« Les questions de croyance sont passées à une vitesse supérieure »

Entretien de Sid-Lamine Salouka avec Kollo Daniel Sanou à propos du film Le Poids du serment

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Quel a été le parcours de votre film, Le Poids du serment, après la 22e édition du Fespaco où il a obtenu le prix du meilleur montage ?
Le film a un parcours assez intéressant depuis sa sortie au Fespaco 2011 et malgré le peu de moyens que la production a eu pour sa promotion. Le Poids du serment est une production faite avec un petit budget. D’ailleurs le film a pu voir le jour grâce au soutien en post-production du Centre cinématographique marocain. À la première mondiale au Fespaco, nous n’avions fait que quatre petites affiches mais le jury officiel a quand même remarqué le film et lui a attribué le prix du meilleur montage. Cela m’a donné de l’espoir et j’ai engagé le film dans une action dite de promotion internationale dans les festivals. C’est ainsi qu’après le Fespaco nous avons été au Festival du film africain d’Angers, où j’avais déjà été en 2005 avec Tasuma. Cette année Le Poids du serment a été invité en compétition officielle. Nous avons eu un prix avec le jury jeune de ce festival qui a trouvé que le film était contemporain, qu’il traitait d’un sujet vraiment sensible et qui interpellait la jeunesse également. Par la suite, le film a été au Festival international du film d’Innsbruck en Autriche, que je connaissais également depuis 2005 ou 2006 car j’y avais été invité. Le jury officiel a trouvé que Le Poids du serment méritait le Grand Prix. Malgré la faiblesse des moyens de production, le sujet les a interpellés et ils ont trouvé qu’il fallait mettre le film en valeur pour qu’il puisse circuler et qu’il puisse toucher un autre public qui a besoin de connaître les réalités de l’Afrique d’aujourd’hui. Actuellement, le film est au Maroc, à un festival où je n’ai pas pu me rendre en raison de sa sortie à Bobo-Dioulasso
Quelle est l’importance d’un festival pour un film comme Le Poids du serment ?
Pour moi, un festival est d’abord un lieu d’échanges entre collègues producteurs, réalisateurs… et aussi un lieu de découverte des autres films du monde. Si le film est en compétition et retient l’attention du public, c’est tant mieux ! Sinon, on ne peut pas imaginer être le seul à avoir droit à des lauriers tout le temps. Chaque œuvre a sa force, sa qualité. Chaque jury est également indépendant. Si on attribue un prix à tel ou tel collègue, je félicite le réalisateur ou le producteur parce que je sais que c’est un métier difficile et que, quelque part, cela va l’aider à continuer de travailler, à faire des films.
Avez-vous pu vendre le film grâce aux prix que vous avez obtenus ?
Pour le moment, le film n’est pas vendu pour une exploitation commerciale internationale. Nous l’avons programmé au Burkina Faso dans des salles déjà connues comme le ciné Burkina et le ciné Neerwaya. La sortie à Bobo-Dioulasso s’est faite hier au ciné Sanyon, avec une soirée de gala parrainée par l’archevêque émérite Monseigneur Anselme Sanou, sous le patronage du ministre de la Fonction publique et en présence du gouverneur de la région et d’autres autorités. Je pense qu’il est important que les autorités politiques soutiennent nos productions. Il faut qu’ils comprennent que chacun doit y mettre du sien, ne serait-ce qu’en tant que spectateur qui paye son ticket, afin que naisse enfin cette industrie du cinéma qui tarde à venir. Il ne faut pas que les cinéastes soient abandonnés et considérés comme des affairistes ou des emmerdeurs, comme certains le croient. En réalité, chacun est assis chaque soir devant sa télé et, avec sa télécommande, il est à la recherche d’images qui font plaisir, qui donnent de l’émotion. S’il y a des gens autour de vous qui peuvent le faire, il faut les soutenir au lieu d’aller chercher des images dans des environnements qui ne nous concernent pas du tout.
Quel a été l’accueil réservé au Poids du serment par le public de Ouagadougou ?
Bien, dans la mesure où nous sortons quand même d’une période trouble au Burkina avec la récente crise militaire. L’engouement pour les sorties a donc beaucoup baissé. Les gens viennent au cinéma quand ils ont la tête tranquille. Mais quand vous avez l’impression qu’il y a des gens qui circulent avec des armes, qui sont capables de vous arrêter pour vous déposséder de vos biens, il y a de quoi être méfiant. Cela, quelle que soit la qualité du film présenté. Cette crise ne nous a pas rendu service à nous, les gens de la culture, surtout pour les spectacles de nuit. Mais enfin, le film a été bien accueilli au Ciné Neewaya où les recettes étaient correctes. Quant au Ciné Burkina, c’est une salle qui a besoin d’être réellement promue. En tant que salle phare du cinéma à Ouaga, sa gestion n’est pas correcte du tout depuis le dépôt de bilan de la Sonacib.
Que reprochez-vous à cette salle ?
La qualité des prestations livrées au public et l’environnement ! Il semble que cette salle ait perdu son lustre d’antan. Elle ne montre pas au public les prestations, l’environnement, l’attirance d’il y a quelques années. Arpa avait essayé de relancer les choses mais des erreurs ont fait que cette association n’a pas pu continuer. Aujourd’hui, la responsabilité revient au ciné Neerwaya de relancer l’exploitation au ciné Burkina. Mais il y a aussi la responsabilité de la Caisse nationale de sécurité sociale dans la mesure où c’est elle qui a bénéficié de la privatisation de cette salle et qu’elle la met en sous-location. Ce n’est pas très clair. C’est vrai que l’État fait peur partout dans le monde. Au niveau de l’exploitation cinématographique également, il ne serait pas très heureux que celle-ci soit confiée à une seule structure. Je sais qu’il y des exploitants privés qui n’ont même pas de salle et qui, malheureusement, gèrent des salles dans les quartiers périphériques de Ouaga. Ils ont l’ambition d’aller plus loin mais c’est un domaine d’activité qui nécessite de l’équipement et qui nécessite également que les exploitants aient leur propre salle de qualité. Surtout dans un environnement professionnel où le numérique arrive dans le domaine de l’exploitation, fait qui, curieusement, ne semble pas être d’actualité au Burkina alors qu’un peu partout dans le monde, c’est un sujet préoccupant. Le cinéma d’exploitation connu jusqu’à présent avec la pellicule argentique tend à disparaître. Elle va disparaître parce que l’exploitation se fera de plus en plus en numérique, c’est-à-dire avec une centralisation de la diffusion usant d’un équipement numérique pour éviter la piraterie et pour mieux contrôler l’exploitation. Aussi, cette évolution est à l’image des nouvelles technologies de l’information, à tous les niveaux dans le monde. Au niveau de la production, nous vivons déjà cette réalité : à savoir que les caméras que nous utilisons sont de moins en moins souvent argentiques car les pellicules coûtent très cher. Nous utilisons donc des images vidéo numériques d’une qualité qui tend vers le 35 mm, support habituel d’exploitation dans les salles avec pellicule. Pourquoi donc ne pas aller vers la diffusion en numérique ? Si les exploitants n’ont pas les moyens, ni même le souci de s’équiper, alors le Burkina sera à la traîne. Et je me demande comment le Fespaco fera parce que les réalisateurs du Maghreb et d’autres régions d’Afrique ne répondront pas toujours à l’exigence de fournir des films en 35 mm. À la longue, même les laboratoires produisant ces pellicules ne pourront pas suivre. Il en est de même pour les équipements de projection. Nous avons fait l’expérience ici, à Bobo-Dioulasso : la salle du ciné Sanyon est là mais le projecteur 35 mm n’est plus utilisé depuis des années ! L’exploitation se fait uniquement en numérique qui n’est même pas de très grande qualité.
En effet, il s’agit d’un appareil plus adapté aux projections dans un cadre familial.
C’est du DVD 2K, ce qui n’est pas un format professionnel. Il faut le 4K dont la qualité des images approche le 35 mm. Il y a des vidéo-projecteurs numériques 4K. C’est ce qui est déjà installé dans les salles un peu partout dans le monde. C’est dommage qu’on n’arrive toujours pas à ce 4K au Burkina. Si un effort n’est pas fait au niveau des autorités et des exploitants, ce qu’on redoute va survenir.
Dans ce cas, pourquoi n’êtes-vous pas allé franchement au numérique dans la réalisation du Poids du serment ?
Mais ce film a été tourné en et monté numérique ! Mais pour l’exploitation finale, il fallait le sortir en 35 parce que le Fespaco l’exigeait. D’autres festivals dans le monde continuent de le faire également. Nous tournons en numérique parce que c’est le moins coûteux, mais à l’exploitation on est toujours en 35.
Vous ne semblez pas satisfait du montage financier de ce film. Qu’auriez-vous fait de plus si vous aviez eu plus d’argent ?
J’aurais pu mieux fignoler la qualité artistique et technique avec des équipements dont nous disposons à Ouagadougou. Des travellings, des grues… Et aussi la qualité des décors, la prestation des techniciens à qui j’aurais donné plus de temps de travail, et bien des choses. Mais quand on n’a pas beaucoup de temps et qu’on tourne dans l’urgence, on ferme les yeux sur certaines erreurs. Par exemple, au montage j’ai vu des erreurs sur certaines images qu’on n’aurait pu refaire mais qu’on a dû conserver. Pareil pour l’étalonnage. Je suis content du travail fait au Maroc mais quand on tourne en numérique, la qualité des images change souvent d’un plan à l’autre. Il faut une forte exigence – et des moyens ! – pour indiquer à l’étalonneur ce qu’il faut corriger image par image pour harmoniser la qualité. Peut-être que le grand public ne perçoit pas ces détails mais il est mieux d’être exigeant dans ce métier si on veut réellement des œuvres de qualité, qui puissent circuler partout dans le monde.
En dehors de cet aspect, la coopération avec le Maroc est-elle satisfaisante ?
Oui. Le partenariat a été possible à partir des accords de coproduction cinématographique que le Burkina a signés avec le Maroc et grâce à notre initiative, le coproducteur et moi, de contacter le Centre cinématographique marocain. Le directeur, Monsieur Noureddine Sahel, est un panafricaniste très engagé dans la défense et la promotion des images de l’Afrique. Il a donné son accord tout de suite pour accompagner la finition du film avec des conditions financières assez modestes. Tout s’est bien passé puisque j’ai terminé le montage, le mixage au Maroc, ainsi que les travaux de laboratoire. J’ai même recommandé à des collègues de s’adresser à ce centre et trois réalisateurs dont Missa Hébié et Owell Brown ont suivi ce conseil. Le Maroc est un pays africain francophone où les prestations et les conditions de séjour sont moins chères qu’en Europe.
Pourtant les deux monteurs du film, Latifa Namir et Moutandi Woba, n’ont pas travaillé ensemble, mais l’un après l’autre. Comment est-ce possible ?
Ils n’ont pas travaillé ensemble parce que le montage est toujours dirigé par le réalisateur. Étant l’auteur du scénario, je connais l’histoire mieux qu’eux. Je peux remettre les images au monteur, mais il ne peut pas reconstituer le film ! Il y a celui qui a réalisé le film, qui l’a tourné donc, qui surveille l’enchaînement des images. Si, d’une image à l’autre, cela ne lui convient pas, il dira au monteur quelle image il faut mettre à quelle place. Bref, c’est moi qui ai dirigé le montage avec Moutandi et Latifa. Dans le système européen que nous employons, le monteur n’est pas un auteur, il est technicien. Le réalisateur, s’il est auteur du scénario, est deux fois auteur. S’il est producteur en plus, il surveille tout. Voilà les raisons qui font que nous sommes impliqués dans la chaîne du début à la fin.
Revenons à l’histoire du film elle-même : il s’agit d’un conflit entre une religion traditionnelle et une religion révélée, le christianisme en l’occurrence. Était-il essentiel de poser la question de la religion ?
J’ai senti que c’était un sujet important à cette étape de nos sociétés. Dans les années 85, un aîné, Gnoan M’Bala, avait déjà abordé le sujet à travers son film Au nom du Christ. Il s’agissait d’une comédie réussie qui a obtenu l’Étalon de Yennenga. Plusieurs années après, j’ai abordé le sujet parce que j’ai été inspiré par un fait divers survenu dans mon village. Des jeunes, nés dans le village, connaissant les réalités, les contraintes sociales à ce niveau, les traditions et ses exigences, ont embrassé une autre religion. Ils ont décidé de défier les tenants de la tradition parce qu’ils ne croyaient plus aux pratiques ou bien que leur religion considérait que ces pratiques étaient obsolètes, sataniques, etc. Évidemment le conflit a dégénéré en bastonnades, coups de fouets, chasse à l’homme… Les jeunes ont fini par porter plainte auprès de la gendarmerie. Mais celle-ci a renvoyé les parties dos-à-dos en les conseillant d’aller trouver une solution entre frères. De même, dans certains pays côtiers, j’ai remarqué qu’il y a pas mal de sectes qui gagnent du terrain chez nous. Certaines de ces religions vont jusqu’à prêcher dans les petits marchés de campagne, à la recherche de nouveaux adhérents. Il faut faire attention parce qu’il s’agit pour la plupart d’affairistes qui ont d’autres objectifs que celui de sauver des âmes. C’est ce qui m’a inspiré à faire ce film et je sais que je ne me suis pas trompé.
Le poids du serment n’est pas une comédie. Mais le traitement que vous faites de la religion chrétienne a semblé caricatural à certains qui disent que l’accent est davantage mis sur l’argent et la sexualité débridée du gourou que sur sa spiritualité.
Caricatural, je ne sais pas. Je reconnais que j’ai mis des clichés dans le film mais c’est pour mettre le doigt sur des réalités. C’est une secte anonyme que j’ai cherché à mettre en avant-plan dans le film. Mais j’ai fait en sorte qu’une quelconque religion révélée se trouve mise à l’index dans mon histoire. Vous avez vu les symboles dans le film ? En fait j’ai été inspiré par la clé traditionnelle en bois qui a deux ou trois dents en fourche et j’en ai fait une croix. Pour le gourou, les costumes et tout le reste, je n’ai pas voulu faire le lien avec une religion révélée connue, parce c’est un terrain délicat où l’on peut se retrouver avec des spécialistes de tous genres et de tous bords qui détiennent « la vérité » et qui peuvent vous réciter des chapitres de la bible les yeux fermés. Je n’ai pas la prétention de détenir des connaissances de ce niveau. Moi, je suis un créateur, un artiste qui a senti le besoin de faire un film sur ce sujet. Je me suis dit que c’est important parce que nous sommes dans une époque où les questions de croyances sont passées à une vitesse supérieure. Les choses se règlent dans la violence. On se fait exploser pour montrer son mécontentement face à d’autres personnes qui ne sont pas de votre bord, qui n’ont pas vos croyances. Parce que la limite entre la croyance et le vécu quotidien n’existe pas. Nous le voyons tous les jours. À côté de nous, au Nigeria il y a des conflits tous les jours entre chrétiens et musulmans. En Palestine, en Irak puis maintenant en Afghanistan, les gens se font exploser ! Il ne faut pas penser que l’Afrique est en marge de tout cela et qu’au Burkina on peut se tenir tranquille ! Tous les moyens sont bons pour sensibiliser les gens et leur dire : Attention ! Nous avons des valeurs culturelles, traditionnelles, qui ont longtemps été défendues. Tout n’est pas parfait. Aujourd’hui nous devons nous poser la question de savoir s’il faut mettre toutes ces valeurs à la poubelle et nous accrocher à d’autres spiritualités et d’autres modes de vie. Nous sommes déjà dans le mode de vie occidental, soit, mais les croyances sont vraiment la base de la vie. Si même notre spiritualité doit aller en plus du côté des Occidentaux ou du monde musulman, ou se trouve alors notre identité ? Il ne faut pas oublier que l’Africain porte toujours cette double croyance : qu’il soit chrétien ou musulman, il y a toujours cette autre croyance qu’il ne dit pas publiquement : il reste animiste. Mais cet animisme n’est pas déclaré. J’ai pris dans le film la confrérie des Dozos, parce que c’est un groupe social qui affiche ses croyances et ses prétentions sans complexe. Ils partent d’une histoire qui a été défendue depuis l’empire mandingue fondé par Sunjata Kéita. Les Dozos ont été organisés et ont réussi à résister à tous les aléas du temps, à la pénétration coloniale et aux nouvelles religions. Et ils continuent aujourd’hui de s’associer, de défendre leurs croyances. Au-delà de la chasse, ils ont des croyances qui sont à l’image de nos sociétés un peu partout en Afrique de l’Ouest. J’aurais pu prendre autre chose mais je ne vois pas quel groupe aurait permis cette rencontre. Cela m’a poussé à aborder le sujet, mais sans caricaturer, ni prendre parti pour l’un ou pour l’autre.
Pourtant, on sent qu’il y a plus d’ouverture au monde au niveau des Dozos. Il y a déjà ce chef de village qui est un ancien instituteur, qui connaît le monde mais qui choisit de vivre au village, en respectant les coutumes. Et puis, le personnage principal, Nyama, finit par repartir à sa tradition. N’est-ce pas là un choix du réalisateur ?
Est-ce qu’il est réellement revenu à sa tradition ? Il a décidé de quitter le centre des missionnaires et par sa dernière phrase, sa femme veut qu’il rentre au village. Elle, elle a quitté le village parce qu’elle ne voulait pas être la quatrième épouse du cousin de Nyama et elle pousse son mari à revenir au village parce que son père est malade. Ça, c’est humain. Mais que Nyama aille vivre au village et qu’il soit l’héritier de son père est un autre débat. Je n’ai pas exprimé un choix. C’est un film dont la fin est ouverte. Ils ont quitté le centre mais rien ne dit qu’il va retourner au village et qu’il va repartir à zéro.
Parce qu’il y a des problèmes au village !
Il y a des problèmes… Combien de gens qui sont en ville ne vont pas dans leur village en évoquant cela ? Non. Nos traditions sont plus humanistes que d’autres. On ne le croit pas, mais nous sommes vraiment beaucoup plus ouverts que certains. En Afrique, le respect de l’humain et de la nature est encore perceptible. L’Occidental reconnaît cette valeur à l’Afrique aujourd’hui. Pourquoi devrions-nous en douter nous-mêmes ? Je n’ai fait qu’exprimer le degré de sagesse, de relations humaines que les anciens ont, ou expriment à l’égard d’un étranger qui vient, même pour un peu bousculer et remettre en cause les pratiques quotidiennes ? C’est un peu l’attitude que le chef des Dozos, le chef du village, a adoptée, même en tant qu’intellectuel. Il apparaît comme quelqu’un de plus positif que le gourou et c’est normal. Mais il ne faut pas prendre cela comme un parti pris de ma part. Tout n’est pas parfait dans nos traditions. Il y a beaucoup de choses à remettre en cause.
D’autre part, les scènes filmées au village ont plus de fraîcheur que celles de la ville. Seriez-vous un réalisateur bucolique, plus à l’aise pour tourner au village qu’en ville ?
Non. C’est plutôt dans la ligne de ce que je viens de dire, c’est-à-dire que l’Afrique a des valeurs qui se reflètent dans les milieux où celles-ci sont le mieux respectées, autrement dit dans les villages. Ce n’est pas toujours un environnement paradisiaque où on y va comme dans un club de vacances. Non. C’est même souvent un environnement qui reflète la misère mais où, à y voir de près, les gens ne sont pas malheureux. Nos parents et grands-parents vivaient dans le même décor, mais vivaient longtemps, au-delà de cent ans. Ils n’avaient pas de problèmes de tension artérielle ou d’autres maladies. Aujourd’hui la misère y est accentuée parce qu’il y a un manque de confiance en ces valeurs-là. Je n’ai pas fait le choix de filmer le village d’une certaine manière et la ville d’une autre manière. J’ai filmé dans une atmosphère de tranquillité, un environnement où les choses sont vécues comme telles. J’avais pris mon temps. Et c’est vrai que c’était le début du tournage du film qui a duré deux semaines à Samogo Yiri, dans le Kénédougou. Deux autres semaines de tournage ont suivi. Et en ville il y a évidemment la pression du temps. Les gens ont une autre mentalité, une autre conception du temps. Il y a même l’heure syndicale qui oblige le réalisateur à accélérer, à avoir une méthode de travail très propre pour que les choses aillent vite. Et cela se reflète dans les images. Je pense que les images elles-mêmes accompagnent un peu le film dans la mesure où nous défendons quand même ces questions de rencontre, et surtout de respect d’un milieu social avec ses croyances et ses valeurs.
SamogoYiri, est le village de Konomba Traoré qui joue un second rôle (celui de Fatogoma) dans le film. Quel a été son apport dans le film ?
Konomba Traoré est un homme de culture qui, malgré son âge avancé, est très dynamique. Il a été notre conseiller culturel dans ce film, surtout pour les scènes tournées au village où il a su mobiliser les Dozos dont la confrérie du village s’est mise à notre disposition. Tous les figurants que vous voyez dans le film sont des Dozos, des pratiquants qui se sont mis à notre disposition et même, qui nous ont donné des conseils sur leurs pratiques. Pour ce qui est de la scène du début du film, nous avons dû être initiés de façon symbolique, certains comédiens et moi. Mais Il y a sûrement des secrets qu’ils n’ont pas voulu nous dévoiler ! Nous avons respecté ces pratiques parce que c’est cela la réalité africaine : on vous donne des connaissances à condition que vous les respectiez.
Dans le casting, on retrouve certains acteurs qui ont déjà joué dans votre précédent film, Tasuma. Il s’agit de Mamadou Zerbo, d’André Bougouma, de Serge Henri. Y a-t-il une complicité entre ces acteurs et vous ?
Oui et non. Oui, d’abord parce qu’on est plus à l’aise avec des gens qu’on connaît. C’est un métier assez difficile et quand on travaille avec de nouveaux comédiens, il faut être sûr qu’il ne s’agit pas de gens qui ne viennent que pour de l’argent, qui font pression sur la production. Des gens qui ne sont pas capables d’être tolérants, lorsque vous dépassez l’heure syndicale, par exemple si vous aviez prévu d’arrêter la journée de travail à dix-huit heures et qu’il vous faut tourner encore trente minutes ou une heure, pour des raisons techniques. Pour ces contraintes, on ne peut pas travailler avec n’importe quel comédien. C’est une des raisons qui m’a fait refaire l’expérience avec Mamadou Zerbo. Dans Tasuma, il s’était beaucoup investi pour nous aider. Il avait pris le projet à bras-le-corps parce qu’il connaissait le sujet et tout s’est bien passé. Là encore, malgré son âge, il a accepté de venir jouer le rôle du chef du village. Les autres également. Serge Henri, par exemple, a été l’acteur de mon tout premier court-métrage Béogo Naaba, tourné en décembre 1978 et sorti au Fespaco 1979. Depuis cette époque nous avons travaillé ensemble, sur Paweogo où il était stagiaire dans une équipe de production, dans la série Taxi-brousse, Tasuma, puis dans Le Poids du serment. Je crois que c’est bon de travailler avec des gens avec qui le courant passe bien. Tout le monde y gagne.
André Bougouma, lui, est dans un registre tout à fait nouveau…
Non, pas du tout ! J’ai plutôt vu, dans Tasuma, que c’était quelqu’un d’assez compétent dans son travail. Je suis proche de lui, c’est un grand frère avec qui je m’entends assez bien côté boulot. On discute beaucoup et il me donne des idées. Ce n’est pas tous les comédiens qui acceptent de partager, de souffler une idée qui peut parfois être géniale. Parce que vous ne détenez pas la vérité à vous tout seul. Le cinéma est un travail d’équipe et l’équipe comprend aussi les comédiens ! Votre scénario peut être bon, mais au tournage vous pouvez rajouter ou retrancher des choses en fonction du jeu de votre comédien. Mais une fois que c’est tourné, on n’y peut plus rien, sinon enlever des images et les mettre de côté.
Quant au héros du film, Fousséni Cissoko, il joue son premier rôle.
Oui c’est quelqu’un que je ne connaissais pas. Nous avons effectué un casting à Bobo-Dioulasso, ici. J’avais besoin de quelqu’un qui exprime le vide de la perte de mémoire. Curieusement, il apparaissait naturellement comme ça, comme un type qui est en permanence un peu perdu. En plus, il ne parlait pas le français correctement. Cela me convenait parfaitement : pour le village parce qu’il parle bien la langue locale, pour la ville pour son attitude un peu égarée.
L’autre révélation est Bintou Sombié qui vient du théâtre.
Oui, mais Bintou a eu des parcours antérieurs dans d’autres productions télévisuelles. Sur le terrain, j’ai trouvé qu’elle a bien rendu le personnage. Sur le plateau, quand elle jouait, je ressentais l’émotion qu’elle dégageait. C’est très important d’avoir ce genre de sensation quand on fait un plan avec un comédien parce que cela signifie que le message passe. Tout le monde reconnaît que Bintou joue bien. Elle a d’ailleurs obtenu le prix de la meilleure actrice à Ouagadougou, dans un festival qui s’intitule Pellicule d’or.
Quels projets avez-vous après Le Poids du serment ?
LE
projet ! Je ne peux pas en mener plusieurs en même temps. Je m’intéresse de plus en plus à l’insécurité routière. C’est un sujet d’actualité et j’ai toujours tendance à aller vers les préoccupations du moment, bien qu’il s’agisse aussi d’un sujet que j’ai écrit depuis quelques années.
Traiterez-vous ce sujet en fiction ou en documentaire ?
En fiction. Le sujet m’a été inspiré par un grand délinquant du plateau Mossi qui est très connu. Il s’agit d’un coupeur de route, très célèbre dans le Sanmatenga et le Namentenga, qui a été abattu par les forces de l’ordre. J’ai découvert son histoire en faisant des faits divers avec Sakré Chédou Ouédraogo de la radio nationale.
Vous voulez parler de Bok-Wendé ?
Voilà ! Vous connaissez l’histoire. Aujourd’hui, nous avons une circulation anormale d’armes, des braqueurs ou de futurs braqueurs qu’on lâche dans la nature. Je pense qu’il faut absolument aborder ce sujet avec pas mal d’autres, dont l’éducation.

Bobo-Dioulasso, le 23 juillet 2011.///Article N° : 10363

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Les images de l'article
Extrait du film Le poids du serment © Kollo Daniel Sanou
Fousseni Cissoko dans Le poids du serment © Kollo Daniel Sanou
Le poids du serment © Kollo Daniel Sanou
Scène du film Le Poids du serment © Kollo Daniel Sanou
André Bougma lors du tournage du Poids du serment © Kollo Daniel Sanou





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