Murmures

Marie NDiaye : lauréate 2009 de la Bourse Jean Gattégno du Centre national du livre
septembre 2009 | Prix | Littérature / édition | France
Source : communiqué de presse

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pour son oeuvre littéraire
D’un montant de 50 000 euros, la bourse Jean Gattégno a pour objectif de permettre aux auteurs ayant déjà publié une oeuvre importante de se consacrer pleinement à un grand projet d’écriture ou de traduction. Trois bourses peuvent être ainsi attribuées chaque année par le CNL respectivement à un créateur littéraire, un chercheur et un traducteur.
Les premières lignes de chacun des romans de Marie NDiaye provoquent le même trouble : le lecteur, en proie à une inquiétante familiarité, tourne les pages, incrédule, fasciné, en se demandant comment le charme opère, ce qu’il doit aux ingrédients traditionnels du fantastique, ou ce qui en lui est irréductible à toute formule connue. Cette emprise est-elle due au bain de sensations qui l’enveloppe ou à ces halos colorés qui teintent certains romans de l’écrivain ? Dans Autoportrait en vert, de mystérieuses apparitions de femmes en vert jalonnent l’existence sans histoire d’une mère de famille, sur les rives de la Garonne. Fruits de l’inconscient fertile de la narratrice, ces silhouettes inquiétantes s’impriment à la façon de mirages glauques sur la rétine du lecteur. Dans Rosie Carpe, c’est de jaune que sont nimbés les souvenirs d’enfance du personnage, symbole d’une amertume qui ne parvient pas même à la conscience de cette fille mal aimée. Nadia, l’héroïne de Mon coeur à l’étroit, évolue, quant à elle, dans une ville nappée de brouillard, enserrée dans l’épaisse grisaille de sa culpabilité.
Mais ces tâches de couleur n’épuisent pas la palette des sortilèges de Marie Ndiaye. Dans la gamme sombre, de terribles phénomènes complètent le prisme de la romancière pour révéler les noirceurs de l’âme humaine : ici une cruelle agression commise par des élèves sur leur professeur ; les motifs resteront ignorés, et la victime, condamnée à souffrir d’une plaie suppurante à son flanc. Là une belle-fille, gynécologue, dont l’élégance apprêtée dissimule une carnassière capable de dépecer ses rivales….
Ce ne serait pas rendre justice au talent de cet écrivain que de s’en tenir à cet assortiment de motifs sordides qui mêlent de façon hyperréaliste fantasmes organiques et animalité régressive. La véritable originalité de Marie Ndiaye consiste à inscrire ces savantes bizarreries au coeur du matériau le plus intime que l’on puisse imaginer : les relations familiales. Filiations douloureuses, désordre des générations, dénégations de parenté : tels sont les véritables sujets de cette romancière qui renoue avec le roman des origines. Il n’est question, dans l’oeuvre de Marie Ndiaye, que de cette humaine matière et du cours douloureux et imprévisible des affections humaines. La psyché, une fois débarrassée des afféteries culturelles, s’y exhibe pulsionnelle et archaïque, et atteint à la puissance universelle du mythe.
En plongeant dans les replis du doute, dans les recoins de l’âme, Marie NDiaye a découvert un continent noir, qui bruisse de pulsions primitives et de visions maléfiques. Le CNL est fier de lui attribuer la bourse Gattégno pour qu’elle puisse poursuivre cette odyssée étrange, là où elle le souhaite.
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