Littérature en RDC : la traversée du désert

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Analyse de la situation éditoriale en RDC à l’occasion de la prochaine publication d’une étude de la bibliographie en RDC de 1960 à 2004, dirigée par Paul Tete et Christophe Cassiau-Haurie, aux éditions Afrique Edition.

Cet ouvrage recense plus de 10 000 notices bibliographiques, chiffre impressionnant qui place la RDC, en dépit d’un contexte économique et politique très défavorable, comme premier pays éditeur d’Afrique noire francophone (1) !
Antoine Tshitungu interprète ce phénomène par « l’ancrage de l’écriture sur des structures locales d’impression, d’édition et de diffusion, (…) créée par les missionnaires (…). Il explique pour une large part l’autonomie dont bénéficie le Congo belge, aujourd’hui encore, en matière de création culturelle et notamment dans la production du livre » (2).
Cette étude n’a pu recenser – avec un maximum de précisions – que les ouvrages répertoriés aux inventaires du Dépôt légal de la BNC.
Faute de documents de référence et de catalogues, la production des villes de province n’a pu être recensée que sur la base d’informations parcellaires.
La publication de cette recherche est peut-être l’occasion de s’interroger sur la réalité socio-économique à laquelle est rattachée cette abondante production éditoriale, en particulier son aspect littéraire, partie la plus sensible du fait de son rôle de miroir, ainsi que sur les conditions de création et de circulation des biens culturels en RDC.
Car, au-delà des motifs de satisfaction sur cette abondance de titres, force est de constater que l’on ne produit plus de littérature en RDC depuis plus de 10 ans. Les étals des quelques librairies du pays n’offrent que quelques ouvrages réimprimés ou des invendus qui traînent depuis plusieurs années. Au Congo, sont publiés peu de romans, de pièces de théâtre, de contes ou de poèmes (si ce n’est quelques tentatives d’auto édition).
Ce ne sont pas les auteurs qui manquent, bien au contraire, les tiroirs regorgent de manuscrits et d’ébauches. La faute en incombe surtout aux éditeurs qui, selon leurs propres dires, ne veulent plus tenter « l’aventure littéraire » !
Les éditions Mediaspaul n’ont publié qu’un seul roman depuis 1999 (3), Paulines n’a pas publié de littérature depuis 1972 (4) et Afrique Édition, s’est spécialisé depuis 10 ans, dans la littérature scolaire et universitaire.
L’écrivain Zamenga, par exemple, est mort en laissant une dizaine de manuscrits inédits, jamais publiés faute d’éditeur.
Les chiffres du dépôt légal confirment ce constat : au cours des 5 dernières années, le nombre d’ouvrages de littérature enregistré est de 9,2 % (5) de l’ensemble de la production éditoriale.
Le résultat en est un milieu littéraire asséché, où certains pans entiers de la littérature ont disparu (en particulier, la littérature de jeunesse) et où la relève est inexistante (6).
Une littérature sans public
Les ouvrages littéraires édités depuis 20 ans ont un tirage moyen 3 fois moins important que celui d’un livre d’un autre domaine (7). D’après les recherches effectuées dans le cadre de cette étude, le volume d’exemplaires imprimés tourne autour des 1000, ce qui classe la RDC au même niveau que le Val d’Aoste dans la production littéraire francophone.
Le public visé semble donc très restreint à la base.
À ceci se rajoutent les éternels problèmes des pays du tiers-monde : analphabétisme récurrent (autour de 45 % d’après les derniers chiffres), difficultés financières rendant l’achat de livres impossibles (les livres coûtent très chers en RDC), difficultés matérielles (absence d’électricité pour la lecture ou l’écriture), mais aussi culturelles, la vie communautaire rendant parfois difficile l’isolement nécessaire à la lecture.
Mais, en RDC se rajoutent d’autres difficultés, en particulier des problèmes de diffusion énormes (routes inexistantes, absence de librairies…) et une absence de politique gouvernementale encourageant la lecture (taxes nombreuses pour les libraires, éditeurs, importateurs, bibliothécaires, etc..).
Enfin, les publications sont souvent le fruit d’auto édition, ce qui rend le milieu éditorial fragile et peu organisé.
Car, aujourd’hui, l’écrivain congolais est dans une impasse : il n’est lu ni en RDC, du fait de problèmes énormes de distribution, d’une impossibilité de « médiatisation » et d’un lectorat confidentiel, ni en Occident, faute de pouvoir entrer dans les circuits de l’édition parisienne, du fait de sa « belgitude » d’origine.
La littérature congolaise ne fait donc pas le poids économiquement parlant, et, à défaut, ne dispose pas de l’entregent nécessaire, malgré son abondance éditoriale et les succès incontestables de certains de ces écrivains à l’extérieur.
Pourtant l’émergence, dans les années soixante-dix, d’une forte créativité marquée par l’organisation de prix littéraires (Prix Goethe, Prix Ngongo, Concours L.S.Senghor) et la naissance de nouvelles maisons d’édition comme le Mont noir avait fait naître beaucoup d’espoir (8).
Les œuvres produites à cette époque, souvent issues de ce que l’on a, un temps, appelé « L’école de Lubumbashi » (9) restent toujours les textes de référence d’aujourd’hui, même s’ils sont introuvables du fait des problèmes importants de conservation des documents dans ce pays.
Lyliane Kesteloot et Jacques Chevrier d’ailleurs, ne citent que Pius Ngandu Nkashama et Valentin Yves Mudimbe dans leurs anthologies respectives (10).
De plus, certains ouvrages écrits par Zamenga, grand écrivain populaire de la fin des années 1970, comme « Bandoki » et « Les hauts et les bas », pourtant publiés sous forme de feuilleton à l’origine, se vendaient à plus de 15 000 exemplaires (11).
Malheureusement, ces maisons d’édition, si elles ont incontestablement contribué à l’éclosion d’un discours autonome congolais, ont vite été rattrapées par les difficultés économiques inhérentes au secteur de l’édition.
À ces difficultés objectives, s’ajoute l’absence quasi totale depuis 20 ans de stratégie commerciale et éditoriale chez les éditeurs et écrivains congolais. La « haute littérature » (essai, poésie, roman, critique littéraire) a toujours régné en maître alors que la para littérature est aujourd’hui inexistante : pas de feuilletons ni de romans policiers ou à l’eau de rose dans les journaux (12).
De même, la BD est inexistante en RDC, si ce n’est à l’état de projet dans les cartons des jeunes créateurs doués, issus de l’Académie des Beaux-arts. La courageuse initiative de Barly Barutti avec le studio ACRIA n’a pas encore eu le temps de produire une œuvre locale conséquente. (13)
Il s’agit, sans doute, d’un rendez-vous manqué, tel que le soulignait Zamenga : « La Bande dessinée offre à nos pays composés de population en majorité de semi-lettrés, des possibilités de communication et de diffusion des messages et du savoir… alors que nos textes n’ont dépassé jusqu’à présent qu’une ou deux éditions, « Un croco à Luozi » en est à sa huitième. » (14).
La para littérature contribuerait à fidéliser le lectorat moyen, à créer des habitudes dans le public et, surtout, à produire un contre discours face aux stéréotypes dévalorisants de l’Africain présent dans les romans d’espionnage (tel la série S.A.S, très populaire à Kinshasa) et dans des œuvres comme Tintin au Congo, dont les figurines sont vendues à tous les coins de rue (15).
Dans ce désert ambiant, saluons tout de même l’originalité de la démarche de l’artiste papa M’fumueto 1er qui, sur les marchés de la capitale, distribue ces histoires ronéotypées en quelques centaines d’exemplaires, dessinées en bicolore et écrite dans un lingala de la rue sur des sujets quotidiens très populaires.
Bel exemple d’une démarche, hors des sentiers battus, et des circuits commerciaux, dit traditionnels, copiés sur l’Occident.
Une littérature de mimétisme
Les différents royaumes apparus au Congo depuis le XVe siècle (Kongo, Téké, Kuba, etc.) ont produit un patrimoine oral d’une grande richesse et d’une grande diversité : épopée (Lianja de l’ethnie mongo, les chants Kasala des Luba), contes, théâtre Nkundo et autres formes de littérature orale ont fleuri sur cette terre. Cette influence a été énorme dans les premiers temps de l’histoire littéraire du Congo dans la mesure où la poésie, les contes, les fables et le théâtre étaient les genres les plus encouragés pendant la période coloniale à travers les concours et l’édition. Que ce soit A.R Bolamba, Stéphane Kaoze ou Badibanga, beaucoup ont œuvré pour la conservation et la pérennité du patrimoine oral et ont servi de passerelles entre oralité et écriture. Sans oublier le rôle joué par les clercs indigènes dans la retranscription par les missionnaires des contes traditionnels.
Aujourd’hui, peu d’ouvrages locaux continuent de retranscrire ce riche terreau.
Pourtant, avec l’exode urbain, la disparition des langues vernaculaires (concurrencées par les langues nationales), il devient fondamental de conserver par écrit ce patrimoine qui, progressivement, perd de son sens pour les jeunes générations.
En RDC, peu d’écrivains ont su recréer leur langue coloniale en la « tropicalisant ». Le français écrit y reste invariablement classique, même quand il s’agit des contes ou des fables.
Ceci peut s’expliquer par un certain mimétisme de la part des écrivains congolais par rapport à l’Occident, éternel pôle d’attraction.
On pourrait y voir également la continuation d’une forme de « sous-culture » coloniale, pour reprendre l’expression de Bernard Mouralis, qui, en cultivant une certaine fascination pour l’Occident, dévalorise et marginalise la culture autochtone.
Ce phénomène est d’autant plus curieux qu’il ne semble pas affecter d’autres formes d’expressions artistiques comme la danse et surtout la musique qui évoluent sur un mode parfaitement autonome.
Enfin, il est assez stupéfiant de constater l’absence d’ouvrages littéraires congolais sur la guerre qui a sévi dans le pays pendant 6 ans.
Ce drame n’est pourtant pas absent des manuscrits des jeunes auteurs congolais, mais la RDC attend encore son écrivain emblématique capable de conceptualiser la somme de souffrance qu’a subi ce peuple.
Ce phénomène n’est cependant pas nouveau : il a fallu attendre 1 973 pour que paraisse Entre les eaux de Valentin Yves Mudimbe, première grande œuvre de fiction traitant du souvenir des rébellions qui allaient déchirer le pays jusqu’en 1965.
Enfin, notons, à l’exception de Clémentine Faïk-Nzuji, l’absence de femmes d’envergure dans la littérature congolaise. Il s’agit là d’un phénomène fréquent sur le continent, qui étonne cependant dans un pays où le taux de scolarisation des filles est assez haut et qui compte Nele Marian parmi les pionnier(e)s de sa littérature.
Une littérature d’exil
L’histoire du livre de Georges NGAL, Giambatista Viko ou le viol du discours africain, est assez connue : un intellectuel africain tente d’écrire un roman capable d’unir les vertus de la littérature occidentale et de l’oralité africaine. Puni par les gardiens du temple, il sera condamné à une errance continuelle pour lui faire redécouvrir sa culture…
Ce roman illustre parfaitement la condamnation à l’exil dont souffrent les écrivains congolais majeurs.
Cette situation a toujours prévalu dans la littérature francophone négro-africaine, c’est notamment à Paris que L.G Damas, Léopold Sedar Senghor ou Aimé Césaire ont jeté les bases de la négritude. Plus proche de nous, Camara Laye, Mongo Betti ou Tchicaya U Tam’si, entre autres, ont été à un moment de leur existence des exilés.
La différence fondamentale est la rupture parfois irrémédiable des auteurs congolais avec leur pays d’origine.
Pratiquement plus aucun écrivain de renom n’est publié ou diffusé en RDC.
Djungu-Simba vit et publie en Belgique, Pius Ngandu Nkashama, après avoir été directeur littéraire chez l’Harmattan, enseigne désormais aux Etats-Unis où est également installé son compatriote Mudimbe qui produit en anglais. Mukula Kadima vit à Brazzaville.
Jean Bolya et Achille NGoye n’ont même jamais écrit de livres publiés en RDC et sont totalement inconnus dans leur pays d’origine. Dominique Mwankumi en est un autre exemple dans la littérature de jeunesse.
Pie Tshibanda, pour sa part, n’a pu faire connaître son ouvrage « Un fou noir au pays des blancs » auprès du public congolais que grâce à une adaptation théâtrale locale qui connut beaucoup de succès durant les années 2003 et 2004.
De nos jours, la diffusion des textes congolais est dépendante d’éditeurs étrangers dont les motivations sont bien évidemment dépendantes des volumes de vente.
Cette absence d’écrivains de renom sur la scène congolaise est vécue comme un drame par les jeunes auteurs congolais, en mal de modèle et de chef de file.
Aujourd’hui, la création littéraire congolaise est extérieure et se dilue dans la sphère francophone, elle ne se distingue pas des autres productions de la francophonie, ces spécificités sont gommées.
Les œuvres, elles-mêmes, ne sont pas étudiées à l’université ou à l’école secondaire : leur lectorat est devenu occidental (16).
Pourtant, il a été possible de vivre en RDC, et de produire en Europe, Mudimbe ou Ngal l’ont largement démontré à une époque où Internet n’existait pas. De nos jours, Barly Baruti poursuit une brillante carrière de bédéiste en Europe mais passe encore la majeure partie de son temps à Kinshasa où il produit beaucoup.
Pius Ngandu ne doit pas à sa « qualité » d’exilé le fait d’avoir pu être publié, puisqu’il ne s’est révélé qu’après son départ.
De même, il est également possible de rendre ses textes accessibles dans son pays d’origine, d’autres auteurs africains le font (Boubacar Boris Diop au Sénégal par exemple), par le biais de conférences ou d’ateliers d’écriture.
En RDC, il n’en est rien, l’éloignement physique de l’auteur se double de la disparition de ses œuvres.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette désaffection, en premier lieu la situation politique qui a entraîné un exode de certains, obligés de demander l’asile en Europe ou au Canada.
Mais la principale raison reste économique.
En RDC, aucun écrivain ne vit de sa plume, le seul moyen pour un écrivain de gagner sa vie passe par les milieux littéraires et maisons d’éditions étrangers.
Mais cet exil est-il peut-être le prix à payer pour obtenir une forme de liberté ?
La Trahison des clercs
La confusion entre écriture et politique est une « tradition » très forte en RDC.
Le régime zaïrois a eu souvent à se louer des écrivains et poètes qui vantaient, sans distanciation, ni critique, les immenses qualités et mérites du grand homme de cette époque. De cette façon, une « poésie de cour (17) » est née et s’est développée durant plusieurs décennies. Le sens esthétique étant passé au second plan, les œuvres nées de cette époque sont maintenant oubliées.
Cette mode de la flagornerie littéraire fit un bref retour lors de l’arrivée au pouvoir du président Kabila. Les oraisons, et autres odes de circonstances fleurirent à cette occasion.
De même, le nombre d’hommes de lettres, d’enseignants, de professeurs congolais qui rentrent en politique est impressionnant.
Le courage de Mudimbe, préférant l’exil aux honneurs douteux du MPR ou de Zamenga, démissionnant avec fracas de la SONECA ( » Nous pensons notamment à la politique politicienne ; dès qu’on y entre il est difficile d’en sortir blanchi. (18) ») reste pour l’instant isolé.
La république des professeurs, qui selon le Général Mayele caractérisait le Zaïre, est toujours d’actualité.
Cela pose un problème évident : quel regard critique, l’intellectuel ou l’écrivain congolais peut-il porter sur l’actualité de son pays quand lui-même fait partie des dirigeants ou aspire à y rentrer ?
Le Reniement des précurseurs
La première œuvre littéraire en langue française date de l’année 1910 avec un article de Stéphano Kaoze intitulé « Psychologie des Bantous ».
La lecture de ce texte est assez stupéfiante par sa structure, sa finesse et son souci de faire comprendre le peuple dont il est issu. Surtout quand on songe que Kaoze a écrit ce texte dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, dans un pays où l’enseignement du français ne devait guère dépasser 25 ans et où, surtout, la civilisation de l’écrit n’existait pas !!
En 1932, Badibanga publie un recueil de fables intitulé « L’éléphant qui marche sur des œufs », première œuvre de fiction congolaise.
Pourtant ces deux auteurs ne sont pas passés à la postérité. Les écrits de Kaoze restent en partie inédits et Badibanga est considéré, par beaucoup, comme le nom d’emprunt d’un colon farceur.
Kadima ne considère même pas Kaoze comme un écrivain même s’il lui reconnaît un certain rôle de passeur entre les deux cultures.
Antoine Tshitungu Kongolo, au contraire, estime que « l’édition complète des écrits du premier prêtre autochtone du Congo devrait contribuer à la révélation de nombreux inédits ainsi que des documents tout aussi éclairants pour l’histoire. (19) »
Badibanga, pour sa part, est ignoré et oublié. Tout simplement…
Écrire en quelle langue ?
Dès l’indépendance, la jeune république introduit le français comme langue d’enseignement dès la première année primaire et pour toute la durée de la scolarité. Du coup, était abandonné l’immense et fructueux effort accomplir jusqu’alors par les pouvoirs publics et les éditeurs missionnaires (certes dans une certaine ambiguïté) de promotion des langues indigènes à l’école ainsi que la littérature traditionnelle. Ceci explique que depuis deux décennies, le nombre de textes en langue locale soit en très net recul.
Pourtant, Crispin Ngalamulume estime que « les écrivains francophones se tournent de plus en plus vers les langues congolaises pour s’exprimer (20) ». Ce constat n’est valable que pour la production congolaise à l’étranger : 7 des 12 romans écrits en langue congolaise, qu’il recense, sont issus de maisons d’édition occidentales (21).
Aujourd’hui, en RDC, l’immense majorité des titres écrits en langue locale concerne les éditions religieuses et quelques publications financées par des ONG de développement communautaire.
Le reste, livres scientifiques, universitaires, juridiques etc.. Ne sont Jamais écrits dans une autre langue que le français. De toute façon, les lecteurs, selon les libraires de la place, n’achètent pas les livres non écrits en français.
Dernier Robinson sur son île, seul, peut être, José Dianzungu écrit encore ces ouvrages en langue kikongo (22).
Pourtant, le français en RDC, s’il compte un nombre impressionnant de lecteurs potentiels et constitue un élément de cohésion nationale, reste une langue minoritaire qui, sociologiquement, est une langue élitiste liée au savoir et au pouvoir et ne faisant pas partie intégrante de l’identité culturelle.
Tout cela fait de l’écrivain congolais, à l’image de ses confrères africains, un auteur double, naviguant dans l’ambivalence en permanence entre deux cultures, si bien résumé par Zamenga : « Nous avons commencé de traduire de français en kikongo notre œuvre Bandoki ; la difficulté s’avère plus ardue que lorsque nous l’avons pensé en kikongo et écrite en français. (23) »
Les critiques aux abonnés absents.
Si la littérature congolaise est malade, la critique littéraire, sa nécessaire interface, est moribonde. Le nombre d’ouvrages critiques est inexistant, et si les critiques littéraires se réunissent, en particulier l’Association des Critiques littéraires de Kinshasa, leur production est faible. Il est vrai que depuis la disparition de Lecture africaine et des Cahiers de littérature et de linguistique Appliquée et la mise en léthargie du CELTA, ils n’ont plus d’espace pour s’exprimer.
Il n’y a plus de rubriques artistiques ou culturelles dans les quotidiens et les quelques comptes rendus de sortie d’ouvrages sont toujours l’œuvre de journalistes non spécialisés dans la matière.
Seuls la revue Congo – Afrique et quelques articles isolés dans Le potentiel et Renaître viennent rappeler qu’il existe encore une vie littéraire en RDC.
Ce phénomène n’est pas nouveau, Mateso Locha soulignait déjà en 1974 (24), « il n’existe pas d’école de critique littéraire au Zaïre », regrettant également que « l’activité critique ait longtemps marqué le pas ».
Il semblerait que cela n’ait guère évolué…
La littérature congolaise est aujourd’hui à la croisée des chemins. « Orpheline » de l’époque mobutiste qui avait perpétué la prise en charge par les pouvoirs publics coloniaux de l’activité culturelle. Elle n’est jamais réellement sortie de son schéma de mimétisme occidental ou plutôt de « sous culture » néocoloniale, pour reprendre l’expression d’Aimé Césaire.
Peut-être cela démontre t-il, simplement, que la littérature d’un pays ne peut réellement surgir que d’un processus d’émancipation politique et sociale et de construction nationale, étapes que la RDC n’a peut-être pas encore franchies…

1. Par exemple, la Bibliographie générale de la République du Congo, édité en 1994 par Carlo CAROZZI et Maurizio TIEPOLO recense 1 600 titres parus, pour un pays nettement moins peuplé que la RDC, il est vrai. Albert GERARD estimait en 1989 que l’on produisait autant de titres au Zaïre que dans toute l’Afrique de l’ouest francophone réunie.
2. Antoine TSHITUNGU Poète, ton silence est un crime, éd. L’HARMATTAN, 2001.
3. L’empoisonneur de Ndoki, éd. MEDIASPAUL, 2001.
4. Il s’agissait de ce grand écrivain africain qu’est Alphonse DAUDET.
5. La production éditoriale de la Bibliothèque Nationale du Congo, communication de Georges MULUMBA in Colloque sur « Les bibliothèques, le livre, l’écrit et les technologies de l’information et de la communication en RDC ». Décembre 2004.
6. Pour l’année universitaire 2004-2005, seuls 33 étudiants sont inscrits au département de lettres françaises de la Faculté de lettres de l’UNIKIN. 17 étaient inscrits au département de lettres africaines.
7. Etudes réalisées d’après le catalogue de 3 maisons d’édition locales ayant souhaité garder l’anonymat.
8. A laquelle, on peut rajouter Ngongi, La grue couronnée, Les presses africaines, Pipia, Panthère noire, Centre africain de littérature, Bobiso, Ndobo, Lokole, Propaza, Basenzi…
9. Cette localisation était due au transfert de la faculté de lettres à Lubumbashi.
10. Lyliane KESTELOOT, pourtant née au Congo, ne signale la présence d’auteurs congolais que dans les éditions postérieures à 1981.
11. Ce qui explique que les Editions MEDIASPAUL ont décidé en 2004 la réédition de deux titres de ZAMENGA : Carte postale et Les hauts et les bas, décision rarissime dans le milieu éditorial congolais.
12. Comme par exemple, la collection Adoras des Nouvelles éditions ivoiriennes consacrée aux romans à l’eau de rose ou plus anciennement, la tentative fructueuse de ZAMENGA avec sa petite ONG littéraire Zola-NSI.
13. Au contraire, ACRIA a permis, involontairement, à certains auteurs comme Fifi MUKOMA ou Pat MASIONI d’émigrer à l’étranger.
14. ZAMENGA B. La littérature en Afrique, éd. ZABAT
15. Face à cette auto flagellation permanente, rêvons d’un Savonarole congolais qui, tel le souhait de Senghor avec les affiches de Y’a bon Banania, détruirait ces statues en un gigantesque autodafé.
16. Florilège 6è, Florilèges 5è, Florilèges 4è, anthologies littéraires publiées aux éditions LOYOLA sous la direction de BABUDAA ne comporte aucun extrait d’ouvrages congolais publiés à l’étranger. L’œuvre de MUDIMBE, par exemple, s’arrête à 1982.
17. Lire à ce sujet l’excellent article de Gerard MUKOKO, La « poésie de cour » et ses quatre fondements pendant la deuxième république in Congo Afrique, N°391
18. ZAMENGA B. op. Cit.
19. Antoine TSHITUNGU, op. cit.
20. Crispin NGALAMULUME, La littérature congolaise, éd. GLOBO, Sudbury, 2003.
21. Souvent crées par des congolais de la diaspora, il est vrai.
22. Quelques pièces de théâtre comme Muana longa se, ou Ana nzinga parus à LUOZI aux éd. NSAKU NE VUNDA ou des contes comme Ku Kongo dia bimpa aux éd. MBONGI.
23. ZAMENGA B. op. Cit.
24. MATESO LOCHA, « La critique littéraire au Zaïre », in Notre librairie spécial « La littérature zaïroise », pp. 119 – 133
Précision de l’auteur de l’article :
« Face à ce constat, le projet d’Appui à la documentation en RDC de l’Ambassade de France a soutenu plusieurs projets d’édition visant à combler partiellement les manques dénoncés dans cet article : Kinshasa carnets de guerre de Yoka Lie Mudaba (témoignage d’un écrivain sur la guerre dans son pays), Paix au Congo, Stéphano KAOZE, une vie, des proverbes (recueil de textes inédits de Stéphano Kaoze), Les aventures de Mamisha (une bande dessinée), une Anthologie de la littérature congolaise, deux volumes de L’histoire du Congo par les textes, un album de jeunesse : Connaître les animaux domestiques, un recueil de nouvelles : La tourmente, deux romans posthumes de l’écrivain Zamenga : Pour un cheveu blanc et La mercédes qui saute les trous. Chauffeur ya patron, la réédition d’un dictionnaire français chiluba et d’un recueil de critiques littéraires avec l’Association des critiques littéraires de Kinshasa. Mais ces efforts ne peuvent modifier qu’à la marge la vision générale du paysage littéraire congolais dépeinte dans cet article. »///Article N° : 6958

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