Depuis deux ans, Libreville est devenue la capitale de la bande dessinée africaine. Avec la confirmation du succès des deuxièmes Journées africaines de la bande dessinée, la manifestation ambitionne de devenir l’équivalent du FESPACO ou du MASA pour les arts graphiques.
L’histoire entre Libreville et la bande dessinée commence en 1996. Jano, célèbre auteur de bande dessinée français, vient au Gabon pour donner un stage de formation aux auteurs locaux. Après sa venue, les dessinateurs gabonais créent l’association BD-Boom qui sort rapidement un magazine de bande dessinée du même nom. En 1998, les premières Journées africaines de la bande dessinée (JABD) accueillent de prestigieux auteurs européens et montrent par la fréquentation du public que la BD africaine s’est trouvée une capitale.
Au matin du 23 novembre 1999, Wolinsky, P’tit Luc, Loustal, Jano, Ferrandez, Solé, André Chéret, Daniel Desorgher, accompagnés d’éditeurs et de journalistes français, débarquent à l’aéroport Léon M’ba de Libreville. Quelques heures plus tard, le ministre gabonais de la culture et le maire de Libreville donnent le coup d’envoi des deuxièmes Journées africaines de la bande dessinée. Déjà, les enfants montent et descendent sans cesse le grand escalier du Centre culturel français Saint-Exupéry : en haut, les dessinateurs africains exposent et dédicacent ; en bas, l’exposition Ils rêvent le monde, images sur l’An 2000 laisse quelques espaces aux auteurs européens pour dessiner pour leur jeune public enthousiaste. Car, pendant cinq jours, ils sont venus en nombre, les jeunes de Libreville, pour se faire dessiner des Rahan par André Chéret ou des Schtroumpfs par Daniel Desorgher. L’un et l’autre n’ont pas compté leur peine, dédicaçant du matin au soir. Séances parfois interrompues pour Daniel Desorgher par une visite dans une école de la capitale. Là, il initie les enfants aux arcanes de la bande dessinée, expliquant son travail, celui du scénariste, montrant qu’une BD, ce n’est pas simplement des dessins jetés au hasard, mais bien un vrai métier, une activité artistique qui demande réflexion et travail au long cours. C’est dans ces moments de contact que l’on sent que ce festival atteint ses objectifs.
Autre apport majeur de ces journées : le stage animé par Franck Giroud et Barly Baruti. Pendant deux semaines, ils ont décortiqué les techniques de fabrication d’une bande dessinée avec la quinzaine d’auteurs africains invités. Franck, le scénariste, c’est la parole simple, construite, limpide ; Barly, dessinateur originaire de la République démocratique du Congo qui travaille en Belgique et en France, c’est le grand frère qui joue sur l’émotion. Le binôme fonctionne à merveille, et d’autres dessinateurs comme P’tit Luc interviennent : les auteurs travaillent, progressent et construisent collectivement.
Venus de République Centrafricaine, du Cameroun, du Bénin, du Tchad, de Madagascar, de RDC, de Mauritanie, du Niger, du Burundi, ces auteurs devront encore intégrer ces enseignements une fois rentrés chez eux. Ainsi, ils pourront progresser afin de produire leur propre bande dessinée, celle que l’Afrique attend, celle qui touchera le public car proche de ses préoccupations quotidiennes. Une bande dessinée qui posera ses canons graphiques qui restent à inventer et à définir. Une bande dessinée propre à développer une narration qui fasse le lien entre les méthodes séculaires des conteurs africains et la façon de se raconter de l’Afrique de demain.
Michel Poinot, président du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême a parlé d’avenir lors de ces JABD : en 2001, l’Afrique sera l’invité du grand festival français. Un projet qui fait écho aux paroles de l’ambassadeur de France au Gabon, qui appelait de ses voeux la création d’une Agence interafricaine de la bande dessinée. Pour aller dans ce sens, les énergies ne manquent pas : les JABD sont organisées par le Centre culturel français, soutenu par l’Union européenne et le ministère des Affaires étrangères, avec le patronage de la Mairie de Libreville. En unissant leurs efforts, ces institutions pourraient donner l’impulsion nécessaire à la création de cette Agence. Car trop peu d’albums sortent dans l’année en Afrique. Pourtant, la BD est un médium culturel tout à fait adapté à l’Afrique. A mi-chemin entre l’écrit du livre et les traditions orales, elle est tout à fait apte à développer des fictions alors que ne paraissent essentiellement que des ouvrages à visée pédagogique.
Du point de vue de la création, on a pu remarquer certains auteurs maîtrisant leur art : Lybeck, Joël et Pahé pour les BD-Boomers de Libreville, Jean de Dieu Rakotosolofo de Madagascar ou Abdou Adji Moussa le Tchadien, qui a reçu le prix du public de ces JABD. Si se mettaient en place des structures d’édition, d’impression, de diffusion et de distribution qui en fassent un produit de grande consommation, la BD pourrait devenir en Afrique ce qu’elle est dans d’autres aires géographiques : un produit de culture populaire. Sur le plan éditorial, la BD africaine ne doit certainement pas prendre exemple sur l’Europe, où les bandes dessinées, en couleurs et cartonnées, ont un prix de revient très élevé. Peut-être faut-il plus regarder du côté du Japon, où la BD s’imprime en noir et blanc sur papier de moindre qualité. Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse de la lecture, la fascination des images et l’enchantement de l’histoire.
Forte de ses 12 000 visiteurs, cette deuxième édition de la manifestation impose les JABD comme un catalyseur incontournable pour que la BD progresse en Afrique. Soutenues par un site internet exhaustif et magnifiquement réalisé (http ://www.jabd.org), elles ont connu un grand succès populaires grâce à la diversité des animations : séances de dédicace, conférences de qualité, projections gratuites de dessins animés, fresques dans la rue ont enflammé tout Libreville. Et les médias ne s’y sont pas trompés : télévisions, radios et journaux sont venus de toute l’Afrique pour relayer l’événement. Reste désormais à concrétiser cette notoriété acquise, en favorisant l’édition africaine de bandes dessinées, et en se donnant rendez-vous à l’année prochaine, pour la troisième édition des JABD. Car ces quelques journées d’échange, d’enthousiasme partagé et de passion communiquée semblent indispensables pour que l’Afrique puisse un jour pleinement s’exprimer à travers la bande dessinée.
NDLR : Africultures prévoit un dossier spécial Bande dessinée africaine pour novembre à l’occasion des 3ème JABD. ///Article N° : 1240