Makeda, des récits en noir et blanc

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Deux ans que cette globe trotteuse parcourt le monde, son appareil Canon en bandoulière, à la recherche d’histoires de couples mixtes. Rencontre avec Aurore Vinot, artiste photographe indépendante et auteure du projet Makeda.

Le CV d’Aurore Vinot indique qu’elle vit et travaille à Paris mais c’est en fait à Alger, à CapeTown, à Brazzaville ou à Beyrouth qu’il est plus facile de la rencontrer. Depuis sa naissance en banlieue parisienne, Aurore voyage. Que ce soit à Montréal où elle obtient un Bachelor littérature, photo et vidéo, au Burundi pour la réalisation de projets photographiques ou en Afrique du Sud où elle a vécu deux ans. C’est en 2012 lors d’un séjour au Liban que l’idée du projet Makeda émerge. À Beyrouth, ville multiconfessionnelle et multiculturelle, Aurore est frappée par l’absence d’unions mixtes et de relations interculturelles. À partir de là, doucement, le projet de Makeda va se dessiner. En référence à une chanson des Nubians, en référence aussi à cette reine « noire mais belle » qui séduisit le roi Salomon, Makeda se construit peu à peu sous la forme d’une galerie de portraits et d’histoires amoureuses interrogeant la notion de mixité en essayant d’identifier ses diverses définitions. « Je ne conçois pas la mixité comme un simple « mariage » de différentes couleurs de peau. Pour moi, la mixité se définit par rapport aux codes en vigueur dans une société donnée à un moment précis. Elle peut donc être raciale mais aussi religieuse, sociale… Sa définition est différente, selon les pays et les époques. D’ailleurs, les destinations choisies pour Makeda ne l’ont pas été par hasard. J’entretiens une relation personnelle avec chacun des pays représentés. J’y ai tissé des affinités, des liens amicaux ou amoureux. Mais chacun d’eux, en fonction de son histoire ou des enjeux sociétaux qui sont les siens, apporte un éclairage différent sur la notion de « mixité ». » Cet itinéraire établit, l’errance peut commencer.

La mixité est dans le regard des autres

Au Liban justement, elle croise Joyce et Marwan, tous deux 33 ans, tous deux libanais. Ils ont dû se battre pendant neuf ans pour faire reconnaître leur union car si l’une et chrétienne, l’autre est musulman. À une époque où l’humanité n’a jamais autant voyagé où les êtres de tous horizons sont en capacité de se rencontrer et de se « mixer ». Pourquoi de tels freins persistent ? Aurore ne tente pas d’y répondre et, sur cette histoire, ne porte aucun jugement de valeurs… tout comme sur celle de Shaggy et d’Andrew rencontrés en Afrique du Sud. Shaggy, noir et nigérien, aime Andrew, un Américain blanc. Cet amour est prétendument impossible : comment faire accepter l’union d’un Blanc et d’un Noir dans une société encore marquée par l’apartheid et dans un pays, où les crimes commis contre les homosexuels sont légions ? À cette question non plus, Aurore ne répondra pas. « Ce sont les personnes elles-mêmes qui choisissent comment elles se racontent. Mon éducation, mes références influencent, bien sûr, le regard que je pose sur eux mais j’essaye au maximum de ne pas y accoler mes valeurs. Pour la plupart, d’ailleurs, la mixité est dans le regard des autres : communauté, quartier, famille élargie, parents… Mais certains parlent aussi d’assimilation ou d’addition des spécificités culturelles. » C’est le cas de Greg et Rizlan rencontrés à Paris. Elle est marocaine, lui est français. Ils fréquentent les mêmes lieux, vont dans les mêmes bars, travaillent dans des domaines similaires et partagent les mêmes valeurs et références. Leur mixité s’est exprimée pour la première fois dans les yeux de leurs familles qui ont eu du mal à considérer cette relation comme naturelle. Ces interpellations familiales ressortent parfois ici et là, dans des détails insignifiants du quotidien… « En France, raconte Aurore, les défis sont différents. Des couples mixtes, il y en a beaucoup. Mais ils sont mal ou peu représentés, souvent stigmatisés. Il y a une véritable carence de la représentation de la mixité en France » Ce qui la pousse à rencontrer d’autres jeunes couples mixtes, à tenter de les saisir par l’image. Ils sont franco-chinois, franco-cubains… franco-algériens, mais chacun d’eux raconte une histoire particulière des liens qui unissent les deux pays d’origine. La France et l’Algérie, par exemple, partagent des pans d’une histoire commune qu’il est parfois douloureux de soulever. « C’est dans ce pays où j’ai effectué mes premiers repérages que j’ai décidé de finir lors d’un voyage en avril dernier. »

Écrire avec la lumière

Alors oui, les histoires « Makeda » qui se dessinent au fur à mesure des rencontres sont variées, complexes, riches et toutes différentes les unes des autres. Accompagnées de témoignages ou de récits de vie, elles se ressemblent cependant sur la forme car c’est toujours un monde en noir et blanc qui se dessine derrière les grands yeux bleus d’Aurore. « C’est ma façon de voir et de ressentir les choses. Je choisis un traitement en noir et blanc intense, hyper contrasté qui transforme et rend tangible les émotions que je perçois. » Quand on sait qu’en grec « photo-graphie » signifie, écrire avec la lumière. On se dit qu’avec ces clichés, tout en ombres et en éclat, Aurore semble appliquer à la lettre cette définition. Une exposition, prévue avant la fin de l’année suivra. Itinérante, celle-ci sera ensuite amenée à voyager, passant par l’Afrique du Sud, le Congo et tous les autres pays représentés dans Makeda. « J’ai aussi en tête l’édition d’un livre qui compilera les textes et les photos de ces deux années de rencontres « Makeda ». Mais ce n’est encore qu’en projet ».

Aurore & Makeda en quelques dates
3 juin 1981 : Naissance en région parisienne
2006 : Obtention d’un master en écriture et réalisation documentaire Depuis 2005 : Réalisation de séries photographiques dans le cadre de projets menés par des ONG
2009-2010 : Collaboration éditoriale avec l’agence Magnum en 2009 et 2010
Depuis 2011 : elle travaille en freelance
2012 : Naissance du projet photo « Makeda »

Aurore Vinot, ses projets, son actualité : www.aurorevinot.com

Suivre le projet « Makeda » : photo makeda.tumblr.com Et visionner « Makeda » sur Youtube.///Article N° : 12222

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Les images de l'article
Andrew, Américain, Shaggy, Nigérien habitent en Afrique du Sud © Aurore Vinot
Joyce, Libanaise chrétienne, et Marwan, Libanais musulman à Beyrouth, dans leur appartement situé sur l'ancienne ligne de démarcation musulmane/chrétienne qui divisait la ville en deux. © Aurore Vinot
Andrew, Américain, Shaggy, Nigérien habitent en Afrique du Sud © Aurore Vinot





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