« Marielle Franco a re-signifié la politique contemporaine brésilienne »

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Raisa Inocêncio est doctorante à l’université de Toulouse. En première année en philosophie elle travaille sur un projet de thèse intitulé : « Décoloniser la Vénus : un corps esthétique-politique ». Brésilienne, née à Fortaleza, Ceara, installée en France depuis 2016, elle est très investie dans la vie citoyenne et artistique liée à la lutte contre les oppressions au Brésil. Elle est membre du Comité Marielle Franco. Femme politique brésilienne, sociologue, élue à la Mairie de Rio De Janeiro, militante anti-raciste, féministe, Marielle Franco a été assassinée le 14 mars 2018.  Le Hors-Série Africultures « Décentrer Déconstruire Décoloniser » s’ouvre sur la lutte de cette femme et ce qu’elle dit de la société contemporaine brésilienne. Pour poursuivre ce questionnement et la documentation de ces luttes et leur résonnance transnationale, rencontre avec Raisa Inocencio.

Quels sont les objectifs du Comité Marielle Franco ?

Le comité Marielle Franco est un comité autonome, formé en décembre 2018, attaché institutionnellement à l’association FAL (France Amérique Latine), qui se consacre à la solidarité politique depuis les dictatures militaires et l’accueil des exilés depuis les années soixante. On s’est intéressé à la question brésilienne vis-à-vis de la figure politique de Marielle Franco et aux mouvements de résistance, de défense des dites « minorités »  –  qui composent en réalité la grande majorité de la population – , à savoir les populations afro-indigènes. Nous voulions réfléchir aux questions de race, de genre et de classe, plus spécifiquement, au Brésil.

Nous avons deux objectifs principaux. Tout d’abord, la visibilité et solidarité brésilienne transnationale. Il s’agit donc de traduire Marielle Franco à travers sa lutte brésilienne, et en cela toutes les luttes contre les injustices sociales faites contre les femmes, quelles que soient leurs origines et leurs orientations sexuelles, avec une attention particulière aux femmes de favela et des communautés autochtones. Nous voulons traduire et documenter l’histoire et le parcours politique de Marielle Franco. Un ouvrage est en préparation pour septembre et une campagne a été menée pour qu’une rue soit dédiée à Marielle Franco à Paris, à l’initiative de RED.BR.

Notre deuxième objectif est de soutenir concrètement deux projets de résistance brésilienne liée à la question de la lutte pour la terre : Le Mouvement de paysans Sans Terre (MST) à Recife dans la construction de l’Armazém do Campo, un espace avec épicerie bio, café bar culturel et une salle dédiée à l’université populaire. Nous soutenons aussi la construction d’une maison de santé et guérison traditionnelle des peuples PATAXO en partenariat avec le réseau du Technoxamanismo (réseau d’art et activisme). Ces projets visent à résister aux nouvelles politiques d’État contre les minorités.

Que représente Marielle Franco aujourd’hui dans le Brésil de Bolsonaro ? Tu disais que “Marielle Franco c’est un peu notre Martin Luther King à nous”. De quoi Marielle Franco est-elle le symbole politique aujourd’hui ?

Il faut peut-être d’abord rappeler que Marielle Franco a ré-signifié la politique contemporaine brésilienne. Elle représentait une multitude : noire, de la favela, lesbienne, mère célibataire et spécialiste en politique publique de sécurité (master à l’Université PUC, une université privée très prestigieuse). Son assassinat et celui de son chauffeur Anderson Pedro Gomes sont des crimes politiques. Une politique de menace et d’exécution de celles et ceux qui mènent une politique plus égalitaire. En plus, il y a de très forts indices qui accusent les milices liées à la famille Bolsonaro. Les Brésiliens ne vont pas « oublier » si facilement. Elle est une figure qui représente la mémoire d’un peuple, d’un mode ou modèle de vie, qui a réussi traverser toutes les difficultés et devenir une puissance politique. « Marielle é uma semente », Marielle est une graine. Marielle a combattu en face à face la nécropolitique ou politique de la mort de Bolsonaro et de celles et ceux qui la mènent avec lui. C’est en cela que Marielle Franco est un symbole, une graine qui nous donne la force de continuer son travail.

Comment être activiste aujourd’hui dans le Brésil militarisé de Bolsonaro ? Quelle est l’importance des relais en France des luttes pour les droits au Brésil ?

Il faut dire d’abord que Bolsonaro représente un mode et une politique coloniale, prédatrice, et encore attachée à une perspective anti-démocratique. C’est un régime politique qui existe depuis cinq siècles au Brésil. Donc, « la résistance existe depuis toujours », comme disent les indiens Pataxo, « si nous on a réussi, les brésiliens aussi réussiront à résister ». A savoir que les Pataxo sont les premières ethnies à être entrée en contact avec l’homme blanc et existent toujours. Par conséquent, les luttes sont transnationales et nous mènent à créer plusieurs stratégies sociales, par exemple, ici en France avec les associations Amies du MST et FAL, mais également la question écologique et la défense de l’Amazonie, par exemple.

Tu te définis sur ton profil Facebook comme : “post-pornô transfeminista descolonizando a estética vênus caôzeira e sem paciência”. Peux-tu traduire cette expression stp ? Et qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ?

« Je suis post-pornographique transféministe en train de décoloniser l’esthétique, Vénus Caôzeira et impatiente » Vénus Caôzeria est un personnage conceptuel créé pour réfléchir comment les représentations féminines sont liées aux questions coloniales et de sexualité, dans ce sens c’est un personnage qui se défend et qui cause sa propre existence. C’était mon mémoire de master. J’ai créé cette légende sur Facebook pour questionner l’exposition qui ne vise pas la protection de données personnelles et la superficialité sur facebook mais qui vise à donner une légitimité à des paroles qui font masques, qui créent des personnages fictifs. Pour être brève, je me positionne comme radicale sur facebook afin de créer  autre chose que la simulation du réel, et dans ce sens je montre aussi à mes oncles fascistes (pas seulement, mais à la base c’était pour mettre une distance avec ce côté de la famille fasciste qui utilise facebook pour partager les fakes news de Bolsonaro) que dans mon espace virtuel je n’accepte pas l’opinion que ces personnes partagent sur Facebook.  Je n’ai plus la patience d’accepter les politiques de mort de Bolsonaro sur le signe de la « liberté d’expression ». On commence la résistance par facebook, la vie publique, mais c’est également très important de la mener à partir de sa vie personnelle. De s’engager personnellement contre le racisme, le sexisme et toutes les oppressions de classe, genre et race. Montrer qu’on vit avec joie, qu’on rigole et qu’on aime, qu’on résiste ainsi dans notre humanité commune. Tout ce que les « bolsonaristes » essaient de nous interdire.

 

Quelle est justement, selon toi, la place de l’art / des artistes brésilien.ne.s dans vos mobilisations aujourd’hui ? Dans les mobilisations politiques contre les oppressions ?

C’est une question très complexe que je vais essayer de résumer. L’art a toujours permis une ré-signification dans les mobilisations sociales. A travers, par exemple, les performances féministes pendant les manifs, les étudiants qui font des affiches et des images médiatisées et « viralisés », ou encore, à travers, par exemple, le carnaval ou la fête chez Helio Oiticica et Jonatas de Andrade comme rite de rassemblement collectif (voir son œuvre O Carroceiro « Le charretier »). Helio Oiticica avec le « parangolé », une proposition poétique collective a donné la voix et l’expression carnavalesque de la liberté et de l’émancipation noire dans les galeries d’art, avec aussi Jonanthas de Andrade, un artiste du Recife, Pernambuco qui fait des vidéo-installations qui à mon avis font écho à une démarche de décolonisation sensible. Pour ne citer que ces deux artistes, ils nous proposent de nouvelles expressions artistiques et une remise en question de l’esthétique-politique à partir de nos racines considérées, jusque-là comme inférieures ou subalternes. C’est un exemple pour montrer que face à une culture de violence et de peur, dans un environnement colonialiste et capitaliste, avec des persécutions et des ségrégations quotidiennes, l’art est une mobilisation en soi de la vie et de sa puissance de transformation sociale. C’est un dispositif et un moyen d’expression, comme la capoeira ou la musique. Et, finalement, je crois qu’on ne sépare pas, pendant les mobilisations sociales, la vie, la politique, l’art. Ils sont tous des instruments pour façonner une existence avec dignité et joie.

Dans quelques semaines à Toulouse une soirée hommage à Marielle Franco est organisée. Sa compagne sera là. Quel est l’objectif de cette soirée ?

La soirée est organisé par Fierté Occitanie, Gay Pride Toulouse et le Conseil Départemental de la Haute Garonne, je vais participer au débat en tant que Comité Marielle Franco – FAL et aussi dans un hommage aux activistes féministes.  Monica Benicio, la compagne de Marielle Franco sera présente. Elle a été choisie pour être la marraine de la gay pride 2019 de Toulouse.

 

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