Mikea ou la frustration contenue

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Madagascar va mal. Le pays traverse une crise sans nom depuis 2009. Revirements et soubresauts politiques, discours et cravates de ministre, avec le peuple qui trinque en sus. Penser que l’on puisse produire de belles mélodies, au beau milieu de cette crise, également sans fin, est un rêve que personne n’avouera en particulier, que nombre de musiciens locaux fomentent pourtant en secret.

Ils sont citoyens d’un pays à la dérive, ils n’en sont pas moins artistes. Ils aimeraient surtout poursuivre le rêve des années 90, lorsque la fine fleur de la scène malgache, de D’Gary à Jaojoby, en passant par Gizavo, Tarika, N’Java, Rakoto Frah, Feo Gasy ou encore Tao Ravao, faisaient leur grande entrée sur les scènes des musiques du monde en fanfare et délicatesse. Les programmateurs n’en démordaient pas alors. L’avenir était assurément sur la grande île. Mais les modes passent un jour, et les oreilles sont parfois oublieuses des bons moments passés.
Madagascar est tranquillement redescendue de son perchoir, ses artistes avec. Faute de politiques d’accompagnement de la part du gouvernement, faute de labels et de producteurs audacieux, faute d’opérateurs culturels soucieux de l’avenir, et faute de publics porteurs. Un résultat qui n’est pas difficile à imaginer. La jeune génération d’artistes en paie le prix, lourd et conséquent. « Les artistes ne s’écoutent plus, n’échangent plus entre eux, rongés par des egos déplacés ». Il n’y pas de raison pour qu’ils soient si différents de la classe politique aux affaires à Tana. « Notre pays s’enfonce » déclare Rakotovao, leader du groupe Mikea. « Si j’étais pas lauréat d’un prix international, j’étais fini » explique-t-il, sur le ton désabusé de celui qui a déjà vu mieux. Theo Rakotovao est en effet l’heureux gagnant d’un prix Découvertes RFI en 2008. Un an avant que la guerre contre Ravalomanana ne s’approprie les feux de l’actualité malgache. Un an avant que le pays n’entame son actuelle dérive. « Le public voudrait écouter autre chose » dit-il encore. Les standards connus de la radio ne suffisent plus à l’apaisement des tensions en cours. « Les gens pensent surtout à manger » nuance-t-il, ensuite. Or, les artistes, à l’instar des autres citoyens, semblent tous désemparés face à cette crise.
Que faire, que dire, que croire ? Pour certains d’entre eux, seule la frustration tient lieu d’existence. Non pas qu’ils veuillent baisser les bras, non, mais ils sentent bien que même travaillée, leur musique souffre de l’enlisement politique. « Avant, analyse Théo Rakotovao, il y avait un temps de cerveau pour chaque chose. Il y en avait pour la musique, entre autres. Les gens écoutaient les mélodies, les rythmes, les textes, la poésie. Aujourd’hui, ce temps de cerveau est bousillé » Kaput les bonnes intentions en musique. Ce qui compte désormais, c’est la survie. Et qui dit « survie », dit aussi « aller au plus simple de la vie ». Salegy, tsapiky, kilalaky ou zouk love : ce qui passe dans les médias au top est soumis à une forme d’insouciance préfabriquée, qui ne cache rien de la forêt de soucis entravant jusqu’au bien-être de la maison Malgache. « Les artistes s’adaptent, comme ils peuvent » suppose Théo. « On est à moins 10 % de la misère c’est-à-dire à bientôt cinq moins zéro ». Manger à sa faim, il l’a déjà dit, devient une abstraction politique pour nombre de ses concitoyens. Se soigner, se former, se projeter, sont des verbes difficilement conjugables pour eux.
Bâtir une carrière d’artiste dans ce paysage devient même une hypothèque de vie quasi absurde. Mais Theo Rakotovao persiste à croire en l’impossible. Alors, il fait des disques, qu’il enregistre in home. Des disques rendant hommage au beko, une musique extirpée des rituels ancestraux, avec un trio guitare, basse, batterie, des perçus et quelques arrangements pop. « La culture peut nous servir à sortir de la crise ». En lien avec le public universitaire, pourvoyeur de fans clubs à souhait, il fonde son envie de construire de nouvelles routes musicales sur une réorganisation millimétrée du marché malgache. De Morondava à Tamatave, en passant par Fianarantsoa, Tana ou peut-être Majunga, il essaie de suivre un tracé que d’autres, avant lui, avaient tenté de transcender : D’Gary, Mahaleo ou encore Rajery. L’enjeu consiste à recréer un circuit de diffusion possiblement « pro » sur l’île. Marketing et programmation, sponsoring et tournée, tendance indé à réaffirmer.
Les artistes, selon Théo, ne peuvent éternellement attendre ce qui n’arrivera pas de sitôt, à savoir un budget d’Etat dédié à la musique. « Ceux qui ont le pouvoir ne comprennent rien à la culture » redit-il. Il n’y a ni colère, ni aigreur dans sa voix, bien qu’il se souvienne assez des expériences récentes d’un Jaojoby gêné aux entournures, à trop vouloir inverser la tendance au niveau national. Les artistes doivent pouvoir se prendre en charge. « La perspective est politique. Car le vrai problème, pour un pays aussi riche tombé si bas, est politique ». La musique de Théo Rakotovao, du beko principalement, ambitionne de contribuer à l’effort de guerre. Il la voit comme une sorte d' » épice servant à réconcilier l’artiste avec les oreilles de tout le monde ». Alors, on l’écoute chanter, notamment contre la légende sordide des voleurs de zébus dans le grand Sud, sur Hazolava, titre éponyme de son album. « Les zébus, c’était notre banque, et maintenant, c’est le hold-up permanent ». Une musique au service des siens.

Hazolava de Mikea, (Music&World label, 2012)///Article N° : 11462

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