Murmures

Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda
décembre 2005 | | Histoire/société | France

Français

Communiqué, le 19 décembre 2005 – Après la parution de divers ouvrages à caractère négationniste, la Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda (C.E.C.) tient à présenter les observations suivantes :
1 – La notion de « génocide » et celle de « complicité de génocide » applicables au Rwanda et dans les pays limitrophes entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ne sont pas affaires d’opinion.
Elles sont impérativement définies par la jurisprudence du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.), sur la base des articles 2 et 6.1 du Statut de ce Tribunal qu’a institué le Conseil de Sécurité des Nations Unies (v. Résolution 955 du 8 novembre 1994 ; v. aussi Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948).
En vertu de la loi 96-432 du 22 mai 1996, les juridictions françaises peuvent être saisies à raison d’actes accomplis par quiconque au Rwanda, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 et doivent, alors, appliquer les mêmes principes que le T.P.I.R.

2 -Conformément aux principes applicables (v ci-dessus, 1), n’importe quel massacre massif accompli au Rwanda n’est pas, ipso facto, un « génocide ».
Sont, seuls, constitutifs de « génocide » les « actes …commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel… »

3 – Chaque fois que la question lui a été posée, le T.P.I.R. a constaté qu’un « génocide » avait été commis à l’encontre des Tutsi rwandais.
Il n’est donc pas possible de contester, en droit, l’existence de ce « génocide ».

4 -Par ailleurs, en fait, aucun « groupe » rwandais autre que les Tutsi n’a été victime d’actes visant à sa destruction « en tant que tel ».
Dans ces conditions, il serait déraisonnable, en droit, de soutenir qu’un autre « génocide » que celui des Tutsi aurait été perpétré au Rwanda.

5 – Nul ne prétend que la République française ait partagé avec tel ou tel gouvernement rwandais l’intention de détruire tout ou partie du groupe formé par les Tutsi.
En droit, cependant, il n’est pas nécessaire que les autorités françaises aient eu cette intention pour être « complices ».
En effet, la « complicité » n’implique pas « l’intention spécifique qu’a l’auteur principal de commettre le génocide » (v. notamment, T.P.I.R., Jugement du 15 juillet 2004, affaire Ndindabizi).
Il faut – mais il suffit – que le complice ait « au moins connaissance de l’intention générale et spécifique de l’auteur principal » (v. le même jugement).
Or, dans le cas du Rwanda, les autorités françaises avaient indiscutablement cette connaissance (v. notamment, les déclarations du ministre français des Affaires étrangères, le 15 mai 1994 à l’issue d’un Conseil des ministres européens et le 18 mai suivant, à l’Assemblée nationale ; v. également, le rapport de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda, chapitre VI, pp. 286 et suivantes).

6 – En vertu de l’article 6.1 du Statut du T.P.I.R. l’encouragement « à préparer, planifier ou exécuter » le « génocide » est une forme de « complicité ».
Or, il a été jugé que « la présence d’une personne en position d’autorité en un lieu où un crime est en train d’être commis ou en un lieu où il est connu que des crimes sont régulièrement commis peut générer une forme d’approbation … qui s’assimile à l’aide et à l’encouragement. Ce n’est pas la position d’autorité qui est importante en elle-même, mais plutôt l’effet d’encouragement qu’une personne en position d’autorité peut susciter au regard de ces évènements » (v. le même jugement du 15 juillet 2004).
En droit, par conséquent, la « présence » de militaires français « en un lieu où un crime est en train d’être commis ou en un lieu où il est connu que des crimes sont régulièrement commis » est susceptible de constituer une « complicité ».

7 – Nombre de témoignages et de documents permettent, malheureusement, de nourrir le soupçon de « complicité » des autorités françaises civiles et militaires par d’autres faits que la simple présence.
Il s’agit, notamment, de la remise de Tutsi aux Forces Armées Rwandaises (F.A.R.) et aux milices – pour ne rien dire des allégations de meurtres et de sévices graves ; enfin, surtout, de l’aide militaire, technique, financière et diplomatique apportée de 1990 à la fin d’août 1994, à un appareil d’Etat qui préparait puis faisait exécuter le « génocide » (v. notamment, le rapport de la C.E.C., L’horreur qui nous prend au visage, Karthala 2005, pp. 420 et suivantes).

8 -La C.E.C. se réserve de publier un rapport complémentaire à partir des éléments d’information qu’elle n’a cessé de recueillir depuis mars 2004 sur les divers aspects de l’implication française.
Partager :