Murmures

Henri Maillot, de « Questions pour un champion » à l’arbre de vie
mai 2004 | | Arts plastiques | Madagascar
Source : Pierre Maury/Madagascar/Africinfo

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Quand il arrive dans n’importe quel pays francophone, le sculpteur réunionnais Henri Maillot est accueilli comme une vedette.
Cela lui est arrivé une fois de plus à Maurice il y a un mois, et il semble encore s’en étonner alors qu’il devrait s’y être habitué. Car il est sur le devant de la scène depuis 1992 déjà avec une de ses œuvres, « La Vénus au livre ». La statue en bronze d’une cinquantaine de centimètres est offerte aux lauréats du jeu télévisé « Questions pour un champion ». Largement diffusée sur la planète par l’intermédiaire de TV5 ou de chaînes locales (TVM chez nous), l’émission est en outre relayée par un nombre incalculable de clubs, ici au sein des Alliances françaises. Il n’est guère de région du monde où on ne la connaît pas.
Il y a douze ans, Henri Maillot exposait « La récréation des baigneuses » au Musée Cézanne d’Aix-en-Provence. Pour conclure, à sa manière, de longues années passées en France où il avait étudié aux Beaux-Arts à Paris et avait été enseignant avant de démissionner en 1988. Des gens de la production de « Questions pour un champion » sont passés voir l’exposition, qui rassemblait des dessins et des objets. Comme ils cherchaient un objet culturel à offrir aux lauréats, ils ont demandé au sculpteur de leur faire une proposition, qui fut acceptée.
Et voilà comment une œuvre de Henri Maillot se trouve à Madagascar depuis 1994, année où Patricia Rajeriarison sortit en vainqueur de la compétition télévisée. Dix ans déjà…
La carrière de l’artiste est émaillée d’autres grands moments, souvent moins connus du grand public. Ainsi, en 1989, après avoir passé du temps à Prague, il s’était rendu à Berlin où il avait peint, sur le Mur, « Deux anges ». Ceux-ci ont vécu là vingt-quatre heures, avant de s’envoler au moment où le Mur a été démoli et réduit en petits morceaux qu’on s’arrachait en souvenir de sa chute. « Bien sûr, dit-il, j’avais photographié tout de suite la peinture, c’est une habitude quand on travaille beaucoup, comme moi, dans l’événementiel. »
Chaque 1er janvier, d’ailleurs, il pose un acte artistique symbolique, souvent plus privé que public. Cette année, ce fut très privé : il a écrit, sur un mur de sa maison, la phrase latine qui signifie : « La fortune sourit aux audacieux ». C’est qu’il aura plus que jamais besoin d’audace pour mener à bien son nouveau projet, d’une dimension inhabituelle.
S’il est actuellement à Madagascar pour trois semaines, c’est en effet pour commencer une œuvre ambitieuse intitulée « L’arbre de vie ».
Elle est fondée sur une idée à laquelle il pense depuis trois ou quatre ans : « Je travaille sur un projet qui a pour terrain géographique l’océan Indien, ou plus exactement les pays d’origine du peuplement de la Réunion – avec la France, que je ne fais pas intervenir. On parle de la construction d’un peuple, que je figure par cet arbre de vie. Pour le réaliser, il y aura des sculptures faites à Madagascar, à Canton en Chine, à Pondichéry en Inde et à Maputo au Mozambique. J’ai commencé ici, avec des sculpteurs malgaches. »
Au lendemain de notre rencontre, il repartait donc à Ambositra où il a trouvé un savoir-faire qui l’impressionne : « A la Réunion, comme en Europe, le savoir-faire existe encore, mais il est complètement oblitéré par la technologie. Ici, on en revient au basique et au rudimentaire, avec des outils le plus souvent fabriqués par les sculpteurs eux-mêmes. Au point de départ, je pensais venir ici et sculpter moi-même. J’ai vite renoncé. J’ai commencé mais ce n’est pas mon milieu et, après une journée, j’étais épuisé, décontenancé et comme dépossédé de mon propre savoir-faire. En fin de compte, je ne fais rien, sinon les modèles en cire. »
Les pièces réalisées à Madagascar sont pour l’essentiel en bois. Pas n’importe quel bois : l’ébène. « Il y a une connotation historique évidente qui renvoie à l’esclavage. » Henri Maillot pense utiliser la porcelaine et la laque en Chine, et la fonderie en Inde. Puis ramener tous les morceaux à la Réunion pour les exposer, dans un an ou deux, quand tout sera terminé. Et à condition de trouver les fonds nécessaires pour aller jusqu’au bout d’une entreprise dont les débuts sont financés par lui-même.
Car s’il travaille à son œuvre personnelle, avec les contraintes qu’il choisit de s’imposer, il faut aussi penser à l’aspect matériel des choses. Il réalise donc des sculptures destinées à des places publiques, comme des fontaines, qui imposent des conditions très différentes : « C’est destiné à résister au public, il y a donc des contraintes très rigoureuses pour le choix des matériaux, par exemple, mais aussi en ce qui concerne le sens donné à l’œuvre. Parfois, cependant, même l’espace public se prête à un travail personnel, comme celui que je pratique dans mon atelier. »
Il a ainsi mis en route quelques projets, comme l’aménagement de la place du Marché à Bras-Panon ou une fontaine à Saint-Denis, tous deux dans son île. Mais aussi une autre fontaine pour Aix-en-Provence, qui célébrera en 2006 le centenaire de la mort de Cézanne, une belle occasion de revenir à une de ses « Baigneuses », puisque le sujet lui avait si bien réussi en 1992.
Il n’empêche : en esprit, même en bavardant à cette terrasse d’hôtel avenue de l’Indépendance, il est complètement à Ambositra. Il parle des couteaux sculptés en ébène et de cet étonnant sujet qu’il a donné à réaliser par les artistes locaux : des nounours en peluche, qui se transformeront eux aussi par la magie du bois travaillé. « Les objets que je choisis ne sont pas innocents. L’ours en peluche n’a rien de malgache et, pourtant, c’est ici que je l’ai trouvé comme modèle. C’est le choc des cultures qui m’intéresse. Et, ajoute-t-il avec un petit sourire, je vois déjà les couteaux plantés dans le dos des ours… »
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