Les voyages manuscrits et le loisir lettré. Un discours discordant unique mais sans effet : l’exemple de la Relation d’un voyage à la côte des Cafres de Guillaume de Laujardière

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

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Curieux destin que celui de la très singulière Relation d’un voyage à la côte des Cafres de Guillaume Chenu de Chalezac, sieur de Laujardière. En effet, bien que romanesque à souhait avec son lot de péripéties, son attaque de pirates, son naufrage, sa rencontre de sauvages, son cacique philosophe, son incartade amoureuse et son retour à la civilisation, ce récit de voyage authentique d’un jeune garçon de bonne famille, envoyé par ses parents rejoindre un frère écuyer à la cour de la princesse Albertine-Agnès d’Orange-Nassau et présenté comme confiturier avant d’être engagé comme garçon de chambre pour échapper aux assiduités des pères jésuites, est longtemps demeuré à l’état de manuscrits (1). Si les événements auxquels il fait allusion ont bien eu lieu ainsi que l’attestent les archives, tirant parti de l’indétermination générique dont procède l’énoncé viatique, l’auteur pare indéniablement son expérience des atours du roman d’aventures. De nombreux critiques l’ont montré : c’est dans son prin-cipe de composition que réside la spécificité du voyage. Dans l’avis du « Libraire au lecteur » ouvrant son Journal du voyage d’Espagne, François Bertaud définit les voyages comme « un genre metoyen entre les uns et les autres, en ce qu’ils ne traitent que les aventures des particuliers, comme les Romans, mais avec autant de vérité & plus d’exactitude encore que les Histoires. » (2) L’auteur oscillant constamment entre le vrai et l’inventé : la Relation d’un voyage à la côte des Cafres ressortit autant du récit de voyage que du roman. Il va donc s’agir de déterminer comment s’effectue pour l’auteur la mise en texte de l’expérience viatique, d’apprécier quelles sont les possibilités que la fiction ouvre à l’énoncé viatique et quels sont les effets romanesques produits par l’énoncé viatique, bref, d’analyser les effets de lecture qu’induit ce « genre metoyen » dont la Relation d’un voyage à la côte des Cafres semble n’être qu’un exemple particulièrement intéressant du fait du regard porté sur ces sauvages encore méconnus que sont les Cafres.
Du voyage au récit : les ambiguïtés de la narration dans la Relation d’un voyage à la côte des Cafres de Guillaume de Laujardière
Guillaume de Laujardière n’est ni un découvreur, ni un colonisateur, ni un héros. C’est un simple matelot qu’un concours de circonstances malheureuses a conduit à s’échouer sur les côtes du Natal et à évoluer durant près d’un an chez les Cafres avant de s’en retourner, tel Ulysse, « plein d’usage et de raison,/ Vivre entre ses parents le reste de son age. » C’est vraisemblablement au cours des semaines qui suivent son retour que le jeune Guillaume de Laujardière entreprend de livrer le récit de son voyage « pour obéir, lit-on, à des ordres auxquels il ne m’est pas permis de rien refuser » (3) en témoignage de gratitude envers sa protectrice la princesse Albertine-Agnès d’Orange Nassau. Le jeune âge du naufragé, son inculture avérée, l’ambiguïté de certaines formules, des artifices assez finement déployés (4), un style pommadé peu commun parmi les matelots sont là autant d’éléments qui incitent le lecteur à s’interroger sur l’identité du véritable auteur de cette relation. Ainsi que le révèle l’organisation de la Relation d’un voyage à la côte des Cafres, celui que l’on a vraisemblablement chargé de mettre en forme le périple et le séjour chez les Cafres du jeune Laujardière, a pleinement tiré parti des ressources du récit de voyage pour restituer dans toute sa vérité une expérience qu’il n’a pas vécue (5). Le narrateur de la Relation d’un voyage à la côte des Cafres dit « je », mais ce « je » est celui d’un narrateur qui rapporte les aventures d’un jeune huguenot contraint de demeurer une année parmi les Cafres. On a donc ici affaire, non pas à un récit homodiégétique, sinon à un récit autodiégétique ; sur le plan du récit mais au niveau de la personne, ce mode de narration est d’une remarquable efficacité en ce qu’il sépare « l’auteur de la navigation » de « l’auteur de la relation. » Sur le plan du récit toujours mais au niveau de l’organisation formelle, cette relation n’est pas dénuée d’intérêt. Se présentant sous la forme d’une relation rétrospective à fonction complétive, elle s’articule principalement autour du récit du séjour du jeune Guillaume de Laujardière chez les Cafres, qu’encadrent le récit du voyage aller et le récit du voyage retour. C’est donc un équilibre très subtil que ménage le narrateur entre l’information – l’inventaire – et la fiction – l’aventure – dans le sens où l’information n’annihile pas le caractère fictif de la relation et où la fiction ne sert pas seulement de prétexte au développement de l’information. Divertissante et instructive, la lecture de cette relation est agréable à plus d’un titre. Le plaisir qu’éprouve le lecteur à la parcourir provient sans doute autant de ce qu’elle lui apporte sur une contrée méconnue et ses habitants un savoir résolument neuf que de ce qu’elle l’invite à partager les palpitantes tribulations d’un enfant à la découverte du monde.
De l’aventure à l’inventaire : les topoï du récit de voyage dans le récit des tribulations du jeune Laujardière de Bordeaux à la côte des Cafres
La relation du périple qui conduit le jeune Laujardière de Bordeaux à la côte des Cafres réunit les topoï qui ornent traditionnellement les récits de voyage : la tempête, l’attaque de pirates, le trépas héroïque du capitaine, l’errance sur les flots, la recherche d’une baie, la famine, l’échouage, la rencontre des sauvages, le massacre des naufragés… (6) Si l’épisode de l’attaque des corsaires fait l’objet d’un récit très circonstancié et si la tempête qu’essuie l’équipage au large des côtes méridionales africaines donne lieu à une description des plus pittoresques, le récit de la famine endurée en mer est plus sommaire. La description du désespoir qui gagne les matelots précède le récit de la découverte d’une baie et de la rencontre de sauvages. L’échange de rassades, patenôtres, verroteries et autres objets de séduction est un lieu commun des relations de voyage (7). Cet épisode donne certes lieu à une scène intéressante dans la Relation d’un voyage à la côte des Cafres (8) mais beaucoup plus riche d’enseignements est l’épisode du pot de terre qui est à l’origine de la fin des compagnons du jeune Guillaume de Laujardière :
« Après que notre troc fut fait, en attendant que la mer montât pour élever notre chaloupe, lit-on, une vieille femme vint nous apporter un pot de terre que nous remplîmes de viande pour la faire bouillir. Notre dîner prêt, nous nous mîmes en devoir de faire un bon repas. Mais, à peine avions-nous commencé à manger, que nous fûmes cruellement interrompus par un accident qu’il était impossible de prévoir. Le pot de terre en fut le malheureux sujet, la funeste occasion de la mort de mes camarades et peu s’en fallut de la mienne. La vieille femme qui nous l’avait donné, le voyant encore auprès du feu, après que nous en eûmes tiré la viande, s’étant avancée pour le reprendre, notre pilote, jugeant qu’il nous pouvait être encore nécessaire, se leva promptement de table pour l’en empêcher. Cette femme le voyant approcher d’un air fort brusque en eut peur, et se mit à fuir avec le pot. Le pilote la suivit pour le ravoir en lui criant qu’il le voulait payer. Les nègres cependant qui n’entendirent pas ce qu’il disait, croyant qu’il voulait faire violence à cette femme, se jetèrent en même temps sur nous et, sans nous donner le temps de prendre nos armes, ils nous chargèrent à coup de pierre, de lances et de bâtons avec une telle furie que, croyant l’éviter, nous fûmes obligés de nous jeter dans l’eau. »
Cet épisode ne précipite pas seulement la fin de ses compagnons ; il marque aussi le commencement du séjour de Guillaume de Laujardière chez les sauvages dans le sens où c’est à l’issue de cet épisode, qu’après avoir songé un temps à se laisser mourir, il est recueilli et soigné par des Cafres (9). Durant quelques jours, il fait office de berger et c’est la rencontre d’un naufragé échoué en ce pays un an auparavant qui le convainc d’aller, en compagnie de ses nouveaux compagnons d’infortune, d’autres naufragés, « par la terre au Cap de Bonne-Espérance. » Bien que les Cafres le leur déconseillent vivement, les naufragés prennent la route du Cap. Après avoir passé trois jours à escalader de hautes montagnes habitées par « des tigres, des lions, des éléphants, des buffles et autres espèces de bêtes farouches », éprouvé la fatigue à arpenter des « chemins presque impraticables », les naufragés sont assaillis par la faim, « cette terrible ennemie. » Les malheureux, vêtus comme les nègres, sont contraints d’adopter leurs mœurs phagiques pour survivre : « Nos peaux de bœuf, dont nous étions couverts comme l’étaient les habitants du pays que nous avions abandonnés, firent pendant quelque temps les plus délicieux de nos repas, mais, quand elles furent dévorées, les herbes, les racines, les feuilles des arbres et leur écorce même furent le seul soutien de nos vies. » La mort de quatre des leurs résout in fine les survivants à mettre un terme à leur tragique expédition et à s’en retourner chez leurs premiers hôtes. Le chemin du retour est fatal à deux autres compagnons du jeune huguenot, trop faibles et trop las pour poursuivre, que le groupe, incapable de soutenir, se voit dans l’obligation d’abandonner aux bêtes sauvages. Il parviennent finalement à regagner le pays de leurs premiers hôtes. « Ils nous reçurent encore fort humainement, note le narrateur, résigné, et nous reprochèrent avec raison de n’avoir pas voulu suivre leurs conseils, car ils nous avaient avertis de la férocité de leurs voisins. » (10) Laujardière prend le parti de se séparer de ses compagnons, qu’il ne supporte plus, et s’établit alors chez un cousin du roi qui l’accueille avec une tendresse qui, précise le narrateur, « n’était pas d’un barbare. » On retrouve donc bien dans le récit des tribulations advenues au jeune huguenot les grands topoï qui émaillent les rela-tions de voyage de l’âge classique. Si ceux-ci ont entre autres pour fonction de légitimer l’authenticité de la relation de voyage, ils n’attestent pas seulement ici de la connaissance et de la maîtrise par le narrateur des codes du récit de voyage ; ils renvoient à une véritable culture savante, qui tend à indiquer que l’auteur de cette relation n’est pas seulement un lecteur des Vies des douze César de Suétone, de l’Histoire romaine de Tite-Live ou du Nouveau testament, mais aussi sans nul doute un familier des Fables de La Fontaine (11). Si les anecdotes romanesques que rapporte le narrateur visent à divertir le lecteur, la description ethnographique des mœurs cafres qu’il lui donne à lire a pour fin de l’instruire, cette alliance – ici somme toute assez savante – du placere et du docere étant constitutive de ce « genre métoyen » qu’est le genre viatique.
L’inventaire : la description des mœurs et coutumes cafres dans la Relation d’un voyage à la côte des Cafres
Les Cafres constituent le sujet central de la relation : « Pendant le séjour que je fis chez mon hôte, écrit le narrateur, j’eus le loisir d’examiner la manière de vivre et l’humeur des habitants. » Le portrait que le narrateur brosse d’eux n’a rien de commun avec ceux que livrent ses prédécesseurs depuis des décennies : « Tous les Cafres en général passent pour être fort grossiers et brutaux, note-t-il. Ceux parmi lesquels j’ai demeuré le sont beaucoup moins que les autres. Ils sont généralement bien faits, grands et dispos. Quoique leur pays soit situé dans une zone tempérée, poursuit-il, ils sont aussi noirs que ceux qui demeurent au milieu de la zone torride. Ils n’ont pour tout vêtement, tant hommes que femmes, qu’une peau de bœuf qui leur sert comme de manteau, de laquelle ils s’enveloppent. Outre cela, ils ont deux autres morceaux de peau taillés de la longueur et de la largeur de la main. Ils les attachent à une ceinture : l’une tombe par-devant, l’autre par-derrière. Leur pays contient environ trente lieues de circuit. Ils s’appellent en leur langage : Macosses. » (12) Pour s’être illustré à leurs côtés au cours d’une bataille menée contre leurs féroces voisins Maquenasses, Laujardière se voit offrir « dix bœufs et quelques vaches. » C’est la réception de ce présent qui introduit son commentaire sur la valeur des bœufs chez les Cafres et qui justifie son explication sur la constitution des « nègreries » :
« Je revins de cette guerre plus riche que je n’avais été, écrit-il. Le roi me fit présent d’un bœuf et d’une vache. Après mon retour quelques autres des principaux m’en donnèrent aussi ; de sorte que, dans peu de temps, je me vis un fonds de dix bœufs et quelques vaches. Ces bœufs, poursuit-il, sont toute la richesse du pays ; aussi y en a-t-il en si grand nombre, qu’un homme qui n’en a que deux ou trois mille ne passe pas pour être fort opulent. C’est ce qui fait qu’ils sont obligés de vivre séparés les uns des autres. Ils ne font que de petites habitations qu’ils appellent nègreries, comme j’ai déjà dit. Dans une nègrerie, poursuit-il, il y a quelquefois jusqu’à quarante ou cinquante hommes ou femmes qui dépendent tous d’un chef. Ils sont obligés de changer d’habitation tous les deux ans, à cause de la quantité de leur bétail, car quand l’herbe est mangée dans un lieu, ils en cherchent un autre jusqu’à ce qu’elle soit recrue et ne s’approchent guère les uns des autres plus d’une lieue ou deux. » (13)
Le récit rétrospectif s’efface alors au profit d’un exposé thématique. Les grands temps qui rythment l’existence de ses hôtes sont à chaque fois pour lui l’occasion d’insérer la description d’une pratique, d’une coutume ou d’un aspect de la vie quotidienne des Cafres A la description de leur physique succède celle de leurs voisins, celle de leurs ennemis, puis celle de leur habitat, de leurs cérémonies de mariage, de leurs pratiques de circoncision, de leurs mœurs phagiques, de leurs techniques de chasse, de leurs croyances religieuses, de leurs rites funéraires, de leurs lois et de leurs valeurs. Les éléments contenus dans cet inventaire sont ceux que l’on trouve habituellement dans les relations de voyage de l’âge classique. Mais à la différence de nombre de ces relations, l’inventaire que le narrateur insère dans le cours de ce récit n’est pas neutre. Le choix de l’inventaire ne s’accompagne pas ici d’un effacement des marques de la présence du narrateur. L’inventaire n’élude pas l’aventure ; la description n’est pas achronique, plusieurs indices spatio-temporels permettent au lecteur de saisir les circonstances dans lesquelles le jeune huguenot a pu personnellement se trouver à même de décrire les us, mœurs et coutumes de ses hôtes. « J’eus un jour la curiosité de leur voir faire la cérémonie de leur circoncision, écrit-il, mais il pensa m’en coûter cher. Je fus saisi par deux ou trois des plus vigoureux, ils se mirent en devoir de l’exécuter sur moi, lit-on. Jamais de ma vie je ne me suis trouvé en plus grande peine. Ce ne fut qu’à force de menaces que je leur fis de faire exterminer toute la nation par le roi des Blancs qu’ils me laissèrent aller, car ils le craignent beaucoup. » Comme l’a bien vu Marianne Lasserre, dans son étude intitulée Voyageurs à l’âge classique et Afrique du Sud, « le « je » du protagoniste cède la place au « ils » qui devient à son tour protagoniste. » (14) Mais ce « je » ne disparaît pas pour autant et c’est précisément la raison pour laquelle son inventaire, loin de s’apparenter à une succession de remarques, n’est pas neutre, qu’il s’ancre dans un vécu et qu’il est à ce point personnel.
De l’inventaire à l’aventure : la fonction de l’anecdote galante comique dans l’économie de la Relation d’un voyage à la côte des Cafres
C’est sans doute parce que l’aventure et l’inventaire sont plus intimement liés qu’il n’y paraît que le passage de l’inventaire à l’aventure s’effectue dans le cadre d’une anecdote galante comique comme les récits de voyage du dix-septième siècle en contiennent tant : « […] je vis cinq femmes qui s’y baignaient. Dès qu’elles m’aperçurent, craignant que ce ne fut quelque autre ou que je ne fusse accompagné, elles coururent à leur peau et s’en couvrirent avec promptitude. Mais, alors qu’elles me reconnurent et qu’elles me virent seul, elles les laissèrent et se jetèrent sur moi. Elles m’eurent bientôt dessaisi de la mienne, ma ceinture fut mise en pièces. Enfin elles me mirent aussi bien qu’elles dans le même état que l’on dépeint nos premiers parents. Après cela, elles me firent mille caresses, me reprochèrent d’avoir abandonné leur habitation, me louèrent sur ma beauté […] ; en un mot, ajoute-t-il, je me vis bientôt travesti en un nouvel Adonis par ces dames cafres. »  (15) Le passage de l’inventaire à l’aventure est des plus comiques. C’est par ailleurs sur cette anecdote que s’achève le séjour de Guillaume de Laujardière chez les Cafres. « Il n’a tenu qu’à moi de me voir gendre de Sa Majesté Macossienne, lit-on, mais cette fortune ne me tentait pas, je ne soupirais qu’après mon retour en Europe . La vie que je menais commençait à m’être insupportable. Enfin, après avoir demeuré un an parmi ces peu-ples, Dieu eut pitié de moi et m’en retira. » Les adieux du jeune huguenot à son bienfai-teur sont déchirants : la scène est typique des scènes de séparation des romans d’initiation :
« Je m’informai […] de l’endroit auquel le navire avait abordé, elle me l’indiqua […]. Je pris congé de cette femme et la priai de faire mes excuses à mon hôte si je ne retournais pas pour le voir. Après cela, je me mis en chemin et marchai avec tant de diligence que j’arrivai, avant midi, au lieu de l’embarquement. J’y trouvai nos gens qui n’étaient pas encore partis et, après avoir attendu deux jours que tous nos camarades fussent assemblés, nous nous embarquâmes au nombre de dix-neuf, six des nôtres n’ayant pu se trouver au rendez-vous. Mais, avant que de partir, j’y reçus les adieux de mon hôte. Ce bonhomme, ayant été averti de mon départ par cette femme dont j’ai parlé, vint m’y trouver le lendemain et demeura avec moi jusqu’au jour de l’embarquement. Comme la chaloupe ne pouvait pas approcher de terre et qu’il fallait marcher bien avant en mer, il me prit à son cou et m’y porta malgré moi ; pendant le chemin son visage n’était guère moins mouillé des larmes qu’il répandait abondamment que son corps l’était de l’eau de la mer. Lorsque nous nous séparâmes, il fit retentir l’air de ses cris, je ne pus à mon tour refuser de la tendresse à la sensibilité d’un homme à qui j’avais tant d’obligations. »
Sans le sou, il s’engage pour trois ans au service de la « Compagnie des Indes. » Sur la galiote sur laquelle il sert en qualité de matelot, il « visite » les côtes, pille un navire, décharge « un grand coup de sabre » sur la tête d’un jésuite, passe le pied « au travers » d’un cadavre, et manque d’être massacré par ses propres camarades pour « quelques pièces de tissu » et « quelques pièces de taffetas. » (16) Les Européens n’ont, en matière de violence, de barbarie et de sauvagerie, rien à envier aux Cafres. L’inversion joue à plein ; paradoxalement, ce sont les Cafres les civilisés et les Européens les sauvages. C’est sur cet étonnant renversement que se clôt finalement le récit du séjour africain de Guillaume de Laujardière, une grande princesse, « dont la générosité et la vertu sont encore au-dessus de son rang » ayant fait écrire en sa faveur par « un des principaux mes-sieurs de l’amirauté d’Amsterdam » afin qu’on le renvoie en Hollande « à la première occasion. »
La Relation d’un voyage à la côte des Cafres est le récit d’un périple et d’un séjour hors du commun. La faculté d’adaptation de Guillaume de Laujardière est, pour un jeune homme qui découvre le monde, littéralement stupéfiante. Le regard qu’il porte sur les Cafres est dénué d’idées préconçues et exempt de préjugés. C’est un regard plein de fausse candeur et d’humanité. Certes ces Cafres sont violents, belliqueux, ils ne font pas de prisonniers et massacrent pareillement hommes, femmes et enfants. Mais les Européens se comportent-ils différemment lorsqu’ils se trouvent face à leurs ennemis ? (17) Longtemps à l’état de manuscrit, ce récit qui donne à lire sur les mœurs cafres un discours discordant, est demeuré sans effet sur les modes de représentation des Cafres dans l’imaginaire collectif. Mais que quatre copies manuscrites en aient été retrouvées tend à indiquer que ce récit est passé entre plusieurs mains et sans doute pour le plus grand plaisir de ses lecteurs et lectrices. Que les épreuves endurées par l’auteur soient confirmées par les archives ne retire absolument rien au fait que ce récit a vraisemblablement été composé à l’intention de la protectrice de Laujardière, la dédicataire, la princesse Albertine-Agnès d’Orange-Nassau. Ce, pour l’instruire, mais sans doute également pour la distraire et distraire ses amies, la lecture, entreprise collec-tive, étant une pratique de sociabilité particulièrement prisée parmi les loisirs lettrés.

1. Quatre manuscrits de cette relation sont aujourd’hui connus. Le quatrième manuscrit, celui de Magdebourg, a disparu. Anonyne, Relation d’un voyage à la côte des Caffres, Deutsche Staat-bibliothek, Haus 1, Berlin Unter den Linden, Gall. 8°69 ; Anonyme, Journal du voyage d’un anonyme aux Indes Orientales et de son séjour chez les nègres, Biblioteka Jagiellonska, Uni-wersytet Jagiellonski, Gall. 146 ; L’Aujardière -ou Lojardière, Relation d’un voyage à la coste des Caffres, Universitäts – und Landesbibliothek Sachsen-Anhalt, Abteilung Sondersammlun-gen, Martin-Luther-Universität, Halle an der Saale, Zi 4. La première édition française, établie d’après le manuscrit de Halle, date du début du vingtième siècle : « Les aventures de Guillaume Chenu de Chalezac, seigneur de Laujardière au pays des Cafres, 1686-1689 » [in]Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme français, Paris, 1921, tome 70, n°1, p.40-54 ; n°2, p.97-101 ; n°3, p.219-225. Deux éditions en ont été récemment procurées ; la première, d’après le manuscrit de Berlin, et la seconde, d’après le manuscrit de Cracovie. Relation d’un voyage à la côte des Cafres (1686-1689), Paris, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, 1996. Édition établie, annotée et commentée par Emmanuelle Dugay. Préface de Frank Lestringant et Paolo Carile. Avant-propos de François Moureau ; Relation d’un voyage à la côte des Cafres [in]Fureur et barbarie. Récits de voyageurs chez les Cafres et les Hottentots (1665-1721), Paris, Cosmopole, 2003. Textes réunis et présentés par Dominique Lanni. Préface de François Moureau.
2. Le « Libraire au Lecteur » [in]Journal du voyage d’Espagne […], Paris, Denys Thierry, 1669, p.IV. Le nom de François Bertaut ne figure pas sur la page de titre. Il est indiqué dans une note manuscrite de l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France : « par l’Abbé Bertaut de Rouën, Conseiller au Parlement du Roy cy devant Lecteur du Roy. » B.n.F., rés. 4° O 13.
3. Guillaume Chenu de Laujardière, Relation d’un voyage à la côte des Cafres, ms. de Berlin, fol.1. C’est à la princesse Albertine-Agnès d’Orange Nassau, veuve du comte Guillaume-Frédéric de Nassau-Dietz, sœur de la princesse Louise-Henriette de Nassau, première épouse du Grand Electeur et de la princesse Henriette-Catherine d’Anhalt-Dessau, que Laujardière dédie son récit : « A Son Altesse Sérénissime Madame la Princesse douairière de Nassau, née princesse souveraine d’Orange, comtesse de Dietz, etc. Madame, Permettez-moi de renouveler une coutume religieusement observée par les Anciens qui, étant heureusement rescapés de quelque naufrage, en faisaient peindre l’histoire et attachaient le tableau au murailles du temple de Nep-tune pour le remercier par cette marque de dévotion de leur salut. Je rends aujourd’hui, Mada-me, à Votre Altesse Sérénissime les mêmes témoignages de ma respectueuse reconnaissance. Elle m’a retiré du malheureux état dans lequel mon naufrage m’avait précipité. Je viens Lui en offrir la peinture dans ce fidèle récit de ce qui m’est arrivé. » Geheimes Preussisches Staats-archiv, Repositur 92, von Spanheim, n°8, f.14.
4. « Mais je n’ai pas voulu défigurer la vérité, mon dessein n’est pas de faire un roman, je l’expose donc toute nue et sans fard. Il me semble même, que sans avoir recours aux fictions, ceux qui aiment les aventures surprenantes trouveront ici de quoi contenter leur curiosité. » Guillaume Chenu de Laujardière, Relation d’un voyage à la côte des Cafres, ms. de Berlin, fol.1. Ce protocole de lecture a tout de la préface de la relation de voyage remaniée ou fabriquée par laquelle l’auteur s’efforce de convaincre son lecteur qu’il a bien affaire à un authentique récit de voyage et non à un roman via le déploiement d’un certain nombre de topoï. Sur ce point : Jean-Michel Racault, « Les jeux de la vérité et du mensonge dans les préfaces des récits de voyage imaginaires à la fin de l’âge classique (1626-1726) » [in]Métamorphoses du récit de voyage. Actes du Colloque de la Sorbonne et du Sénat. Recueillis par François Moureau, Paris / Genève, Champion / Slatkine, 1986, p.82-109.
5. Le narrateur multiplie les gages d’authenticité. Qu’il ne soit question que d’un seul voyage est tra-ditionnellement un gage d’authenticité alors que « l’annonce de plusieurs voyages peut faire suspecter l’affabulation ou l’esthétique de la copia. » Michel Bideaux, « Les Voyages de Robert Lade ou les mé-comptes de la fiction » [in]Marie-Christine Gomez-Géraud et Philippe Antoine, dirs, Roman et récit de voyage, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001, « Imago mundi », p.36-46. Cit. p.38.
6. Sur ces différents topoï : Sophie-Jenny Linon-Chipon, « Brièveté et authenticité : l’identité générique de la relation de voyage à la fin de l’âge classique » [in]Brièveté et écriture. La Licorne, n°21, novembre 1991, p.115-123 ; François Moureau, « La littérature des voyages maritimes, du Classicisme aux Lumières » [in]Revue d’Histoire Maritime. La Percée de l’Europe sur les océans, vers1690-vers 1790, numéro spécial, n(1, octobre 1997, p.243-264.
7. « A vrai dire, comme le note Sophie-Jenny Linon-Chipon, aucune règle précise n’ordonne l’échange et ce sont les circonstances et le caractère des négociateurs qui déterminent la marche à suivre. Mais la « traite » a malgré tout ses protocoles. Le premier devoir consiste à honorer les grands du pays en offrant diplomatiquement un cadeau en gage de la bonne foi des « estrangers » à l’égard des habitants des pays exotiques. Sur ce point : Sophie-Jenny Linon-Chipon, « Les premiers objets de la séduction sur la route maritime des épices : patenôtres, rassades et verroteries aux XVIe et XVIIe siècles » [in]Roger Marchal et François Moureau, avec la collaboration de Michèle Crogiez, dirs, Littérature et séduction. Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Versini, Paris, Klincksieck, 1997, « Bibliothèque française et romane. Études littéraires », p.453-472. Cit. p.462.
8. « Enfin le dixième jour de notre départ du vaisseau, après avoir essuyé des travaux inexprima-bles, lit-on, nous découvrîmes une petite baie, nous y échouâmes sur le sable avec beaucoup de joie, nous mîmes pied à terre et fîmes une petite tente d’avec notre voile. Après quoi, le pilote, deux de nos gens et moi nous séparâmes de notre petite troupe pour aller chercher de l’eau, et nous en étions encore éloignés lorsque nous vîmes six nègres qui gardaient un grand troupeau de vaches. Dès qu’ils nous aperçurent, ils prirent la fuite, il y en eut pourtant un qui, plus courageux que les autres et rappelé par nos cris et par nos gestes suppliants, revint à nous. Nous tâchâmes de lui faire comprendre par des signes notre nécessité. A cela, il ne nous répondit qu’en nous présentant la main. Nous, qui prenions, ceci pour un signe d’amitié, la lui serrions de tout notre cœur, mais ce n’était pas ce qu’il demandait. Nous le comprîmes enfin et lui mîmes dans la main qu’il nous tendait un morceau de cuivre. Nous fûmes tous étonnés qu’après cela il nous quitta brusquement et s’éloigna avec une vitesse admirable. Nous crûmes d’abord qu’il s’était moqué de nous, mais nous ne fûmes pas longtemps sans le voir revenir avec un grand sac de cuir rempli de lait caillé. Nous retournâmes joindre nos camarades et fîmes tous ensemble un repas, qui nous parut le meilleur que nous eussions fait de notre vie. » Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.20-21. Les naufragés dérogent au premier devoir auxquels sont tenus de se plier les visiteurs.
9. Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.23-24.
10. Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.30, f.31, f.34, f.36 et f.37. L’expérience vécue par Guillaume de Laujardière et ses compagnons est intéressante à analyser en termes de renversements. En effet, c’est pour rejoindre le Cap de Bonne-Espérance, l’état de civilisation, que les naufragés quittent le village des Macosses, l’état de nature, qui les ont recueillis. Mais le monde qu’ils découvrent et dans lequel ils peinent à progresser est encore plus sauvage que celui qu’ils viennent de quitter. La nature, hostile, s’acharne sur les misérables rescapés dont le retour à la civilisation s’apparente de plus en plus à un véritable voyage initiatique, avec ses innombrables épreuves – fatigue, bêtes farouches, faim…–. Le retour de Laujardière et de ses compagnons chez les Cafres ne correspond pas seulement à un rapprochement en termes d’étendue spatiale. Il correspond également à un rapproche-ment en termes de mentalités. En effet, en étant contraints, pour survivre de dévorer les peaux de bœuf dont ils sont revêtus, les rescapés adoptent les mœurs phagiques des Cafres. On songe à toutes ces illustrations insérées dans les relations de voyage, qui donnent à voir des Cafres se repaissant de boyaux ou de peaux animales. En dévorant leurs peaux, Laujardière et ses compagnons se comportent finalement comme eux. Mais il semble qu’il leur faille ce voyage pour mesurer toute l’humanité de leurs hôtes et d’abord voir en eux des hommes et non plus des sauvages ou des barbares.
11. « Le pot de terre est ici, écrit Sylvie Requemora, une marmite de terre pour cuire la viande mais va vite devenir un motif de dispute et l’emblème de la pomme de discorde. De plus, outre la parabole testamentaire (Siracide, 13.2), logique pour un protestant, ce motif pour-rait aussi étrangement rappeler la fable de La Fontaine, « Le pot de terre et le pot de fer. » Rappelons-nous des dix premiers vers : « Le pot de fer proposa / Au pot de terre un voyage. / Celui-ci s’en excusa, / Disant ferait que sage / De garder le coin du feu / Car il lui fallait si peu, / Si peu, que la moindre chose / De son débris serait cause : / Il n’en reviendrait morceau. » (Fables, livre V, 2). La morale est alors : »Ne nous associons qu’avecque nos égaux ». Dans cette fable, nous avons la problématique même des voyageurs qui se mêlent à un peuple étranger. L’association ici échoue tragiquement. » Christian Biet et Sylvie Requemora, « L’Afrique à l’envers ou l’endroit des Cafres. Tragédie et récit de voyage au XVIIe siècle », communication présentée le 16 mars 2002 à l’Université de Tunis La Manouba, lors du colloque du Centre international de Rencontres sur le XVIIe siècle (CIR 17) L’Afrique au XVIIe siècle. Mythes et réalités organisé par Alia Baccar.
12. Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.41-42. Lorsque Guillaume de Laujar-dière est de retour en Europe au terme de quatre années d’absence, plusieurs relations de voyage et sommes géographiques comportant des descriptions circonstanciées des Cafres et des Hottentots circulent sous la forme de manuscrits ou d’imprimés. Parmi ces ouvrages figurent notamment la très riche Description de l’Afrique d’Olfert Dapper dont celui qui est l’auteur de cette relation a pu consulter l’édition allemande ou l’édition française et, sans doute plus accessibles, le Voyage du Siam du Père Tachard, le Journal de Christoph Schweitzer ou la relation de George Meister. Olfert Dapper, Umbstandliche und Eigentliche Beschreibung von Africa […], Amsterdam, Jacob Van Meurs, 1670-1671. Rééd. : Umbstandliche und Eigentliche Beschreibung von Africa […], Nuremberg, Hoffmann, 1681 ; Trad. fr. :Description de l’Afrique […]. Traduite du Flamand d’O. Dapper, D. M. Amsterdam, Wolfgang, Waesberge, Boom et van Someren, 1686 ; Christoph. Schweitzer, Journal-und Tage Buch Seiner Sechs Tahrigen Ost-Indianischen Reise. Angesangen den 1. Decembr Anno 1675 und vollendet den 2. Septemb. Anno 1682 […], Tubingen, Johann Georg Cotta, 1688 ; George Meister, Der Orienta-lisch Indianische Kunst- und Lust- Gärtner, das ist eine aufrichtige Beschreibung derer meisten indianischen, als auf Java Major, Malacca und Jappon […], Dresden, Johann Riedel, 1692.
13. Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.46.
14. Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.51-52. « L’objet observé devient, par en-droits, note Marianne Lasserre, sujet de l’action devant lequel le voyageur-témoin s’efface, pose sa voix en sourdine pour laisser parler les faits. C’est cet effacement auctorial qui marque la des-cription comme modalité du compte-rendu de la réalité. » Marianne Lasserre, Voyageurs à l’âge classique et Afrique du Sud. Mémoire de maîtrise, Université de Paris IV-Sorbonne, juin 2000, p.62. « Leurs habitations, lit-on plus haut, ne sont faites que de branches d’arbre attachées ensemble qui forment une espèce de voûte. Elles sont couvertes de nattes que les femmes font avec de l’herbe. Ce sont ces femmes aussi qui bâtissent ces maisons, qui vont chercher l’eau, le bois et tout ce dont on a besoin dans le ménage, car les hommes sont fort fainéants et ne se mêlent de rien. On se peut imaginer qu’ils sont fort mal couchés, puisqu’ils couchent sur la terre dessus quelque natte ; mais, outre cela, ils sont tourmentés de certains vers qui sortent de la terre, gros et longs comme le petit doigt, qui leur entrent dans la chair. Ils y sont presque accoutumés et n’en dorment guère moins bien. Pour moi, pendant le séjour que j’ai fait parmi eux, je n’ai jamais pu soutenir cette incommodité. C’est pourquoi j’allais souvent me jeter dans l’eau jusqu’au cou, n’ayant que la tête dehors, appuyé sur une pierre et couvert de ma peau de bœuf. » Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.46-47. Le « je » ne vise pas seulement à authentifier le récit. Il a également pour fonction de marquer la présence du narrateur.
15. « Mais elles n’étaient pas des Vénus pour moi, poursuit le narrateur. » Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.62-65. « Au-delà de l’aspect comique de l’anecdote, note fort justement Sylvie Requemora, le texte semble renverser des notions esthétiques, aussi bien que des topoi picturaux et littéraires, en développant, poursuit-elle, une forme de théorie de la relativité appliquée à la notion esthétique du Beau, en parodiant des tableaux tels que Suzanne et les Vieillards ou Vénus au bain, et en réactivant le cliché – lafontainien depuis Les Amours de Psyché et Cupidon – de la curiosité féminine, ou du dit « péché d’Ève ». » Christian Biet et Sylvie Requemora, « L’Afrique à l’envers ou l’endroit des Cafres. Tragédie et récit de voyage au XVIIe siècle », op.cit. Sur le régime de l’anecdote dans les récits de voyage : Jacques Chupeau, « Les récits de voyages aux lisières du roman » [in]Revue d’Histoire Littéraire de la France, n°3-4, 1977, p.536-553 ; Sylvie Requemora, « Des anecdotes tragi-comiques. L’intertextualité romanesque dans quelques récits de voyages du XVIIe siècle » [in]Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, Nice, Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de Nice, 1998. Etudes réunies et présentées par Sophie Linon-Chipon, Véronique Magri-Mourgues et Sarga Moussa, p.201-227 et François Moureau, « La littérature des voyages maritimes, du Classicisme aux Lumières » [in]Revue d’Histoire Ma-ritime. La Percée de l’Europe sur les océans, vers 1690-vers 1790, n(1, octobre 1997, p.243-264.
16. L’épisode est pour le moins comique : « Comme nous arrivâmes, lit-on, les Français redoublèrent leurs cris en demandant toujours quartier. Il y en eut un que je reconnus pour un jésuite qui, comme je montai, me voulut donner une corde pour m’aider. Mais je refusai. Comme j’entrais : « Bienvenue ! », dit-il en hollandais. Alors la haine que j’ai toujours eue pour ces sortes de gens me revenant dans l’esprit, aussi bien que les maux que j’avais soufferts, dont je les croyais en partie cause, je ne pus être le maître de mes premiers mouvements, je lui déchargeai de toute ma force un coup de sabre sur la tête, souhaitant de bon cœur que tous les jésuites n’eussent que celle-là pour pouvoir goûter un plaisir semblable à celui après lequel soupirait si fort l’empereur Caligula. Je passai outre après cela et me jetai entre les deux ponts pour piller aussi bien que les autres. Dès les premiers pas que j’y fis, je trouvai un homme mort qui avait le ventre emporté. Comme il faisait encore fort obscur, je mis le pied dedans. J’ai appris depuis que c’était le capitaine du vaisseau. Cependant tout y était dans un désordre qu’on ne saurait exprimer. D’abord que nos gens y furent entrés, ils coururent aux tonneaux de vin et d’eau-de-vie dont il y avait une bonne quantité et s’enivrèrent. Après cela, ce ne fut plus aux Français qu’on fit la guerre, chacun la faisait à son camarade : le plus fort emportait sur le plus faible et lui arrachait des mains ce qu’il avait déjà saisi. » Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.80.
17. La rixe qui met aux prises les matelots sur le Noord n’est pas sans rappeler la guerre qui met aux prises les Macosses et les Maquenasses. « Aussi en fîmes-nous un fort grand carnage. On ne prit point de prisonniers, tout fut massacré, femmes et enfants, on ne fit quartier à personne » lit-on d’une part lorsque le narrateur clôt son compte rendu de la guerre qui a opposé les Macosses et les Maquenasses. « […] la division se mit entre nous, chacun accusait l’autre ; des accusations on en vint aux coups de poings, aux coups de bouts de corde et, enfin, des bouts de corde aux couteaux. Ce n’était point parti contre parti, tout était divisé. Quand l’un était relâché des mains de son camarade, un autre le reprenait et recommençait un nouveau combat avec lui. Chacun frappait à tort et à travers sans considérer où les coups tombaient. Jamais on n’a vu une telle confusion ni un si grand bruit ; les cris ni les ordres du capitaine ne servaient de rien pour l’apaiser » lit-on d’autre part lorsque le narrateur décrit la rixe opposant les matelots du Noord pour quelques peccadilles. » Relation d’un voyage à la côte des Caffres, op.cit., f.44 et f.81.
///Article N° : 4027

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