Massimadi, festival des films LGBT de l’Afrique et de ses diasporas

Entretien d'Anne Crémieux avec l'équipe de Massimadi

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Massimadi : contraction des mots créoles massissi et madivinèz, termes péjoratifs signifiant gay et lesbienne, dont la réappropriation par le groupe de l’association Arc-en-ciel d’Afrique de Montréal traduit une volonté d’affirmation d’une fierté identitaire.
Le festival Massimadi de Bruxelles s’est inspiré du festival de Montréal du même nom. Au programme, des films, une expo, des rencontres, un brunch associatif et des soirées.
Anne Crémieux Vous avez organisé la première édition du festival Massimadi en mai 2013 au Bronks, à Bruxelles. Pouvez-vous présenter le festival ?
Massimadi :
Ce festival est né de l’envie de quelques personnes de parler, au travers de films et de documentaires, des homosexualités en Afrique et dans les diasporas africaines, anciennes et récentes (Caraïbes, États-Unis, Europe). Ce que l’on voulait faire, c’est parler des manières dont se vivent les homosexualités féminines et masculines des africain.es et des noir.es, quel que soit leur pays de résidence. Les questions des identités et de l’intersection de l’origine, Massimadi, festival des films LGBT de l’Afrique et de ses diasporas du genre, de la classe et de l’orientation sexuelle sont au cœur de ce festival.
En Europe, on a aussi souvent tendance à « visibiliser » les homosexualités en Afrique et au sein des communautés noires de la diaspora dans une perspective occidentale fondée notamment sous l’angle de l’affirmation d’une identité LGBT, notamment par des Gay & Lesbian Prides, des coming out ou des revendications d’égalité de droits (mariage, adoption). Or, sans nier l’utilité de ces modes d’expression, il nous semble que toutes les personnes concernées ne se reconnaissent pas toujours dans cette perspective ou dans ces moyens d’affirmer leurs orientations sexuelles. C’est aussi pour cela que nous avons choisi des films qui abordent « de l’intérieur » les questions d’orientations sexuelles dans les communautés noires et non des films sur les homosexualités en Afrique ou dans les communautés noires. Ce que l’on voulait faire, c’est un festival pour réfléchir à ces questions mais aussi pour se divertir et se rencontrer. Le festival a été soutenu par des institutions et associations LGBT et des individus ; tous ont montré un grand enthousiasme à l’idée de la création de ce projet, qui répondait visiblement à une attente, voire à un besoin.
Il y a de nombreux festivals LGBT en Europe, de même que des festivals africains et de la diaspora. Y a-t-il des raisons qui expliquent que le festival Massimadi n’ait pas été créé plus tôt, qu’il n’y en ait pas plus du même type ?
La question est difficile. Ce que nous ressentions simplement, c’est que dans les festivals que vous citez, il y a en général peu ou pas de films qui traitent justement de la question LGBT Afrique et diasporas. Et quand c’est abordé, c’est souvent sous un angle « victimisant » ou exotique. Il nous semblait qu’il y avait d’autres choses à dire et c’est ce qui nous a donné envie de créer ce festival en nous inspirant de celui qui porte le même nom et qui existe déjà à Montréal depuis cinq ans maintenant.
Pouvez-vous parler de la programmation ? Je la trouve très variée, tous les styles sont représentés, et des films plus anciens côtoient les nouveautés. Pariah (2011), Children of God (2009) et la comédie Family (2008) sont des films indépendants de fiction, récents, plutôt tournés vers le grand public, tandis que ceux d’Isaac Julien (1989-1999) ou le documentaire de Marlon Riggs, Tongues Untied (1989), sont plus confidentiels. Woubi chéri (1998) est également un grand classique, trop peu vu. Vous avez aussi programmé le documentaire historique sur les gays et lesbiennes en Afrique du Sud, Apostles of Civilized Vice (1999), et U People (2009), un documentaire musical d’un nouveau genre, qui se passe à Brooklyn. Forbidden Fruit (2000) est un docu-fiction qui se déroule au Zimbabwé, tandis qu’Être soi-même (2011) est un court-métrage documentaire sur les préjugés au sein de la communauté noire à Montréal, où dialoguent un Haïtien, un Camerounais et une Guadeloupéenne. On fait donc le tour du monde.
Effectivement nous avons voulu une programmation variée, des films anciens et nouveaux, des perspectives personnelles mais aussi historiques et politiques sur ces questions. Comme c’était une première édition, nous avons voulu l’ancrer dans l’histoire des luttes LGBT noires, afro-américaines, parce que ce sont les seules traces audiovisuelles qui existent aujourd’hui. Des films plus récents aussi pour montrer l’actualité de la question. Nous avons aussi essayé de maintenir un équilibre entre films de fiction et documentaires, Afrique et pays des diasporas, films lesbiens, gays, bisexuels, transsexuels, etc.
Mais au-delà de ces différents « critères », nous voulions projeter des films de qualité d’un point de vue cinématographique. Nous avons prévisionné des films dont la thématique nous semblait importante mais que nous n’avons pas sélectionnés car nous n’y retrouvions par la qualité cinématographique ou le point de vue d’auteure que nous recherchions.
Vous avez fait de la place pour l’exposition de Kis Keya et de Michel Elias, deux artistes plasticiens qui vivent à Bruxelles.
Oui, car l’intention du festival est aussi de donner un autre regard sur la façon dont les Africains et les Noir.es des diasporas vivent leurs identités de genre ou leur orientation sexuelle, il nous semblait que l’exposition de ces deux artistes permettait de diversifier encore les regards.
Vous avez inclus un Wall of Fame où l’on pouvait reconnaître de nombreux militants LGBT d’Afrique et de ses diasporas. Une des missions du festival semble être la visibilité et la reconnaissance des luttes en Afrique et en Europe.
Oui. Vu d’Europe, les informations sur l’Afrique donnent souvent à voir les homosexuel.les africain.e.s en tant que victime et l’Afrique dans sa globalité comme un continent homophobe. Or, de nombreux Noir.es, en Afrique et dans les communautés noires dans le monde entier s’expriment différemment sur ces questions. Il y a aussi beaucoup d’associations en Afrique et ailleurs qui luttent pour la reconnaissance et la banalisation de l’homosexualité dans leurs pays ou communautés. Et ça ne date pas d’hier. Ce Wall of Fame rassemble d’ailleurs tant des Noir.es hétérosexuel.les qu’homosexuel.les ou autres. Ce qu’ils et elles ont tous en commun, c’est de s’être levés un jour pour parler ou agir en faveur de la reconnaissance ou de la défense des LGBT dans des communautés noires. Ce Wall of Fame est un hommage que nous voulions leur rendre. Ce sont des visages qui font du bien !
Vous avez organisé des débats, qu’en est-il ressorti de plus intéressant ?
Il y a eu des débats forts après certains films et puis il y a eu ce que nous avons appelé un « brunch associatif » où différentes associations « noires » LGBT venant du Québec, du Brésil, de France et de Belgique ont pu échanger sur leurs stratégies et combats. Ce qui était frappant dans l’expérience de toutes ces associations, c’est le fait qu’elles doivent en quelque sorte toujours mener un double « combat » : d’abord celui au sein des communautés noires et puis au sein des milieux LGBT « classiques » qui restent souvent très « blancs » et pas toujours représentatifs de ceux et celles qui en font aussi partie.
Il y avait aussi une belle place faite à la fête, la musique et la danse, les spectacles de drag-queens. Quels sont les enjeux de ces moments clés du festival ?
Oui, parce que nous voulions aussi que Massimadi, ce soit la fête, la joie d’être ensemble symbolisée par les moments festifs. Certaines personnes sont d’ailleurs venues au festival uniquement pour l’ambiance qui y régnait à côté de la projection des films. Les enjeux de ces moments-là, c’est de stimuler, de tisser des liens, de se faire des amis-es, des amours, créer les rencontres qui pourraient ne pas se faire autrement.
Vous avez fait appel à des bénévoles. Étaient-ils nombreux ? Qui étaient-ils ?
Tout le monde est bénévole dans le festival ! Massimadi a été porté par un groupe de base de six-sept personnes. À un moment, nous avons lancé un appel à bénévoles qui nous a permis de compter sur une dizaine de personnes supplémentaires pendant le festival. Cela n’aurait pas été possible sans eux et elles, ni sans l’appui de tous ceux et celles qui nous ont donné des coups de main ponctuels pour des traductions, des relectures, des problèmes techniques et autres.
Combien y a-t-il eu de spectateurs ? De qui s’est composé le public, à votre connaissance ? J’ai entendu dire par Barbara, également interviewée dans ce numéro, que le festival a été un succès. Qu’est-ce qui vous a fait le plus plaisir ?
Il y a eu quelque 350 spectateurs, sans compter ceux et celles qui sont passés-es juste boire un verre ou profiter de l’ambiance et toutes les personnes qui sont venues faire la fête avec nous lors de la clôture ! Pour une première édition, nous avons vraiment été agréablement surpris de ce succès. Ce qui nous a aussi fait plaisir, c’est qu’il régnait une atmosphère de sérénité, d’échange et de rencontre et le fait d’avoir un public assez hétéroclite : jeunes, plus âgés, blancs, noirs, hommes, femmes, LGBT, hétérosexuels, etc.
Est-ce qu’une prochaine édition est prévue ? Quels sont vos espoirs pour le festival, et pour l’avenir ?
La prochaine édition du festival se tiendra les 1er, 2 et 3 mai 2014. Nos espoirs ? C’est d’abord de pouvoir présenter une programmation aussi bonne et diversifiée que cette année-ci. Nous aimerions également pouvoir organiser plus d’événements à côté de la projection de films : faire venir des personnes ressources pour les débats, des rencontres littéraires, etc. Mais surtout, on espère que de plus en plus de personnes s’y reconnaissent. Et d’ici là, rendez-vous à Massimadi Montréal, prochaine édition au mois de février 2014 !

///Article N° : 11975

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