Du 19 au 25 août 2007, les Etats généraux du film documentaire qui se tiennent depuis 1989 dans le petit village de Lussas (Ardèche, France) ont réuni public et professionnels du documentaire de création. Nous témoignons chaque année de la qualité et de l’intensité de ces rencontres qui mêlent des séminaires de réflexion à une programmation exigeante et passionnante. Depuis quelques années, Lussas propose une sélection spécifiquement consacrée à l’Afrique.
« Dans ce « mouvement monde » de l’art documentaire, le silence imposé à l’Afrique est tellement indécent que je m’obstine à dénicher des films qui racontent, rappellent ce continent à notre conscience commune. » C’est ainsi que Jean-Marie Barbe, fondateur des Etats Généraux et qui s’occupe maintenant du programme Africadoc de soutien à la production documentaire en Afrique, introduit cette programmation Afrique. « La plupart de ces films, poursuit-il, sont principalement vus en Europe, les télévisions africaines ne les diffusent souvent pas, et le réseau des salles de cinéma en Afrique est en lambeaux. Mais l’isolement, le petit nombre de ces documentaristes et l’importance de leurs oeuvres ne nous disent rien sur un fait nouveau : un tissu, une génération de documentaristes africains émergents. »
Un des intérêts de Lussas est ainsi de voir les films de ces jeunes auteurs, où les femmes sont bien représentées. La seule télévision africaine à soutenir le documentaire de création est la chaîne publique sud-africaine SABC. Lussas montrait ainsi l’admirable The Mothers’ House de François Verster (cf. article n°6760). En l’absence d’implication télévisuelle au Sud, le salut pour ce type de démarche cinématographique est au Nord. C’est vrai de la production du documentaire de création mais de moins en moins pour sa diffusion quand il s’éloigne trop des critères du formatage télévisuel. Le circuit des festivals reste alors sa seule porte de sortie, hormis les possibilités désormais ouvertes par le dvd et l’internet.
Il y a bien sûr les films réalisés par des réalisateurs confirmés introduits dans les circuits de production européens : le saisissant Une affaire de nègres de la Camerounaise Osvalde Lewat (critique n°6849) produit par AMIP et le remarquable Cuba, une odyssée africaine de l’Egyptienne Jihan El Tahri (critique n°6831) produit par Arte. Le passionnant Le Beurre et l’argent du beurre de Philippe Baqué et Alidou Badini (critique n°5985) fut le produit d’une collaboration franco-burkinabè entre Smac Productions et Sahélis à Ouagadougou, tandis que Retour à Gorée de Pierre-Yves Borgeaud (critique n°6848) suit la voie plus classique du documentaire musical avec Youssou N’Dour sur la route de l’esclave.
Les jeunes documentaristes africains, eux, ne tournent le plus souvent que grâce à la collaboration entre des structures africaines et européennes de formation, avec parfois le soutien d’institutions de coopération : Sénégalaises et Islam d’Angèle Diabang-Brener (critique n°5871) qui fut soutenu par le Goethe Institut, Senghor, je me rappelle
de Gora Seck, qui vit le jour grâce aux Dix Mots de la Francophonie et Les Films de l’Atelier de Dakar, ou Ra, la réparatrice de Mamadou Cissé, issu des résidences d’écriture Africadoc conjointement organisées par Dakar Images et Ardèche Images.
Que ne voilà pas un sujet délicat : à la fois maintes fois traité et sujet à polémique, la mémoire de Léopold Sédar Senghor. Gora Seck s’y atèle dans Senghor, je me rappelle
(14′) avec la précieuse aide de Jacqueline et Lucien Lemoine, Haïtiens exilés à Dakar depuis 1966 et qui ont intimement participé à la vie culturelle sénégalaise, tous deux comédiens de théâtre, lui également auteur et metteur en scène. Ils ont produit pendant douze ans l’émission La voix des poètes à la Radio-télévision du Sénégal. Le film est court, plutôt décousu, impressif, centré sur quelques perceptions subjectives et quelques images d’archives. Totem, occidentalisé demeuré africain, puriste de la langue, artisan de la démocratie
quelques définitions sont esquissées dans des rencontres filmées. Le lien reste sa poésie : « Je me rappelle, je me rappelle… / Ma tête rythmant / Quelle marche lasse le long des jours d’Europe où parfois / Apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote sanglote. »
Ramata Coulibaly, on l’appelle Ra. Une sacrée jeune femme. 25 ans, réparatrice de groupes électrogènes, de pompes et de tondeuses à gazon. Ce n’est pas un « métier de femme » ? Elle dirige son atelier d’une main de maître. Elle a appris en regardant faire, selon cette pédagogie de l’imitation si efficace en Afrique. Ra, la réparatrice (26′) se fait portrait et lui donne la parole, sans besoin de commentaire ni d’interview filmée. Mamadou Cissé la suit dans son activité, style reportage, et la retrouve à la réunion de la tontine ou en train de se marier. Lorsque Kaba achète à Ra un groupe électrogène à bout de souffle pour en recycler les ferrailles, Cissé dévie vers cet autre personnage et cette autre activité, digression dans le récit, concession à la structure de l’oralité. Le rythme des martèlements évoque alors Les Malles de Samba Félix Ndiaye mais sans en atteindre la métaphysique. On retrouvera les objets ainsi façonnés en cadeaux au mariage de Ra. Pour le préparer, Cissé cède à la fiction et met en scène une discussion intime le soir où les futurs mariés rêvent d’une nouvelle maison. La douce musique de Toumani Diabaté, une belle maîtrise de caméra et surtout la proximité qui permet de saisir avec justesse la détermination de cette femme qui s’impose face aux hommes sans tambours ni trompettes font de Ra, la réparatrice un témoignage apte à faire bouger les esprits.
Le Congolais Rufin Mbou Mikima présentait en 2006 un documentaire prometteur, Tenrikyo, une tradition en toge noire (cf. article 4568). Il a suivi ensuite la formation Master de réalisation documentaire de création à Lussas, qui débouche sur un film d’une belle sensibilité : Sons nouveaux (9′). Autour de la redécouverte des sons par une personne qui avait perdu l’audition, c’est son écoute de ce monde différent qu’est l’Europe qu’il documente. « Il y a des bruits que je ne comprends pas », dit Bernadette. Des bruits parfois très agressifs : équipé d’une ligne de prise de son, Rufin arpente le marché toutes oreilles tendues. C’est un apprentissage. Visage de profil, Bernadette devine les bruits. Comme elle, Rufin déchiffre le bruit du monde qui l’entoure. C’est la condition de l’échange : nous pouvons peu à peu entendre le son de ses mains qui jouent du tambour.
Dans une démarche semblable à celle d’Africadoc, un partenariat entre une structure européenne et une structure africaine, le festival bruxellois Filmer à tout prix organise un atelier d’écriture et de réalisation documentaire en partenariat avec le Media Centre de Dakar, formation gratuite à l’audiovisuel en un an de douze jeunes à parité hommes-femmes chaque année (cf. articles n°3253, 3965 et 4320). Trois cinéastes et un monteur belges viennent à Dakar moins pour « former » que pour rencontrer les jeunes documentaristes en un « laboratoire du réel » où ils sont appelés à faire du processus d’écriture une quête plutôt qu’un aboutissement, c’est-à-dire que le film est un chantier toujours ouvert, en permanente transformation, tant dans la forme que dans le fond.
Les quatre films qui en sont issus en 2006 sont ainsi des témoignages très personnels, qui choisissent de privilégier le partage intime avec le spectateur plutôt que les données socio-économiques. D’où l’omniprésence du commentaire à la première personne, sorte de carnet de bord significatif d’un désir d’expression de soi dans une culture où l’on ne se livre que peu. Se confronter à l’inconnu n’est ainsi pas seulement la relative nouveauté d’une démarche de cinéma en formation mais aussi et peut-être surtout la prise en main de ce « je » si difficile à manier au cinéma. Lorsque la morale s’en mêle, le commentaire a ainsi tendance à plomber les films, prenant la place de l’image pour délivrer un message : plutôt que de servir le récit, il le contamine, le surligne, lui ôtant ce qu’il pouvait comporter de mystère. Il a tendance à gommer le hors-champ, et donc la force de révélation du film, tant il est vrai que c’est le hors-champ qui, en sollicitant son imaginaire, permet au spectateur de s’approprier le film pour produire son film à lui.
Avec Surtout souriez ! (9′), le message est même dans le titre. Fatou Jupiter Touré réussit pourtant de beaux plans grouillants de vie sur une gare routière qui ancrent le film dans le réel urbain. Ce quartier est de jour comme de nuit un tel foisonnement de vie qu’il est profondément cinématographique, quel que soit l’angle choisi. Le champ est ainsi traversé par le mouvement des êtres et des choses et le choix d’une succession de plans fixes amplifie le récit féerique d’une rencontre avec Maïmouna, une vendeuse de thé qui lui paye un soir le taxi pour qu’elle rentre chez elle sans embrouille. Nous ne verrons aucun des protagonistes : ni la cinéaste qui commente ni la vendeuse. Seulement les mains préparant le thé, les charbons pour le chauffer, la table pour le poser. Mais surtout un quartier qui devient familier. Construit comme une lettre à Maïmouna, Surtout souriez ! cherche à déconstruire la crainte commune d’un coin de ville réputé dangereux mais où « une communauté se bat du matin à la nuit pour échapper à la misère ».
Dans Destins croisés (22′), Maïmouna Gueye tente de retrouver Etienne Preira, roi du basket sénégalais, victime d’un accident qui avait ému tout le pays. « J’ai été touché au plus profond de mon être et je me suis sentie compatir à sa douleur » : quelques années plus tard, elle se met à sa recherche, rencontre un journaliste, son entraîneur et arrive finalement dans sa maison au terme d’une quête incertaine. Pour le spectateur, voyeur qui en veut toujours plus, la tension est bien sûr de voir enfin le roi déchu dans sa misère, mais la compassion en restera heureusement au niveau du commentaire et de la rencontre avec la mère. Les thèmes abordés, comme l’exil des sportifs dans les clubs européens, ne sont qu’effleurés, tandis que la mise en scène des rencontres factices puisque rejouées devant la caméra étire et alourdit elle aussi le film. La rencontre avec les jeunes du quartier qui se sont constitués telle une famille en amicale de soutien permet cependant de sentir le désir de perpétuation du rêve.
Les deux films sélectionnés à Lussas égrenaient aussi un bréviaire intime. Oumy et moi d’Adams Sie (28′) n’utilise que peu le commentaire mais laisse largement les deux protagonistes discuter. Oumy est albinos : bien que très belle et sachant se mettre en beauté, elle est victime du rejet des autres. « Si un malheur nous frappe, on doit accepter le destin » : c’est cette positivité qui fascine Adams Sie, au point qu’il en tombe amoureux. La douce progression de sujet filmé à sujet d’amour fera l’argument du film. Albinos et chrétienne, cela fait beaucoup à accepter par les parents et amis d’Adams, et Oumy craint que cela ne remette en cause leur liaison. Ils ont les échanges et les conversations des amoureux, et se filment comme s’il s’agissait de se les garder pour soi. C’est ce qui fait la qualité d’un film touchant qui accède ainsi malgré son très fort ancrage culturel à une dimension universelle.
Touchant, Papa
de Aïcha Thiam (8′) l’est aussi, malgré un commentaire à la limite du pathos. Le film est centré sur une plage devenue le jardin secret de la jeune réalisatrice qui s’y isole pour penser à son père, revenu malade après 16 ans d’absence pour mourir peu après. Les vagues, le sable, les jeux de l’eau sur les cailloux, le ciel résonnent au récit d’Aïcha qui convoque aussi sa relation à quelques objets du père. Le ressenti de la mémoire saute ainsi de métonymies en métaphores, en une forme qui serait la plus proche d’une expression de cinéma.
« Poussière de femmes de Lucie Thierry (critique n°6830) et Maïmouna, la vie devant moi de Fabiolla Maldonado et Ulrike Sülzle (critique n°6846) s’attachent à des femmes africaines. « Documentant une réalité quotidienne peu spectaculaire, ils m’apparaissent avant tout comme des regards justes », note Jean-Marie Barbe. L’expression est passe-partout, sans doute trop souvent sur les lèvres, mais elle dénote un souci essentiel. Je me souviens d’un séminaire à Lussas en 2000 sur la question de la juste distance où étaient convoquées les intuitions d’un intervenant en psychiatrie, d’une historienne juive de la Shoah, d’un journaliste et
d’un torero (cf. article n°2309). Où se situe la justesse ? Ce séminaire en parlait surtout comme une recherche de soi. Entre revendiquer son implication et permettre à la personne filmée de maîtriser son expression, naît une contradiction dynamique que le film met en scène et qui se résout dans le refus de la manipulation, tant du spectateur que du sujet. C’est à cette condition que peut se dégager cet autre de l’image, non ce qui est montré mais ce qui est évoqué, cette image de soi révélée par l’image de l’autre.
Que voit-on dans ce qu’on voit ? L’essentiel n’est-il pas invisible pour les yeux, dans une société où s’installe le dogme du visible universel ? Dans Maïsama m’a dit, Isabelle Thomas donne la parole à une personne qui ne veut être ni vue ni enregistrée. Ses dessins muraux parlent pour lui, et la réalisatrice dit ses textes. Ce premier film s’inscrit comme leur écho, et nous offre ainsi une saisissante expérience perceptive (critique n°6847).
Je suis moins convaincu par Grandes vacances, d’Oldrich Navratil, pourtant construit sur une belle idée : faire résonner des conversations enregistrées entre des élèves adolescents et leur professeur sur leur désir d’aller en Europe – résonner par l’image et par le son. « La vie, c’est là-bas, en Europe. » Vu à la télé, le mode de vie européen attire, même lorsque la conscience africaine commande de revenir. Puisqu’il s’agit de déplacement, la résonance image se fera en voiture, ce qui fait tomber le film dans les inévitables travellings au long des rues. Enfants mignons dans la cour de l’école d’une part, longs plans tournés en voiture d’autre part, la résonance humaine a une odeur de déjà-vu. Reste les conversations, qui elles sont bien vivantes et instructives. Sous les stimulations du prof qui souhaite rallumer sa flamme patriotique pour développer l’Afrique, Gafar se dévalorise : « On peut pas être comme la jeunesse européenne : on n’a même pas la même peau. » Bayini conseille aux Blancs de ne pas donner de l’argent mais d’aider à en gagner, sinon les jeunes volent pour continuer d’en avoir. Sanou persiste dans son désir de partir, malgré les problèmes des sans-papiers. « C’est dur » sera la conclusion de Sam Ruffino, le professeur. Il nous faudra attendre la fin du film pour mettre des visages sur les voix. Jusque-là, ce ne seront qu’images anecdotiques ou distanciées
« Est-ce bien vous qui avez écrit ce livre ? » Les éditeurs ont l’habitude de recevoir des banlieues des manuscrits écrits par des journalistes et présentés comme des produits locaux ! Puisqu’on a douté de lui pour son premier roman, Rachid Djaïdani, 27 ans, de père algérien et de mère soudanaise, ancien maçon, platrier-plaquiste, acteur et champion de boxe, se filme en train d’écrire le deuxième ! Making of improvisé au jour le jour, Sur ma ligne (55′) est un extraordinaire document sur le vif, sorti des tripes, disant mieux que n’importe quel discours la douleur de la création. Libre de toute ambition esthétique, autofilmé bras tendu, brut de brut, témoin de la spontanéité d’un artiste autodidacte documentant au passage ses conditions de vie, accroché au rythme du RER qui le relie à Paris (sur ma ligne
), le film est à la fois le manifeste personnel d’une volonté d’exister et le témoignage de sa possibilité. Rachid Djaïdani en fait volontiers un message adressé à tous les jeunes des Cités. Précarité de la technique avec un vieil ordinateur qui le lâche, étroitesse de la chambre, découverte de la merveille informatique qui permet de « correctionner » ses fautes, suppression filmée de passages entiers du livre, tout cela vibre d’une quotidienneté implacable, une tension que la boxe et le free-style viennent détendre de temps en temps. « Je suis content parce que je travaille, parce que je me respecte, mais ça a un prix ! » Le plongeon dans l’histoire qu’il écrit l’absorbe totalement. Entre cet hiver 2001 et l’été 2003 où arrive le contrat d’édition, l’attente de la reconnaissance, à commencer par celle de sa mère enthousiaste qui ajoute Mon Nerf sorti tout chaud de l’imprimerie dans l’armoire où sont alignés les trophées de boxe ! Le roman décrit les rêves de Mounir, petit caïd de cité rejeté comme un traître par les siens, méprisé par les Français, qui s’invente un monde peuplé d’amis et de jolies filles. A l’image du roman, le film est agité, impudique, massacreur de clichés, plus dans l’injonction que dans la description. Rythmé par un montage bien calé, il virevolte en tous sens en des images jamais correctes techniquement mais toujours justes ! La banlieue y est une chambre chaotique, bouillonnante de désir d’existence et de reconnaissance. Une leçon.
Par la suite, Peter Brook l’a embauché dans sa troupe pour trois mois de tournée à travers le monde et il vient d’achever le tournage d’un long métrage dont il est le scénariste et le réalisateur. L’espoir est possible.
Nous avions rendu compte en 2002 de la présentation à Lussas du passionnant livre Caméra citoyenne de René Vautier où il raconte l’incroyable roman policier du tournage et montage d’Afrique 50, considéré comme le premier film anticolonialiste français (cf. article n°499 sur ce site, où ce périple est décrit, ainsi que notre entretien en n°501). « Afrique 50 a dépassé le million de spectateurs en France dans les réseaux parallèles, a indiqué René Vautier à Jean-Jacques Larrochelle au festival de Douarnenez qui se consacre cette année, en partenariat avec Africultures, à la question coloniale (Le Monde du 25 août). C’est la généralisation de la vidéo qui en a permis la diffusion. » Vautier refuse d’en demander le visa d’exploitation : « On ne m’a rendu le film qu’en 1996, de manière très officielle. Il avait alors été diffusé par le ministère des Affaires étrangères. Eux n’avaient pas de visa
Pourquoi moi aurais-je dû en demander, en 1996, pour un film que j’avais tourné près de 50 ans auparavant ? Si eux l’avaient projeté sans mon autorisation, moi je me passais de la leur ».
Sans autorisation ? Vautier m’avait confié qu’il y avait eu négociation. Si son film a pu contribuer au retournement de l’Histoire, c’est probablement moins par son commentaire qui s’apparente davantage à la colère qu’à une argumentation construite, que par le point de vue qu’il adopte, celui des personnes filmées. Afrique 50 montre l’exploitation et l’oppression mais aussi une manifestation de ces opprimés, et c’est sans doute ce qui faisait le plus mal à l’époque car il annonçait l’indépendance.
Le Petit Blanc à la caméra rouge, de Richard Hamon (52′) reprend l’édifiante histoire du film et a l’avantage d’en montrer de larges extraits. Afrique 50 était visible un temps sur le site Dailymotion mais en a été retiré pour des questions de copyright et n’est pas, à ce jour et à notre connaissance, disponible en dvd. Ce que disait clairement Afrique 50, indique Vautier, c’est que « la colonisation, ici comme partout, c’est le règne des vautours ». Il résume sa vie par des choix essentiels de cinéma : refuser de se servir de son arme mais faire du cinéma une arme, choisir son camp en plaçant sa caméra du côté du camp qu’il choisit, vivre la solidarité.
Financé par France 3 Ouest, le film respecte les critères télévisuels mais les maîtrise avec une grande clarté. Catherine Coquery-Vidrovitch est convoquée pour rappeler le dépeçage de l’Afrique, l’inégalité congénitale des races théorisée au 19è siècle, la bonne conscience coloniale. Il est également rappelé que la gestion de l’Empire coûte cher à l’Etat mais rapporte surtout aux entreprises privées. Dans ce marché de dupes, non révélé au public, ce sont les Africains les premières victimes. Et Vautier d’évoquer malgré quelques initiatives de l’époque l’absence d’un grand courant anticolonialiste en France. Contrairement au discours de l’époque, il trouve en Afrique à tous les échelons de l’échelle sociale, des gens parfaitement capables d’être indépendants. Et qui s’apprêtent à le revendiquer violemment s’il le faut.
Voilà un rappel salvateur après l’évocation par le président Sarkozy à Dakar de la « sincérité » des colons et d’un homme africain prisonnier de sa culture, marqué par l’irrationalité et l’incapacité d’envisager le futur.
L’excellente vidéothèque de Lussas permettait de visionner Algérie tours détours, d’Oriane Brun-Moschetti et Leïla Morouche (2007, 114′), consacré à une tournée de Vautier en 2004 en Algérie, lui qui y est encore surnommé « le papa du cinéma algérien ». En écho aux Ciné-pops, cinéma itinérant qu’il avait contribué à mettre en place à l’indépendance, il participe aux débats après des films anciens présentés à la cinémathèque algérienne puis à Béjaïa, Tizi Ouzou, Tebessa et Biskra. « Entre un passé que l’on découvre sans cesse et un présent qui nous échappe encore », ces discussions enflammées sur la situation politique, l’Histoire, la jeunesse ou la condition de la femme permettent de sentir un pays qui se cherche, alors même que les images paraboliques entretiennent un rêve européen et américain face à la « chaîne unique » algérienne. Ce qui passionne dans ce long périple, c’est l’interrogation de l’impact des images, alors même que les institutions culturelles sont en train de renaître après les dix années de terreur. Tout est à construire : « Laissez-nous faire notre société », s’exclame un homme de Bejaia. Au-delà du témoignage de sa vie, Vautier n’a qu’un conseil à donner : « ne jamais plier devant la censure, si vous avez cru bon de montrer quelque chose ».
Nous avions rendu compte en début d’année de l’énergie des jeunes vidéastes algériens pour refaire exister le cinéma dans leur pays (article n°4698). Egalement à la vidéothèque, un film en témoigne remarquablement : Premier Plan Algérie – un cinéma à tout cri (2007, 64′) de Sihem Merad et Elodie Wattiaux. Les deux jeunes réalisatrices ont tout fait elles-mêmes, du tournage au montage et mixage. Furetant un peu partout, elles dressent un état des lieux mais se concentrent surtout sur la nouvelle génération qui tente de relancer le cinéma. En l’absence d’école de cinéma et d’une politique publique, la société civile prend les choses en mains, mais c’est le système D. Les ateliers développés par les festivals rencontrent un grand succès. L’association Project’heurts de Bejaia fait des prouesses en termes de formation avec l’association Kaïna Cinéma qui soutient également l’émergence de ciné-clubs. Les 14 salles en fonctionnement sont insuffisantes pour parler d’un marché intérieur et le problème est de faire revenir les cinéphiles dans les salles. « La parabole est partout. Il est encore trop tôt pour que la télé algérienne achète les documentaires et les passe à une heure de grande écoute. C’est un bon baromètre de la démocratie », note le réalisateur Malik Bensmaïl. Mais répond René Vautier, encore lui, « le cinéma est incontrôlable alors que la télévision se contrôle »
Le vieux renard a de l’expérience en la matière ! Et tant de choses encore à raconter. De cette époque où l’on croyait encore à l’engagement, à la solidarité, à la générosité. Mais qui dit que ce n’est que du passé ?
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