L’Impératif transgressif de Léonora Miano

Baliser et renouveler les pensées afrodiasporiques.

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Alors que son dernier roman Crépuscule du tourment est attendu pour la rentrée littéraire, Léonora Miano signe un nouvel essai publié chez l’Arche. Avec ce recueil de textes théoriques intitulé L’impératif transgressif, l’écrivaine continue de tracer sa voie d’intellectuelle et d’élaborer une réflexion cohérente et contemporaine autour de l’Afrique et de ses diasporas.

Dans Habiter la frontière il était avant tout question d’identités, identités multiples, partagées et mouvantes. Ici, Léonora Miano choisit de s’attarder entre autre sur les discours, la mémoire héritée et transmise, les enjeux de représentation et de langues. Elle prend de la hauteur, intellectualise encore un peu plus son point de vue critique. Le titre de l’essai est évocateur : il faut, il est nécessaire, urgent de transgresser. Oui mais quoi? Les champs académiques, les dogmes et le savoir en place.
« Quels sujets sommes-nous dans nos propres textes? » « Quelle parole souhaitons-nous énoncer? Quels discours voulons-nous propager pour donner du sens à nos expériences? » sont quelques unes des questions posées au travers de cet ensemble de textes visant à proposer « modestement, un apport épistémologique » s’ancrant dans l’espace subsaharien.
L’écrivaine construit des outils théoriques. Elle invente des concepts pour penser et dépasser les idéologies en place : l’Afrophonie plutôt que la francophonie, la Déportation Transatlantique des Subsahariens plutôt que la traite des esclaves.

« L’impératif est de tracer soi-même la voie, de définir ses propres finalités. […] Cela a d’abord à voir avec la perception de soi. » Tous les romans de Léonora Miano explorent ce thème sans fond qu’est la conscience de soi. Assurément politique elle sonde inlassablement les conditions d’une réhabilitation assumée, décomplexée et entendue d’une parole subsaharienne.
C’est ainsi qu’elle énonce que « pour les intellectuels subsahariens, prendre le parti des victimes, considérer qu’il importe de nommer la douleur, ne serait même pas un acte de désobéissance épistémologique. Il ne s’agit pas d’énoncer un contre-discours mais de dire sa vérité, de ne plus se déterminer en fonction d’injonctions extérieures, de se distancier d’un habitus résultant de l’incorporation de présupposés propres à d’autres. »

Ses obsessions sont présentes et traversées encore différemment, ce qui les enrichit : la disparation du monde connu, le basculement qui accompagna la colonisation, la transmission d’une mémoire tronquée. Si la lecture se fait parfois lourde et que certains textes nous perdent un peu, les pistes de réflexions esquissées ici restent stimulantes.

Le continent y est, chez elle, pensé dans une logique panafricaine et comme une réalité déterritorialisée. Penser l’Afrique c’est aussi pour Miano penser les diasporas, l’afrodescendance comme une évidente totalité non pas déconnectée des terres d’origines mais au contraire intrinsèquement liée et qu’il est impossible de considérer indépendamment. En pensant le rapport de l’Afrique au et à son monde, L’impératif transgressif s’inscrit dans les publications du moment comme l’Afrotopia de Felwine Sarr, ou les brillants essais d’Achille Mbembe. Les communications et réflexions qui composent cet ouvrage sont d’ailleurs minutieusement documentées et l’on sent, à la lecture, l’intellectuelle qui se dessine de plus en plus clairement derrière l’écrivaine.

Non pas révolutionnaire mais néanmoins radicale Léonora Miano est ici fidèle à elle-même. Quitte à agacer il ne faut pas avoir peur de mettre des coups de pieds dans la fourmilière, accompagnant par là le constant renouvèlement du monde. « La société que l’on a connue jusque-là n’est pas donnée comme telle pour l’éternité. […] Il convient donc de s’assurer que les graines germent à nouveau, quelle qu’en soit la manière, et que les champs demeurent fertiles, même s’il faut, pour cela, y mettre le feu. »

Six textes composent L’impératif transgressif :

Mélancolies créatrices. Écritures subsahariennes de la catastrophe
Littératures subsahariennes : la conquête de soi
L’impératif transgressif. Vers une pensée afrophonique
Toute littérature est politique
Sacrée marginale, postures des écrivaines francophones
Parole due (sur la Déportation Transatlantique des Subsahariens)///Article N° : 13687

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Un commentaire

  1. Sophie Debarge le

    Bonjour !

    Merci pour cet article. J’aimerais beaucoup me procurer cet ouvrage, qui semble malheureusement être en rupture sans perspective de réédition.
    Ceci est donc une bouteille dans la mer du net : je serais très reconnaissante à toute personne en mesure de me vendre, échanger ou donner ce livre !

    Amitiés à tou.te.s,

    Sophie D. (sophie(point)debarge(a bizarre)gmail(point)com

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