« Monsieur le Président, il faut grandir ! »

Niangouna debout au Tarmac avec Machin la Hernie de Sony Labou Tansi

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Depuis quelques semaines, Dieudonné Niangouna se livre sur son compte Facebook à un étrange jeu d’autoportraits dont le mystère m’est enfin dévoilé quand je pénètre la salle du Tarmac… En clôture de ses « Traversées africaines », le théâtre parisien programme le Machin la Hernie de Sony Labou Tansi mis en scène par Jean-Paul Delore, avec Dieudonné Niangouna dans le rôle d’un conteur prisonnier de la même histoire, à la lisière de la folie. A découvrir jusqu’à samedi 16 avril.

« Sony m’a pris par la main, c’est à dire par la ceinture de la taille, donc du ventre, il m’a emmené en haut de la montagne me faire entendre la fièvre des va-nu-pieds dans mon cerveau, et c’est là qu’il a enlevé sa tête et l’a jetée dans le vide… Silence ! »
– Dieudonné Niangouna-

L’œil foucaldien
Et il y a de quoi devenir fou à écouter l’histoire d’un fou : bienvenue dans le monde du président Martillimi Lopez, « fils de Maman Nationale » élu au suffrage universel à 99,9 % mais incapable d’engendrer à son tour, à cause de sa hernie qui débande, sa hernie décisionnaire, tumorale et putride, autrefois prestige national, aujourd’hui minérale et sans pouls. Mais si Martillimi Lopez est « enterré avec sa hernie historique au musée national pour l’éternité dans un cercueil de pierre« , on n’a pas pu fermer son œil droit, un œil foucaldien qui, d’outre-tombe, regarde la nation.
Une histoire de fou, qui est pour Jean-Paul Delore « un véritable putsch verbal qui fait avancer l’histoire en la bégayant« . Pas de ponctuation, de l’indignation à revendre, des crachats de prostate impuissants à articuler le mot PROTESTATION, à la manière des personnages du théâtre de Kossi Efoui (un autre fils de Sony), qui échouent à reproduire le geste de se mettre DEBOUT. Mais face à cette hernie décisionnaire et pas rabelaisienne pour un sou qui semble gouverner la dramaturgie, pas de cri. Les habitués du théâtre de Niangouna découvrent un autre Niangouna, guidé par Delore vers quelque chose de pire que le cri. Le silence. Et le son froid du métal qu’on martèle sans harmonie, d’un bassiste rétif à tout spectre sonore bienveillant (et nous le fait savoir dès que nous franchissons les portes du théâtre, histoire de nuire aux retrouvailles réconfortantes). Et il y a l’odeur du soufre qui se répand partout dans le théâtre, peut-être le fruit d’un délire synesthésique ?
Image-mouvement
Sur la scène, un écran. Sur cet écran, un portrait, déjà aperçu parmi la série de selfies publiés sur le compte de Niangouna depuis quelques semaines. Un effort d’aperception plus tard, je réalise que ces portraits sont des GIF inquiétants et séduisants, où Niangouna pose tour à tour en colonel-chef-des-armées à galons et menaçant, puis en aliéné, dont la camisole entrave le mouvement d’une transe. Reconnaître ces GIF, c’est d’autant plus troublant que Niangouna nous a passés au détecteur d’armes avant d’autoriser notre accès à la salle (ce à quoi personne ne réagit, d’ailleurs…). Sur la scène vide, un filet de lumière laisse entrevoir des micros sur trépieds. Un acteur. Plusieurs micros. Niangouna partout (et un peu inquiétant). Le spectacle aurait-il commencé il y a des semaines, sur les réseaux sociaux ?
« Nous sommes au siècle de l’homme âgé. Qu’on y reste tous »
Ici, c’est la « fonction de mâle » qui est scénographiée, gouvernant un monde où tous les « machins la hernie » s’accaparent la parole sans jamais « passer le micro » : « Vous posez toutes les questions, je donne toutes les réponses« . Un monde où ministres et poètes « doivent écrire et penser au galop » car « une nation doit coincer les tripes », un monde où pour exploiter les sols, les Français donnent 16 % de leurs parts à … la hernie.
Un monde où l’on RESTE, même dans l’état honteux. Malgré le même caprice de Martillimi Lopez qui revient « Prenez votre pouvoir de merde. Moi je retourne planter des aubergines au village de maman« , on RESTE. Car après tout, la hernie ne « sécrète que de l’eau pourrie » et ne fait germer que « cerveau de mort […] dans le cerveau des enfants« . Ici, pas de vie et demie, plutôt une mort et demie. Pour tous, un supplément de mort. « Vous m’avez élu une fois et demie. Vous devez m’obéir une fois et demie ». On reste et on se contente de ce supplément de mort. Sauf pour ceux qui se mettent DEBOUT, le début d’un mouvement.

Texte Sony Labou Tansi (Revue Noire Editions, Paris, 2005)
Mise en scène Jean-Paul Delore
Avec Dieudonné Niangouna
Musique sur scène Alexandre Meyer
Collaboration artistique et costumes Catherine Laval
Création Lumière Guillaume Pons
Régies Bastien Lagier
Artiste invité Sean Hart

Durée du spectacle : 1h20
mercredi 13, jeudi 14, vendredi 15 avril à 20h
samedi 16 avril à 16h
Dans le cadre de Traversées Africaines///Article N° : 13569

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