Comme chaque année, les Etats généraux du documentaire de Lussas, petit village d’Ardêche (France), qui se sont déroulés du 17 au 23 août 2008, proposaient une programmation Afrique concoctée par leur fondateur Jean-Marie Barbe, non comme un ghetto condescendant mais comme l’occasion de débattre et d’approfondir des films marquants autour des problématiques africaines, ainsi que des travaux issus des ateliers documentaires en Afrique.
Un débat animé suivit la projection de Les Sénégalaises et la Sénégauloise d’Alice Diop, suite à l’intervention de Mor Faye, sociologue enseignant à l’université Gaston Berger de St Louis du Sénégal et qui accompagne sur place l’expérience Africadoc. On y voit des femmes sénégalaises parler de leurs recettes pour rester séduisantes et éviter ainsi de devoir affronter des coépouses. Il estimait que ce film ne saurait représenter la modernité de la femme sénégalaise, beaucoup ayant aujourd’hui autre chose à faire que de fourbir leurs armes de séduction : elles sortent des maisons pour travailler et affirmer un leadership. Réaction négative de la salle qui perçoit là une tentative de dire au cinéaste ce qu’il devrait faire. Humble réponse de la cinéaste qui accepte que son film puisse véhiculer une réduction. Rappel des violentes attaques proférées par des spectateurs lors de la présentation du film à St Louis, qui lui reprochaient d’être impudique. Vif débat ensuite dans la salle de Lussas sur la question, jamais posée en tant que telle mais sous-jacente en permanence, de la représentation de la femme au cinéma.
Que ne voilà un vieux débat récurrent ! Pourtant, il s’actualise peu à peu. Les Journées cinématographiques de Carthage n’avaient-elles pas organisé un colloque en 2002 suite aux critiques assassines parues dans les journaux tunisiens de La Saison des hommes de Moufida Tlatli, Fatma de Khaled Ghorbal et Satin rouge de Raja Amari (cf. compte-rendu n°2669 et 2670) qui leur reprochaient de donner une image réductrice et vendable aux Occidentaux de la femme tunisienne ? Là aussi, on confondait le portrait subjectif d’une femme par une cinéaste dans une situation déterminée et la représentation de LA femme dans un contexte national. Un spectateur est appelé à se projeter dans le film, d’où la différence de statut de celui qui partage culture et vécu de ce qu’il voit à l’écran. Se sent-il représenté et quelle image le film véhicule-t-il de son univers ou de comment il voudrait qu’il soit ? Un film est toujours un point de vue, mais c’est justement ce qui l’empêche d’en représenter un autre ! Davantage encore : les grands films sont ceux qui créent de l’inconfort, qui font travailler le spectateur, qui construisent à la fois du commun et de la dissemblance avec les personnes filmées. C’est tout le contraire des films faits pour plaire, commerciaux au sens où ils ne dérangent personne, s’adressant à un public indifférencié, où l’altérité est gommée dans une geste où, tous pareils, nous sommes invités à nous reconnaître. Le marché supprime la parole. Contrairement au produit télévisuel ou cinématographique ainsi formaté, le cinéma peut restaurer une parole singulière, celle du cinéaste mais aussi et surtout celle du spectateur, pourtant immobile et silencieux dans le noir, dès lors que sa subjectivité est convoquée. Cela lui permet d’être critique s’il sent que des clichés se glissent, mais attendre d’un film qu’il véhicule une représentation de la femme telle qu’on la fantasme est tout simplement dénier la pluralité des situations, la diversité des existences, et bien souvent la capacité d’un personnage de cinéma à incarner davantage que ce qu’il n’est.
Comment dès lors les films des réalisateurs du Sud, peu nombreux et peu visibles, peuvent-ils échapper à cette sorte de mission d’être les ambassadeurs de leurs pays dès qu’ils ont la chance d’exister et de circuler ? En affirmant une parole libre, soulignée par l’esthétique du film. En demeurant sans ambiguïté un portrait subjectif à un moment donné de femmes mauritaniennes dont la parole se libère sur ces sphères pourtant extrêmement intimes que sont le mariage et la sexualité, En attendant les hommes de Kati Lena Ndiaye échappe au reproche du défaut de représentation. La mise en perspective de cette parole dans leurs magnifiques uvres graphiques sur les murs de leurs maisons mais aussi dans les perspectives des architectures que Kati Lena Ndiaye capte à merveille confère au film une édifiante plastique et une souveraine fécondité (cf. critique n°7202).
Kati Lena Ndiaye n’apparaît pas à l’écran, mais ses questions sont si présentes que c’est tout comme. Elle ne manifeste pas seulement la transparence de sa relation aux femmes filmées mais aussi sa façon de se situer pour en parler, partie prenante de ce qu’elle tourne. Ce n’est pas (et historiquement pour les cinémas d’Afrique, ce n’est plus) une objectivité qu’elle recherche mais une implication dans le monde qu’elle représente. Pourtant, la Sénégalaise Kati Lena Ndiaye tourne ici en Mauritanie comme elle avait tourné Traces au Burkina Faso. Sa proximité avec des femmes d’autres cultures est aussi une façon d’affirmer qu’elle est là où elle n’est pas, étrangère partout et du coup partout chez elle. C’est sa façon de ne pas se situer en dehors. Finie l’illusion de croire qu’on pouvait refuser le monde et construire sa tour d’ivoire, ou bien rester extérieur du haut de sa dénonciation : « Il y a un seul monde et nous sommes dedans », rappelait Patrick Leboutte durant le passionnant séminaire « Formes de lutte et lutte des formes » qu’il animait avec Marie-José Mondzain et Jean-Louis Comolli. D’où le grand nombre de films aujourd’hui où le cinéaste apparaît à l’écran.
Etre dedans, c’est parfois même le sujet qui l’impose au cinéaste, comme Yandé Codou Sene l’a fait avec Angèle Diabang-Brener : elle restait à distance si la cinéaste se mettait à côté de sa caméra et ne s’ouvrait que lorsqu’elle venait s’asseoir sur son lit à côté d’elle. Yandé Codou, la griotte de Senghor devient ainsi un véritable et passionnant essai (au sens littéraire de ne pas cacher à son lecteur le chemin qui mène à ce qu’on pense) où le corps du cinéaste est partie prenante de ce qu’il filme (cf. critique n°7639).
Ce faisant, le cinéaste partage avec ceux qu’il filme le statut de sujet. C’est de façon très personnelle qu’Alice Diop filme cette famille lointaine de Dakar qu’elle ne connaît que très mal, ses parents ayant migré en France avant sa naissance. Et c’est de façon encore plus personnelle qu’elle se demande quelle femme elle aurait été si elle y avait grandi, mesurant ce qu’elle a raté autant que ce qu’elle a gagné. Cette proximité d’une part (qui n’est pas une légitimité d’authenticité mais permet la captation d’une parole intime) et cette implication d’autre part (qui l’autorise à ne retenir que ce qui la touche et l’intéresse) font que Les Sénégalaises et la Sénégauloise est un film vivant, instructif et touchant. Alice Diop y apprend en quelque sorte sa langue maternelle comme une langue étrangère. Elle y découvre les règles et les outils de la séduction qui rendent les différentes femmes de la cour suffisamment attractives pour que leur mari ne prenne pas une deuxième épouse.
Elle se sent si étrangère à ces comportements qu’elle les filme en tant que telle, son isolement avec sa petite caméra l’empêchant de travailler davantage l’esthétique : c’est une captation dans l’immédiat de la parole des femmes à laquelle font écho quelques plans fixes des rues du quartier ou des fêtes. Reste la question de l’avenir de ces femmes coincées dans tant de contraintes. Dans Yandé Codou, Angèle Diabang-Brener revient en une élégante boucle sur un théâtre vide, ce célèbre Théâtre Daniel Sorano de Dakar où se produisent les plus grands et bien sûr la diva sérère. Vide, le théâtre est une scène ouverte, comme si la griotte et le monde avec elle pouvaient rester énigmatiques et donc avoir un avenir.
Car à quoi bon des documentaires qui ne contribuent pas à sa définition ? A quoi bon des étalages castrateurs du désastre en cours, style Cauchemar de Darwin ? Chacun à leur manière, les films de cette programmation Afrique explorent le présent pour élaborer l’avenir. Tous, ils convoquent l’état des choses ou les maux du monde pour mieux y remédier. Non que le film puisse changer quoi que ce soit : c’est lorsque le spectateur pensant est convoqué que ce travail est possible ! Il faut pour cela le faire bouger de place, le mettre en crise ! Au début de Mirages, Olivier Dury partage son émotion avec le spectateur face à ce qu’il voit dans la nuit saharienne à la lumière des phares d’un convoi : « Je ne peux pas l’oublier. Je me mets dans leurs pas ». Il accompagne des clandestins si agglutinés que même les doigts de pied s’entremêlent d’Agadez à Djanet, du Niger à l’Algérie.
C’est donc un voyage vers le Nord et ce n’est pas un hasard : c’est bien vers l’Europe que convergent à la fois ces brûleurs et notre esprit de spectateur peu à peu saisi par l’inconfort. Car ces images fortes sont déstabilisantes : leur temps est celui du voyage, long, pénible, terrible. Nous en aurions des courbatures dans notre fauteuil. L’absence de commentaire renforce la dureté ressentie, la poussière impose comme la durée une sorte de métaphysique du brouillard. Nous regardons avec Dury ces gens se construire un destin dans l’épreuve, et nous bougeons avec eux.
Par son épure et son parti pris d’une image esthétiquement travaillée, ce film ouvre ainsi à la solidarité. Il ne convoque pas une foi idéologique commune. Au contraire, il constate un gâchis, un drame de la condition humaine, la folie mortifère de gens qui risquent leur vie pour avoir une chance de progresser. Cette cruauté perturbe, défi à la bonne conscience. Sans dénonciation des causes, c’est la responsabilité collective qui est sur le tapis. Et donc la nôtre. A nous d’en trouver les prolongements humains et politiques au regard de l’expérience fondatrice qu’est l’hospitalité. C’est en cela que ce constat ne débouche pas sur une stagnation mélancolique, et encore moins sur une désespérance. En se rapprochant de ces corps ballottés, ensardinés, compactés mais aussi priants, malades ou parlants durant les pauses du voyage, en les prenant eux et eux seuls pour sujet, Dury ouvre une familiarité essentielle, celle qui relie les humains, c’est-à-dire nous et eux, autres corps ballottés par la vie.
Ce sont aussi des corps démunis qui parlent par leurs gestes et les symboles dont ils se vêtissent dans Aéroport Hammam-Lif du Tunisien Slim Ben Echikh. Ils n’ont pas le désert à traverser mais une astuce à trouver pour se glisser la nuit dans les containeurs ou les camions des bateaux en partance pour l’Italie. Poignants SDF sans travail et sans argent, témoins d’une jeunesse tunisienne sans perspectives que saisit le rêve de l’ailleurs, ils ne voient leur horizon que dans l’exil et racontent sans complexes et avec une bonne dose d’humour leurs foireuses tentatives sans cesse renouvelées. Les chutes de ces Icares modernes sont celles des fils qui tentent de voler dans le labyrinthe du monde, au risque d’y perdre leurs ailes. Ils laissent en tout cas des plumes à force de chercher leur place, eux qui ne sont plus d’ici, et ne peuvent être de là-bas. Vu d’avion, l’Italie est à un jet de pierre, mais cette infranchissable distance mesure leur impossible errance dans un monde dont ils n’arrivent pas à faire partie. Comme le tance le rap final : « J’y croyais, et puis
».
Cette errance est pourtant nécessaire pour appréhender le monde. Dans des sociétés cloisonnées, elle est contrainte de se faire intérieure, névrotique. Khady Sylla en avait témoigné dans Une fenêtre ouverte, où elle abordait la folie, celle d’Aminta en miroir de sa propre dépression. Dans son dernier film, Le Monologue de la muette, elle suit une autre prison, une autre douleur, une autre errance cloisonnée : Amy, une « bonne » semblable à ces quelque 150 000 filles venues de la compagne, durement exploitées dans des foyers dakarois. La rage d’Amy reste intérieure, yeux baissés, apeurée, muette, semblable à Diouana dans La Noire de
de Sembène Ousmane. L’étonnante force du film de Khady Sylla et de son coréalisateur Charlie Van Damme est non seulement de capter cette rage par leurs images mais aussi et surtout de lui donner écho par des voix extérieures, des chuchotements d’abord puis les élans vengeurs de la slameuse Fatim face caméra : « Spartacus est avec nous ! » Avec le commentaire de Khady, les voix se superposent, assénées, coups de poing contre l’asservissement, puzzle de cris qui se rassemblent un véhément monologue, appel à ce que s’arrête cette violence ordinaire : « Cette histoire se passe à Dakar, c’est-à-dire presque partout. Il faudra plus que des bons sentiments pour qu’elle appartienne définitivement au passé ! ».
De même que Khady écrivait sur le tableau noir d’Une fenêtre ouverte : »Créer ou s’anéantir », elle oppose ici l’adolescence douloureuse et angoissée des bonnes à l’enfance vécue dans leur village : « mon esprit est dans la case de ma mère ». Sans cet esprit, qui est est sa référence mais aussi soutien puisque son argent fait vivre sa famille au village, Amy ne tiendrait pas le coup dans sa servitude. Elle pressent qu’elle peut s’y raccrocher pour tenir. C’est ce salutaire esprit d’enfance que cherche à raviver le cinéma et c’est en cela que, malgré la dureté, ce film accède à plus que ce qu’il n’est.
« Quand la société change, on dit que le temps change de robe » quelle belle introduction au film de Malam Saguirou, La Robe du temps. Malam avait présenté à Lussas en 2006 son tout premier film, Un Africain à Annecy fait durant un stage de cinéma en France. La Robe du temps témoigne du chemin parcouru depuis, qui s’appuie sur une vraie réflexion documentaire. Car en définitive, Ousseini, ce chef boucher qui hérite de cette lourde tâche sans y être vraiment préparé, et qui l’affirme bien au centre de l’image en début de film, est un bel exemple de l’évolution des sociétés du Sud dans la mouvance capitaliste. Ousseini a un projet – profiter du développement de l’aéroport de Zinder pour exporter de la viande à bon prix – mais pas l’argent de sa réalisation. Ses pérégrinations à la capitale puis de retour à Zinder pour trouver des partenaires sans se faire bouffer sont à la fois un passionnant récit et un appel à une modernité qui n’oublie pas ce qu’on est. De même que les femmes, lucides, veulent au conseil d’administration de la nouvelle société des gens compétents et non ceux qui investissent, Ousseini se bat pour conserver sa vision de chef boucher, en référence à celui que fut son père. Il n’a pas eu besoin d’ONG pour penser son projet économique : « cette société marche d’elle-même », indique Malam Saguirou. Et, conscient de l’héritage de son père, il a lui aussi l’esprit d’enfance, à la fois énergie inaugurante et légèreté, qui peut le guider et l’aguerrir.
C’est parce qu’il allie cette prescience sur l’état de sa société et le travail esthétique qui lui permet de l’exprimer que Malam Saguirou s’affirme avec ce film comme un auteur, c’est-à-dire celui qui a le pouvoir de faire voir. Les ateliers documentaires dont les travaux sont présentés à Lussas n’ont pas d’autre but que de permettre à de jeunes cinéastes de s’affirmer comme auteurs : de puiser en eux et de réfléchir une vision active du réel que le média film pourra exprimer à condition qu’il soit pensé en tant que tel, c’est-à-dire que chaque image, son, mouvement porte cette vision. Depuis 2006, le GSARA, en partenariat avec l’antenne Cinéma(s) d’Afrique(s) de Dakar, développe ce type d’ateliers au Sénégal. Ils sont notamment coordonnés par Yves Vandeweerd, bien connu de Lussas pour ses films tournés en Mauritanie, qui y présentait cette année son dernier film, une uvre rare, captivante, émouvante, Les Dormants (cf. critique n°8057), affirmation d’un auteur, justement, dont l’il sait écouter pour révéler.
En 2008, Africadoc, ateliers initiés par Lussas, et Cinéma(s) d’Afrique(s) se sont associés pour le Master de St Louis du Sénégal autour de principes pédagogiques que Jean-Marie Barbe a précisé : la sollicitation de l’étudiant pour qu’il précise ce qu’il veut à des professionnels qui réagissent, puis que les étudiants soient aux manettes en réalisant l’image, le son, le montage. Ces formulations mises en pratique étaient présentées lors des séances Afrique, uvres logiquement plus ou moins abouties selon leur degré de collaboration avec des professionnels. Effectivement, Chaîne alimentaire de Marie-Louise Sarr est un exercice de style bien maîtrisé. Sans commentaire, des quantités impressionnantes d’aliments sont pelés, coupés, tranchés, cuits puis servis dans le restaurant n°1 de l’Université Gaston Berger de St Louis du Sénégal qui offre ainsi 7650 repas par jour. A la façon du puissant Notre pain quotidien de Nikolaus Geyrhalter, Marie-Louise Sarr cadre sur ce travail avant d’élargir plus tard aux gestes et aux visages des 78 employés. Tout est tronqué, elliptique, parcellaire : cette fragmentation à l’image comme au montage fait écho au travail évoqué. En dehors du regard sociologique, elle reste pourtant peu opérante en terme de vision du monde. Il manque ici quelque chose de dérangeant et mobilisateur, comme ce qui causait l’effroi chez Geyrhalter : la dérive de l’industrialisation agricole.
Notre pain capital de Sani Elhadj Magori s’attache lui aussi à la chaîne alimentaire, celle du pain et en décrypte les dures logiques. Partant des disputes de garçons qui ses l’arrachent violemment dans la cour de récréation, il retrace la fabrication et la vente du pain, marché noir compris. C’est du réel pris sur le vif, un peu décousu et impressif mais intéressant dans ses ramifications humaines et économiques et techniquement bien maîtrisé.
Question alimentaire encore et mêmes remarques avec Manges-tu le riz de la vallée ? de Mamounata Nikiéma, qui explore la dépendance alimentaire du Sénégal. Alors que le pays pourrait être en autosuffisance, les consommateurs préfèrent le riz importé depuis qu’on a fait venir les brisures de riz d’Indochine en 1942.
Les autres films issus du Master se font plus personnels. Loin d’être tabou, l’intime est un sujet, l’introspection est de mise, le dévoilement une stratégie, ce qui passe forcément par l’interrogation de l’identité, du territoire. Un ami est parti de Delphe Kifouani est une lettre à un ami. Le réalisateur est un Congolais venu étudier à St Louis. Il s’adresse à cet ami qui fut le premier à s’intéresser à lui et est maintenant parti dans une pirogue à destination de l’Europe. Nostalgique méditation, le film explore la différence culturelle à partir de ce mot appliqué aux étrangers, niak¸ qui à l’origine veut dire « broussard ». Quelques autres amis sont interrogés, qui évoquent racines et visas. L’image fixe, toujours lumineuse et bien cadrée, dessine un style que l’on retrouve de façon récurrente de film en film. C’est beau mais ça finit par gêner lorsque, comme c’est le cas ici, le contenu ne lui laisse que peu de connotations.
Dans Maam Kumba, Alioune Ndiaye cherche son génie protecteur dans l’eau du fleuve Sénégal. Il retrouve ceux qui affirment avoir vu Maam Kumba Bang, le génie de St Louis dont chacun a entendu parler. Méditation poétique autour d’un mythe bien ancré, le film ne remet jamais cette croyance en cause. Au contraire, il bâtit sur les témoignages une relation identitaire : « Auprès de toi, je voudrais trouver mon reflet, je voudrais être moi ». Comme dans le travail photographique d’Ali Chraïbi (cf. exposition La Ville, sur afriphoto.com), l’image se laisse aller aux reflets de l’eau. Peut-on percer le mystère d’une croyance, alors que c’est sa nature même ? C’est dans ce cercle que le film se cherche, et tente, dans sa belle plastique, d’atteindre une dimension métaphysique.
Parcours personnels dans un pays meurtri, la Côte d’Ivoire, deux autres films complétaient la programmation Afrique, à la fois enquête et quête de soi, tant leurs auteurs ont partie liée avec le pays. Alain Philippe Lacôte nous parle de son père, une filiation dure à porter. Son père, membre de la milice française qui soutenait le nazisme, combat dans l’armée allemande puis se retire après la guerre et trois ans de prison en Côte d’Ivoire pour y tenter une deuxième vie avec une femme noire, sa mère. Comme il l’écrit en encart, il s’agit pour lui de « tisser les lucides vérités ». C’est sa mère qui les prononce. Différente du père dont elle n’apprendra le passé que bien plus tard, elle est activiste pro-Gbagbo et pâtira de son engagement. C’est alors que débute vraiment le titre du film : Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire. Et pourtant, nous y étions déjà, car à la lumière de cet éclairage intime, cette guerre offre un lointain écho de celle du père, les enjeux de racisme et d’exclusion se répondant. Durant deux semaines, dans le quartier de son enfance à Abidjan, Lacôte enregistre sur le vif du radio trottoir, des moments historiques saisis au jour le jour, où s’entremêle son itinéraire de la mémoire. C’est du brut de brut, sans chercher à trop expliquer un conflit complexe : « les étoiles d’un couvre-feu ».
Autre enfant du pays, Anne-Laure de Franssu, revient aussi en Côte d’Ivoire à la recherche de ses traces d’enfance. Ici, c’est le pays divisé qui fait écho à son identité : « Je suis Ivoirienne, pourtant je suis une Blanche ». En guise de fil narratif, elle retrouve des femmes de son âge qu’elle avait filmées dans un foyer de jeunes travailleuses. Tanella Boni a évoqué en nos colonnes (article n°7411) les différents niveaux de voix, d’approche et d’écoute : le carnet de notes, le commentaire, les femmes retrouvées, les hommes qui parlent de la situation du pays. Montage complexe de données personnelles, Yere Sorôkô, en quête d’une vie meilleure n’est pas plus que le précédent un reportage : la réalité du pays est à la fois une dramatique toile de fond et la chambre d’amplification d’une quête individuelle que l’on reconnaît chez les autres.
Le souvenir tisse une toile pour le présent. Une rencontre déclenche un mouvement qui deviendra témoignage de cinéma. Henri-François Imbert tombe par hasard sur quelqu’un qui a joué trente ans plus tôt dans un film de Jean Eustache qu’il aime énormément : Mes petites amoureuses. Et voilà qu’un film-enquête se forge, parti de rien, un prétexte en somme, mais nourri d’un rapport d’enfance avec une ville, Narbonne, avec un film marquant, avec un désir de saisir le temps qui passe et le temps du passé dans le présent. Des photos d’époque seront, comme celles des disparus que portent les mères, le viatique d’un souvenir et la piste d’une renaissance. Car il n’est pas neutre d’évoquer l’insouciance du passé : elle nous ramène à la dureté d’aujourd’hui. Le film s’appelle Le Temps des amoureuses, si loin si proche d’Eustache. Et le documentariste Henri-François Imbert a écrit un livre sur le documentariste Samba Félix Ndiaye (1), qu’ils évoquent ensemble à Lussas. « L’argument du film sur Eustache est tenu et je m’accrochais à l’uvre de Félix pour le faire ! », indique Imbert. « Un sujet m’empêche de dormir et je fais un film pour retrouver le sommeil », répond Samba Félix Ndiaye, qui présente Questions à la terre natale que la télévision sénégalaise refuse de passer car on parle de roitelets avant de voir le président. Que faire ? Mettre du noir ? Et tous deux d’évoquer le cinéma documentaire, comme une énigme posée au spectateur comme possibilité d’avenir : chaque film est un regard porté sur la société, une sonnette d’alarme et un sens vers lequel aller, des propositions qui ne seront pas forcément suivies ! Un esprit d’enfance à retrouver.
1. Samba Félix Ndiaye, cinéaste documentariste africain, collection Images plurielles, L’Harmattan, Paris 2007.///Article N° : 8134