L’Identité nationale

De Valérie Osouf

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Alors que le succès électoral du Front national en fait rajouter sur les frontières, les exclusions et la sauvegarde d’une identité nationale qui reste pourtant parfaitement indéfinie et indéfinissable, un film vient remettre les pendules à l’heure et se choisit justement ce concept comme titre.

« Je crois qu’il nous faut abandonner l’idée de l’universel. L’universel est un leurre, un rêve trompeur. Il nous faut concevoir la totalité-monde comme totalité, c’est-à-dire comme quantité réalisée et non pas comme valeur sublimée à partir de valeurs particulières. »
Édouard Glissant (1)

Ce projet de court-métrage de six minutes financé par la Cimade est finalement devenu un long-métrage documentaire. C’est comme la gueule du loup : avec ce genre de sujet, quand on y met la main, c’est le bras qui y passe ! Car Valérie Osouf ne s’est pas contentée de recueillir les témoignages d’étrangers touchés par la double peine (condamnation pénale + expulsion du territoire), elle est allée voir des « spécialistes ». La pertinence intellectuelle de leur propos fait écho aux douloureux et édifiants récits, si bien qu’une analyse globale se met en place, un argumentaire contre l’ineptie du rapport à l’étranger dans la société française.
Le constat est uniquement oral et il est froid : pour ne pas céder le pas à la compassion, le film s’interdit toute émotion. Le seul témoignage qui ouvre à l’émotion est coupé par le générique de fin. Priorité est ainsi donnée à la gravité du constat, au profit de l’implacable démonstration.
On cherchera ainsi vainement dans ce film l’illusoire neutralité : il se définit dès le départ comme engagé et ne s’en cache jamais. Mais ses arguments sont taillés au scalpel : ils sont logiques et ils sont humains. Ils dénoncent les régressions du code pénal orchestrées par l’avalanche de lois sur l’immigration qui dénient chaque fois davantage le droit pour les étrangers d’être des citoyens. Grandis en France, les prévenus sont des Français dans les faits, même s’ils n’ont pas été naturalisés. Leur expulsion est absurde : ils ne pensent qu’à rentrer « chez eux ». La double peine bafoue l’égalité devant la loi (un texte UMP visant à expulser tous les étrangers condamnés à plus de cinq ans de prison a été voté en mars 2012 par l’Assemblée et attend les élections pour être adopté). Le film élargit alors sa propre perspective, abordant la question des prisons qui détruisent plus qu’elles ne sanctionnent. C’était le propos de Robert Badinter dans les années quatre-vingt mais depuis, les politiques sécuritaires jouent sur l’enfermement du délinquant et le rejet de l’étranger pour gagner les élections.
L’étranger est soumis à la même logique que l’individu dans le triomphe du capitalisme, contraint de vivre la crise comme son échec alors que c’est le système qui ne répond plus à ses besoins : on ne demande plus à l’État d’intégrer l’étranger mais c’est l’étranger qui doit arriver à s’intégrer. Alors même que les discriminations conduisent à la délinquance. Le piège est refermé et l’appareil sécuritaire et répressif se construit : 27 centres de rétention en France, 70 000 cas en 2011 dont 36 000 reconductions à la frontière. Le coût d’un tel système pour la collectivité est énorme mais personne ne s’en soucie : les réflexes de peur et de rejet de l’opinion piègent même la gauche dans une pensée de la criminalité.
Qui dit pourtant que le peuple est xénophobe ? Qui partage encore le fantasme d’un fondement ethnique de la nation française ? En stigmatisant l’étranger, la République s’enfonce dans le racialisme et se renie soi-même en galvaudant ses fondamentaux universalistes.
Cette conclusion, communément admise et reprise sans remise en cause par le film, laisse cependant à réfléchir car c’est au nom de sa pensée universaliste que la République a exploité et colonisé, réduisant une partie de ses ouailles au rang d’indigènes. En se cantonnant ainsi sur le terrain d’une « République contradictoire avec ses fondamentaux » sans remettre en cause son modèle assimilationiste, le film s’aligne sur une culture dominante puisant dans l’être universel défini par les Lumières une identité générique basée sur une nature commune aux êtres humains dotés de raison et définissant des droits et des valeurs partagés par tous. Considérer l’Africain comme différent légitimait son exploitation. Pour rentrer dans le cercle de l’humanité, l’Africain devait être converti à la religion et à la civilisation, c’est-à-dire être dépouillé de sa spécificité. Ce nouvel humanisme ne sera réservé qu’à des élus qui accéderont à la citoyenneté. Comme le précise Achille Mbembe, « L’idée d’un universel qui serait différent de la ratio occidentale n’est jamais envisagée. En d’autres termes, il n’existe pas d’alternative à la modernité ». (2).
« On peut être universel et se satisfaire des injustices et des crimes », dit encore Glissant. C’est ce que l’Histoire nous montre mais aussi la situation actuelle, dénoncée par le film. C’est à ce niveau qu’une conclusion du film axée sur la défense de l’universalisme porté par l’Etat-nation jacobin fait grincer alors même que l’enjeu actuel est la prise en compte des spécificités de la diversité.

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1. Introduction à une poétique du divers, Gallimard, 1996, p. 136.
2. « À propos des écritures africaines de soi », Politique africaine n° 77, mars 2000, p. 28.
///Article N° : 10720

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© Michel Semeniako
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