Doit-on filmer l’horreur ? La reconstituer ? Le cinéma s’est emparé du génocide rwandais de 1994. Retour sur quelques films phares de Sometimes in April à Grey Matter en passant par Hôtel Rwanda.
Les tueurs ne se filment pas : hormis les morts, il n’y a pas d’images réelles des tueries. Sauf le plan du journaliste britannique Nick Hugues, tourné à 800 mètres au téléobjectif, de quelqu’un qui se fait tuer à la machette en avril 1994. Le réalisateur haïtien Raoul Peck a recréé ce plan dans Sometimes in April (2005). Le meilleur film sur le sujet à ce jour parmi la dizaine de longs métrages réalisés. Situé en 2004, il aborde à la fois le drame intime et le scandale politique. Il restaure la complexité que les médias et les propagandes étatiques avaient reniées, et que le cinéma va bien souvent lui aussi écorner.
Il n’y a pas chez Peck les bonnes victimes et les méchants génocidaires mais, à travers la relation de deux frères aux choix opposés, la complexité d’un pays qui a dérivé. Des procès du tribunal pénal international d’Arusha aux tribunaux populaires gacacas (herbe douce en kinyarwanda, le lieu de réunion), la justice y tient un grand rôle car elle est le seul lieu où les choses peuvent et doivent se dire. Elle est nécessaire, comme ce film l’est pour le peuple rwandais car il ne le dépossède pas de sa mémoire, ne se l’approprie pas, répond au contraire à sa demande de dire au monde ce que sa terrible expérience lui enseigne.
Nombre de documentaires ont été faits, pour savoir comment on en est arrivé là, mais sans oublier ce que nous souffle un proverbe rwandais : nta wiyanga nk’uwanga undi (nul ne hait plus lui-même que celui qui hait les autres). C’est vrai des rescapés comme des tueurs. Pour vivre avec son ennemi, puisque les génocidaires retournent dans leurs villages, on ne peut donc se figer dans une position de victime. L’immense difficulté est de tenter non d’excuser le bourreau mais de le ramener dans la communauté des humains.
La tentation du cinéma est, sur la foi des témoignages des rescapés, de produire des archives. C’est le cas des longs métrages utilisant des codes de narration hollywoodiens, héros à la clef : Hôtel Rwanda (Terry Georges, 2004) et Shooting Dogs (Michael Caton-Jones, 2006). Suspense douteux, foules de drogués assoiffés de sang
ces films reprennent les dominantes du discours occidental sur le génocide : la désespérance et la culpabilité. Mais il y a aussi de sérieuses remises en cause. Commande de la chaîne canal plus, Opération turquoise d’Alain Tasma (France, 2007) touche au rôle de la France au Rwanda, que la plupart des fictions évoquent de façon très négative. Le documentaire (Kigali, des images contre un massacre, 2005) et la fiction (Lignes de front, 2009) du journaliste Jean-Christophe Klotz, présent à Kigali en avril 1994, font un constat : même accablantes, les images ne peuvent mobiliser que si elles sont acceptées par celui qui les reçoit. Filmer le génocide, c’est ainsi le filmer au présent, dans sa mémoire et sans archives. Cela donne au Rwanda même un cinéma nouveau où l’on parle maintenant de hillywood, contraction de hill (colline) et Hollywood. La création en 2002 du centre cinématographique du Rwanda assure un appui à la formation, un cinéma itinérant et un festival annuel à Kigali. Des films commencent à faire le tour des festivals internationaux, comme Grey Matter de Kivu Ruhorahoza, le premier long-métrage produit au Rwanda, qui retrace le combat d’un cinéaste qui veut faire un film sur les traumatismes de la violence. Pour un cinéma de la réconciliation.
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