen d’avoir des relations saines.

Donc ne pas avoir à se dévaloriser…

S.B. : Le cinéma, c’est de l’art avant tout, donc il faut trouver un juste milieu entre création et finance.

Amédée Pacôme (A.P.) : Lorsque j’ai commencé à faire des films, Cannes était toujours dans un coin de ma tête. Nous pouvons développer le projet et toucher des gens qui ne sont pas forcément de notre univers. La Fabrique et Cannes en général sont des passerelles extraordinaires pour un jeune cinéaste.

Vous parlez là d’émulation par rapport à votre projet ?

A.P. : Absolument. Dans nos pays, on pense qu’il faut travailler avec des coproducteurs français ou belges, mais à La Fabrique, on a des regards de l’Argentine, du Chili, du Canada… Cette diversité de regards est une chance et nourrit le projet.

Samantha, vous êtes là en tant que productrice. On vous connaît en tant que réalisatrice. Quel est l’intérêt d’être productrice aujourd’hui, de mener ensemble les deux de front ?

S.B. : Au Gabon, le manque de producteurs est flagrant. Ce n’est pas mon projet, mais j’arrive à me projeter dedans et à me motiver pour le réalisateur. C’est passionnant de voir comment un projet naît et évolue. Je trouve que ce n’est finalement pas si différent que d’être à la genèse d’un projet – c’est juste que j’accompagne quelqu’un d’autre pour le faire. Je pense que le fait que j’ai un œil de cinéaste apporte un petit plus : je peux travailler davantage sur le contenu, être plus dans le créatif. La Fabrique m’aide plus pour le côté stratégique, financier, vente et autres. Sur le côté créatif, je peux vraiment aider Amédée, le pousser dans ses retranchements, écouter ce qu’il a à dire et faire des propositions.

Vous avez une maison de production ?

S.B. : Oui. J’ai monté Princesse M Productions avec mon associé Pierre-Adrien Ceccaldi pour mes propres projets et ai ainsi découvert cette passion pour la production. L’industrie audiovisuelle au Gabon est presque au point mort : des cinéastes comme Nathalie Pontalier, Amédée Pacôme ou Pauline Mvélé ne vont pas forcément trouver un producteur sur place.

Comment se fait-il, après les efforts de Charles Mensah et Imunga Ivanga, que l’industrie du cinéma au Gabon ne décolle pas ?

A.P. : La production de longs métrages est faible, mais il faut dire que nous sommes une génération qui émerge, les gens ne sont pas encore habitués à nous voir. C’est à nous de nous bouger et se serrer les coudes. Cela ne va pas venir de l’extérieur, il nous faut essayer d’avancer ensemble.

S.B. : L’Institut Gabonais de l’Image et du Son (IGIS) a été une chance comme un malheur. On assiste à une transition entre une génération de cinéastes qui a vécu avec l’Institut – donc pour laquelle il y avait de l’argent – et une nouvelle génération qui ne savent pas comment faire car il n’y a plus d’argent. Les professionnels, par exemple les acteurs, avaient l’habitude avec l’IGIS de toucher 200 000 Fcfa par jour. Je leur réponds que suis productrice et non un organisme étatique, que j’ai un budget défini. Il aurait fallu que l’IGIS développe les producteurs indépendants, pour qu’ils sachent se débrouiller seuls. On est clairement en train d’assister à une transition. Il y a des initiatives dans la nouvelle génération, mais il faut tout restructurer.

On ne cesse de repartir à zéro, c’est un peu terrible !

S.B. : Oui, mais l’idée, c’est d’essayer au maximum de ne pas compter sur l’État pour faire nos projets ; on essaye de travailler avec des bailleurs ou diffuseurs internationaux. On a vite compris qu’on ne pouvait pas compter sur l’Etat ou très peu. Essayons donc de créer nos propres choses et nous battre. On aime trop notre métier pour rester là plantés à ne rien faire !

Comment choisissez-vous entre documentaire et fiction ?

S.B. : C’est sa première fiction, mais son dernier projet, Boxing Libreville (2018), que l’on a fait ensemble, était effectivement un documentaire.

A.P. : Comme l’a dit Samantha, nous sommes sur notre premier projet de fiction long-métrage, Les Fresques des oubliés. Le film se déroule dans un état fictif africain et raconte l’histoire de Kinga, un jeune street artist, qui sort de prison après y avoir passé deux ans pour avoir fait une caricature contre le pouvoir. À sa sortie, il est traumatisé et il a une main brisée. Il décide de se recroqueviller dans sa petite chambre, chez sa grand-mère, et de se couper de tout ce qui est univers politique. Un ami l’emmène chez un vieillard, Makoto, qui lui parle d’une fresque qui motivait les gens à la révolution. Il se met en quête de cette fresque. Le film propose de briser la peur, et retrouver une forme de courage.

Dans Il va pleuvoir sur Conakry de Cheick Fantamady Camara (2006), un caricaturiste avait des problèmes avec son journal. Dans L’Ombre de Liberty d’Imunga Ivanga (2007), c’est un animateur de radio qui s’opposait au pouvoir. Vous pensez qu’il faut revenir aujourd’hui sur cette thématique d’une parole politique face à un pouvoir répressif ?

A.P. : Cette thématique sert de toile de fond pour voir comment la jeunesse perçoit ce combat. Les luttes politiques ont été très brutales, frontales, violentes. Je pense qu’il faut renverser les choses, et apprendre à lutter à travers une forme de beauté, de poésie, une forme d’art, d’intelligence, qui mobilise la créativité.

S.B. : La politique est effectivement en arrière-plan du projet. Amédée veut se concentrer sur le portrait intimiste d’un homme brisé, qui apprend à ne plus avoir peur et à se libérer d’un traumatisme. D’où la nécessité d’être dans un État fictif.

Qui se reconstruit par l’art ?

S.B. : Oui. Nous avons contacté via Google et Instagram un street artist sud-africain de Cape Town dont nous aimons le travail. Il a adoré le projet et va nous accompagner pour les fresques que le vieux fou fait toutes les nuits sur les murs de la ville, et qui sont effacées tous les matins par les agents municipaux.

On peut donc imaginer qu’il y ait une coproduction sud-africaine ?

S.B. : La Fabrique nous y a encouragés, ainsi que pour le Canada. De plus l’Afrique du Sud et le Kenya ont des équipements de postproduction.

En définitive, qu’est-ce qui vous a amené à ce sujet ?

A.P. : Au départ, je voulais repartir sur du documentaire, mais j’ai été traumatisé par les violences postélectorales de 2016. Il nous fallait dépasser ce qui s’est passé. Je voulais écouter les victimes. Nos recherches ont montré que c’était encore un sujet sensible et tabou. C’est là que la fiction s’est imposée.

Le Gabon a une grande tradition artistique, du Mvet aux expressions urbaines des matitis. Vous ne vouliez pas puiser là-dedans ?

A.P. : Il serait intéressant de connecter la puissance urbaine du Gabon à ce contexte artistique. Pour le moment, nous sommes vraiment sur les fresques, mais on pourrait ajouter d’autres formes d’art traditionnel.

S.B. : Le personnage de Kinga squatte avec un groupe d’artistes un immeuble abandonné. Une jeunesse qui cherche à respirer. Il y aura du slam dans une scène de concert, une expression très en vogue au Gabon.

Où en est votre projet ?

S.B. : La Fabrique nous a justement permis de faire le point. Nous avons une troisième version du scénario depuis le passage d’Amédée au Moulin d’Andé. Il y fera sa dernière session d’écriture après Cannes. Je suis moi-même passé par un programme pour les producteurs européens, avec un script-doctor, Jacques Akchoti, qui nous a accompagnés sur les tout premiers traitements. Cela nous a énormément aidés sur la structuration de l’histoire. On aimerait encore faire un dernier lab d’écriture pour finir de lisser le tout. On a eu le Prix Hubert Bals pour le développement et on est en train de voir si on peut faire l’Atelier Grand Nord avant de pouvoir commencer les recherches de financement pour la production en début 2022 et essayer de tourner fin 2022. Ensuite ce sera Cannes ! (rires)

On voit parfois des films avec trois ou quatre labs qui s’alignent au générique. On se dit : « finalement, qui a écrit ce film ? »

S.B. : Oui. Quand on est arrivés à La Fabrique, Amédée ne voulait d’ailleurs plus faire de labs d’écriture. Mais en discutant sur le scénario, on s’est dit qu’en fait, on aimerait bien avoir un dernier accompagnement, mais vraiment suivi.

Vous avez l’impression que le film est déjà bien abouti ?

S.B. : Oui, je suis très confiante. Le travail avec Jacques Akchoti nous a vraiment fait faire un bond en avant. On a vraiment pu cerner les points qui n’étaient pas forcément clairs, qu’il fallait davantage travailler.

Merci à Mélanie Russeil-Salvan pour son aide à la transcription.

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire