Moffie, d’Oliver Hermanus

Cartographie de la douleur

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Le 4ème long métrage d’Olivier Hermanus sort le 7 juillet dans les salles françaises. Il confirme son talent en revenant sur le traumatisme subi pas la jeunesse blanche sous l’apartheid.
Afrique du Sud, 1981. Nicholas va devoir partir pour ses deux ans de service national, alors que l’Afrique du Sud combat le SWAPO angolais sur ses frontières. Le film se fait sombre, la musique discontinue, il court dans la nuit… Nous ne le quitterons plus, adopterons son regard, épouserons son rythme et son souffle, serons confrontés à son trouble, à sa quête, à son abnégation. Mais il reste une énigme. Son silence ouvre les possibles. Nicholas observe, ne se révolte pas. Il regarde sans réagir, comme lorsqu’à une gare, les appelés éructent leur haine du Noir qui ne fait qu’attendre son train. Il se rapproche cependant de ceux qui n’adoptent pas la surenchère machiste de la plupart des conscrits. En plein apartheid, ces jeunes déjà bien conditionnés subiront, comme les Marines dans Full Metal Jacket, le harcèlement des sous-officiers pour leur inculquer la discipline, le nationalisme, le mépris des Noirs, la haine des communistes et des homosexuels.
Nicolas se souvient : pré-adolescent, il regarde un homme dans les douches de la piscine, se fait prendre et dénoncer, traiter de moffie (pédale en afrikaans). Il doit quitter les lieux avec ses parents en catastrophe… A 18 ans, il continue de regarder les hommes à l’armée, mais voit combien les homosexuels sont considérés comme des ennemis, des déviants traitres à la patrie, humiliés et tabassés, jusqu’à être enfermés avec les fous.

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De culture anglaise, il comprend l’afrikaans mais ne l’utilise pas. Sa différence est déjà perçue comme une trahison par ses coreligionnaires. C’est pourtant dans cette ambiance qu’il va faire son Coming of Age homosexuel, alors que règne la suspicion, l’impossibilité d’être soi, de développer des relations, et que pour appartenir au groupe, il faut bien en adopter attitudes et rituels. Parfois, la musique se fait romantique (Schubert) et l’image nostalgique ou bien au contraire saccadée tandis que l’orgue de la toccata de Bach martèle le drame : c’est la douleur qui rentre. Ces deux ans ne feront que confirmer la perte de l’innocence déjà contrariée étant petit, le renoncement à l’optimisme, le refuge dans le silence.

Nicholas fait partie de cette jeunesse blanche qui va elle aussi subir la perte de sens, l’absurdité de l’idéologie d’apartheid. Son rapport au père est lui aussi douloureux mais cette terrible expérience lui permettra de l’assumer : il a compris dans sa chair ce qu’était son pays et ce que ce pays l’obligeait à faire.
Rien de tout cela n’est asséné : malgré la violence des rapports, tout est subtil dans le film, tant le personnage de Nicholas est comme une éponge qui absorbe sans se braquer, qui jauge les limites et trouve sa voie en fonction. Mais il est clair que les séquelles sont terribles et qu’il n’est plus l’enfant qu’il avait été. Nous comprenons combien ce régime a fait souffrir toute sa population, même les privilégiés.
Oliver Hermanus avait déjà abordé frontalement l’homosexualité dans Beauty (Skoonheid, 2011, cf. critique n°10233), son deuxième long métrage après Shirley Adams (2009, présenté au festival de Locarno). Beauty avait été sélectionné au festival de Cannes dans la section « Un certain regard » tandis que son troisième long, La Rivière sans fin (cf. critique n°13393), était en compétition à la Mostra de Venise en 2015 mais n’est malheureusement sorti en France qu’en VOD.
Shirley Adams (2009) décrivait le combat d’une mère pour empêcher son fils de se suicider, tétraplégique des suites d’une balle perdue. La caméra collait au dos de cette femme, comme les frères Dardenne l’avaient fait dans Rosetta ou Gus van Sant dans Elephant. Avec Beauty (2011), Hermanus mettait cruellement en scène le désir homosexuel réprimé au sein de la communauté afrikaner, qui s’est radicalement coupé de la beauté du monde. Avec The Endless River, Oliver Hermanus s’attardait une fois encore sur le cri des êtres face à la violence du monde. Moffie poursuit cette quête : que faire face à la pression d’une société encore profondément raciale, comment trouver son autonomie, se dégager du traumatisme ? Comment être soi dans une société conservatrice, même avec une constitution très progressiste ?

 

Nicholas n’est pas un héros, mais il se révèle déterminé, lucide, étanche au conditionnement. Il survit. Il fallait cette forme dramatique et ces péripéties pour que le spectateur partage son ressenti et comprenne ses contradictions, mais aussi perçoive combien la haine de l’Autre et la séparation passent par un endoctrinement. Moffie a été produit par la société britannique Portobello Pictures, en association avec Penzance Films, la société d’Oliver Hermanus, et avec le soutien du Département du Commerce et de l’Industrie d’Afrique du Sud : il est possible aujourd’hui de revenir ainsi sur l’Histoire avec des soutiens locaux.

 

 

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