Lille 2011 : hommage à Moussa Kemoko Diakité, doyen du cinéma guinéen

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La 7ème édition du Festival international du film indépendant de Lille (11-17 avril 2011) offrait, outre une riche programmation, un cadeau doré aux cinéphiles des cinémas d’Afrique : l’occasion de découvrir l’œuvre invisible du doyen du cinéma guinéen, Moussa Kemoko Diakité dont on peut lire l’interview [ici].

Camp Boiro 1970. Moussa Kemoko Diakité, qui a fait ses études en Allemagne, est enfermé durant un an dans la terrible prison du régime Sékou Touré. Comme tant d’autres, il est soupçonné de subversion en raison de sa fréquentation des étrangers. Il n’en fallait pas beaucoup pour être emprisonné et nombre de cinéastes y passeront six à huit ans, n’y voyant ensuite plus assez clair pour faire du cinéma.
Cela ne voulait pas dire que Moussa Kemoko Diakité soit contre les idéaux défendus par ce régime socialiste épris de panafricanisme. Conscient des limites et du cadre imposé tout comme de la répression à l’œuvre, mais opérant ses choix en toute conscience, il est à l’image d’une génération qui a nagé dans les contradictions mais a quand même cru dans ces idéaux et les a défendus avec talent. Ses films en épousent et magnifient les thèmes : fraternité panafricaine, révolution populaire sous la houlette du parti, émulation des artistes pour mobiliser le peuple, appel à la créativité et à l’énergie de la jeunesse pour construire un avenir heureux…
Il était essentiel pour l’Histoire guinéenne comme pour l’Histoire africaine de ne pas se laisser perdre dans les sables les témoignages de ce talent et de cette complexité. Sollicité par le directeur du Centre de ressources audiovisuelles de Guinée (CRAG), le cinéaste Gahité Fofana, qui a fait des recherches approfondies dans les laboratoires européens pour retrouver les négatifs originaux des films de Moussa Kemoko Diakité, Dominique Olier, directeur du Festival, a organisé avec sa sympathique et efficace équipe de bénévoles engagés une rétrospective des films ainsi sauvés de l’oubli.
Ce sont certes des films de propagande, mais le talent de Moussa Kemoko Diakité est patent. Profitant de sa connaissance de la langue allemande, Diakité a travaillé avec des techniciens d’Allemagne de l’Est pour son premier documentaire, Hirde Dyama (1972), sur le Festival artistique et culturel de Conakry du 9 au 27 mars 1970, pendant du Festival mondial des arts nègres (Fesman) de Dakar de 1966 et du Festival panafricain d’Alger (Panaf) de 1969. Le film existe en deux versions, l’une allemande l’autre française. Il s’ouvre sur une cantatrice accompagnée à la kora et chantant d’une voix douce la disposition du peuple à soutenir la révolution. Puis, ce sont des images en montage serré du défilé des délégations étrangères dont l’une porte un panneau bien mis en avant : « chaque peuple a sa culture ». Une large place est laissée à la prestation de Miriam Makeba, qui s’était installée en Guinée où elle avait adopté la nationalité et disposait d’une maison. Elle chante en soussou, langue guinéenne, l’hymne du parti repris en chœur par les spectateurs. Mais à la différence de Festival panafricain d’Alger de William Klein, Hirde Dyama n’a rien d’un reportage spontané sur la vitalité de la diversité artistique. Il reste autocentré sur le spectacle offert par l’art officiel, et documente un orchestre moderne d’élèves ou un chœur traditionnel chantant tous la gloire de la révolution. La propagande reste dominante : un montage parallèle met l’accent sur des chantiers industriels du pays et un commentaire appuyé célèbre la « vérité » que comportent les traditions, source d’inspiration de la révolution.
Même commentaire officiel dans Fidel Castro, un voyage en Guinée (1972), mais on y sent davantage de construction personnelle. Ce qui intéresse Moussa Kemoko Diakité, c’est le couple parfait que représentent Castro et Sekou Touré, leur accord idéologique total. « Nous ressentons les mêmes choses », répète Castro dans les meetings, étendant aux deux peuples le couple des deux leaders. Diakité utilise toutes les ficelles du film de propagande pour installer le thème : intérêt commun des deux hommes pour les productions nationales, enthousiasme permanent des populations, portraits d’hommes et de femmes quand on évoque le travail du peuple, superposition d’images de foules sur les discours, etc. La convergence des deux révolutions annonce la révolution universelle.
Ces films, si bien fait soient-ils, ne font pas un auteur. Par contre, alors même qu’il s’agit également d’un film de propagande, Hafia football club, triple champion d’Afrique, long métrage qui prend le temps de la démonstration, témoigne d’une nette évolution de traitement, incluant par le biais du commentaire du célèbre Pathé Diallo, ancien policier reconverti en commentateur sportif, décédé en 2007, une certaine liberté de ton. Ici, le film ne se contente pas de reproduire les thèmes officiels, il les problématise. Débutant sur des joueurs échangeant des ballons par coups de tête en une chorégraphie aérienne, il élève d’emblée son propos. Les victoires de l’équipe nationale guinéenne ne portent pas seulement la gloire de la révolution, elles sont emblématiques des tactiques adoptées par le Régime, l’équipe étant décrite comme un corps social vivant, traversé de contradictions mais tendu vers un même but.
Le commentaire étonnamment détaché, en recul, improvisé, de Pathé Diallo n’hésite pas à relever à deux reprises les « cafouillages du camp guinéen ». Pas vraiment langue de bois ! Le montage se garde bien d’éliminer les tentatives de but avortées ou ratées. Les matchs évoluent tels qu’en la vie, complexe, et jamais gagnés d’avance, impliquant une stratégie. L’apothéose est atteinte lors de la troisième victoire en finale du championnat interafricain en 1978. Le film documente la mobilisation de toute la ville, de tout le peuple derrière son équipe. Les supporters sont joyeux et fair play : l’affrontement se veut fraternel et amical, à l’image de l’idéal panafricaniste. Les joueurs sont nommés tour à tour, héros méritant chacun leur distinction. L’harmonie générale est renforcée par la musique de Sory Kandia Kouyaté et Fode Diabaté ainsi que du Bembaya Jazz National.
Le commentaire de Pathé Diallo s’efface alors devant la victoire. C’est le guide de la révolution qui prend le relais, qui ne cesse d’agiter son mouchoir blanc pour saluer et galvaniser les foules. Les images sont alors empruntées à la célébration de la victoire au même stade le lendemain, show organisé dans la plus pure tradition soviétique, avec défilés des étudiants, performances des policiers à moto, danses ordonnées et signifiantes de centaines de femmes munies de calebasses, murs de pancartes à la gloire de Sekou Touré et de la révolution portés par des pans entiers du stade…
Habilement mais non sans anachronisme, le film ne fait pas la différence entre le moment du match, où Sekou Touré était absent, et celui du triomphe, tout à sa gloire. Son discours rythme les images, éloge du panafricanisme, appel à la jeunesse pour dépasser les tensions entre les pays, comme si elle y pouvait quelque chose, notamment avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire, les ennemis du moment.
Une soirée officielle où dansent très dignement les tenants du régime offre un édifiant contraste avec la vitalité du foot. Le summum de l’habileté est atteint lorsqu’il est finalement demandé à des journalistes sportifs étrangers de commenter le match. Un Français attribue la victoire à l’offensivité « à la brésilienne » de l’équipe nationale tandis qu’un Algérien célèbre la créativité et la force d’innovation du football africain. Du foot au politique, le pas est définitivement franchi et le film peut se clore sur les effigies géantes de Sékou Touré portés en mosaïque par des milliers de supporters.
Ovni cinématographique, présenté en copie restaurée, le long métrage Naïtou l’orpheline marque une rupture décisive. Première comédie musicale africaine, sans aucun dialogue et un seul encart en fin de film demandant « vous ne voulez pas ressembler à cette femme ? », Naïtou est entièrement joué par des ballets en décors naturels. Tout le monde s’agite en chœur pour mimer une histoire de jalousie où triomphera le bon droit. Les scènes de nuit où apparaissent les esprits, à la fois masques et animaux, tandis que la bande-son amplifie leurs cris de crapauds ou serpents, sont absolument kitsch et fascinantes. Outre le message très convenu du conte, le triomphe sur les méchants ne pouvait que conforter un pays subissant de plus en plus durement le joug d’un régime finissant. Le conte et l’absence de dialogues permettent à Moussa Kemoko Diakité de se positionner sans craindre les représailles.
Mais une fois ce premier geste de fiction accompli, le changement de régime à la mort de Sékou Touré et l’arrivée du libéralisme qui clôt le fonctionnariat des cinéastes obligent Diakité à chercher une voie de survie. Profitant de l’arrivée de la concurrence économique, il met à profit son apprentissage de la publicité qu’il avait suivi en Allemagne et fonde en 1986 l’Office guinéen de publicité. Il le délaisse cependant en 1992 pour prendre la direction de l’Office national de la cinématographie de Guinée, mais cela ne lui rouvre pas les voies de la création.
A 71 ans, il se penche sur son passé (cf. notre entretien), appelant les jeunes à se former et à connaître l’Histoire de leurs anciens, plus complexe qu’on ne le croit souvent, une génération qui a cru à des idéaux et les a servis, piégée par un régime autoritaire qui pensait devoir les imposer par la répression. Ses films en sont le témoignage, essentiels pour l’Histoire. Il rêve aujourd’hui de tourner un long métrage de fiction en phase avec la récente actualité guinéenne, L’Héritier de Kanté, une métaphore sur les prises de pouvoir par les militaires en Afrique. Souhaitons qu’il y parvienne. Ce retour à un cinéma qu’il n’a jamais vraiment délaissé, vivant aujourd’hui de documentaires de sensibilisation réalisés pour des ONGs, serait une belle façon d’ajouter une fiction d’aujourd’hui à cette vie ancrée dans la deuxième moitié du XXème siècle.

///Article N° : 10080

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Les images de l'article
Hafia, triple champion d'Afrique
Lille: une rue de la vieille ville
Dominique Olier présente la soirée de clôture
Les réalisateurs présents au festival
Gahité Fofana et son épouse, Moussa Kemoko Diakité
Les réalisateurs présents à la soirée de clôture
Naïtou (l'orpheline)
Moussa Kemoko Diakité en photo sur l'écran lors de la soirée de clôture
Moussa Kemoko Diakité
Sur l'écran, Salomé Blechmans, actrice du film Donoma, présenté au festival
Gahité Fofana
Hirde Dyama
Gahité Fofana sur l'écran
Salut final





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