Murmures

La réponse du Député-Maire de Nantes à la campagne de Diverscités pour débaptiser les rues des négriers
septembre 2009 | Projets culturels | Histoire/société | France
Source : communiqué de presse

Français

Bordeaux, Nantes, La Rochelle, Le Havre
De retour de Nantes, DiversCités tient à informer le public des réactions engendrées par cette pétition qui n’en est qu’à ses débuts.

Au préalable DiversCités rappelle que l’objectif de cette campagne est d’ouvrir le débat sur la signalétique urbaine par respect de la mémoire des victimes et descendants de l’esclavage dans le but de favoriser l’intégration socio-urbaine.

La première réaction est celle de l’écrivain Patrick Chamoiseau, président d’honneur de la Fondation Européenne du Mémorial de la traite des noirs, qui défend l’idée de débaptiser définitivement ces rues de négriers (art. JDD du 13 sept).

Interrogé par la presse (AFP), le Maire de Bordeaux, Alain Juppé, déclare que c’est « absurde…je ne vais m’engager là-dessus….quand s’arrêtera la repentance? ».

Cette déclaration est à l’exacte opposé de celle qui nous est parvenue du Député-Maire de Nantes, Président du Groupe parlementaire du P.S, Mr Jean Marc Ayrault.

Mr Jean Marc Ayrault, dans un courrier de trois pages nous exprime respect et reconnaissance et avance des propositions inédites.

Ainsi Nantes s’engage à « mettre en place, autour du Mémorial des abolitions, une signalétique historique sur les principaux lieux emblématiques du passé négrier mais aussi dans les rues qui rappellent par leur nom ce sombre commerce, pour construire ainsi un véritable parcours urbain autour des traces multiples de l’histoire négrière à Nantes. »

Cette réponse audacieuse et argumentée témoigne du statut de pionnier que Nantes conserve et de la compréhension du nécessaire dialogue entre la société civile et les élus pour faire avancer nos sociétés.

Plus que jamais DiversCités reste déterminée à militer pour un meilleur respect de la mémoire de ce crime contre l’humanité dans une perspective de réconciliation et de citoyenneté.

En défendant l’idée d’une véritable commémoration nationale, le projet d’un Mémorial, lieu spécifique de connaissance et de partage et l’initiative d’une Ecole des Mémoires.

Après les signatures de Nantes de ce week end, la campagne poursuit sa route vers La Rochelle (17 octobre) et Le Havre (31 octobre).

Des rencontres avec les associations, les élus et les populations jalonneront ces déplacements et une restitution aura lieu le samedi 7 novembre à 10h au cinéma utopia.

LETTRE DE JEAN-MARC AYRAULT :

Monsieur Karfa DIALLO
Président de l’Association Diverscités 37 rue du colonel Grandier-Vazeille 33000 BORDEAUX

Nantes, le 18 septembre 2009

Monsieur le Président,

Vous menez depuis plus de 10 ans à Bordeaux des actions qui ont été parmi celles qui ont « déclenché » le travail de mémoire sur le passé négrier de cette ville. Votre travail est également orienté vers une meilleure prise en compte de la diversité culturelle dans la vie sociale et politique régionale.
Les très hauts soutiens dont vous avez bénéficié, de la part du monde scientifique ou artistique, ou encore de l’UNESCO, sont à la hauteur de l’exigence de vos travaux.
Au regard de vos actions je peux affirmer que nous partageons, pour l’essentiel, les mêmes valeurs et je suis conscient du rôle crucial des associations dans ce long et nécessaire travail de reconnaissance de cette part honteuse de notre histoire.
NANTES a été pionnière, vous le savez, dans sa volonté de regarder en face son histoire de premier port négrier de France. Cela a parfois été un combat difficile pour les associations nantaises qui ont été les premières à tenter de réveiller les consciences sur ce sujet, en particulier au cours des années 1980.
J’ai fait de ce dossier, lors de ma première élection en 1989, une de mes priorités et j’ai pris soin d’engager un dialogue sans tabou avec les principaux acteurs mobilisés aux premiers rangs desquels l’association « Les Anneaux de la Mémoire ».
L’exposition des Anneaux de la mémoire de 1992 a posé un jalon primordial dans le travail de mémoire de l’esclavage en France. Mais dès ce moment j’ai souhaité inscrire Nantes dans le « tout monde » dont parle Edouard GLISSANT pour en faire une ville qui se nourrit des rencontres avec les cultures du monde et qui doit valoriser sa diversité, dans une vigilance permanente contre les formes d’exploitation contemporaine.
A partir de ce moment fondateur, c’est un dispositif ambitieux et cohérent qui je crois est en train de voir le jour à Nantes, grâce à un partenariat riche qui ne s’est jamais démenti avec les associations locales :
– Le Musée du Château des Ducs présente aujourd’hui une muséographie de 350 m2 spécialement dédiée au passé négrier de la ville. Sa directrice actuelle, Marie-Hélène JOLY, est d’ailleurs membre du Comité pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage depuis le 8 mai dernier ;
– le travail, lent et complexe, d’élaboration d’un Mémorial des abolitions de l’esclavage est en passe d’aboutir : l’ouvrage exceptionnel de Krystof WODICZKO verra le jour sur l’emblématique quai de la Fosse en 2011, fort du soutien des principales associations et collectivités locales mais aussi sur le plan national, de Françoise VERGES qui tiendra prochainement à Nantes une réunion du Comité qu’elle préside ;
– tous les ans le « collectif du 10 mai » riche de très nombreuses associations propose une manifestation toujours plus exigeante pour commémorer l’abolition et sensibiliser tous les publics ;
– mais dans le même mouvement, j’ai souhaité inscrire Nantes à la pointe des combats contre toutes les formes d’exploitation contemporaine de l’être humain notamment à travers le forum international des Droits de l’Homme, mais aussi dans un dialogue permanent et sans cesse approfondi avec les cultures du monde, en particulier avec la création du premier Institut d’Etudes Avancées en France qui fait se confronter les meilleurs chercheurs du monde entier dans un fort soucis d’interdisciplinarité et de dialogue fécond avec l’hémisphère sud.
Vous le voyez, Nantes peut être fière je crois du travail accompli depuis 20 ans, pour à la fois assumer son passé et se projeter dans le monde, ce qui est sa vocation profonde de ville d’estuaire.
Votre courrier, largement diffusé, a le mérite de lancer un débat.
La signalétique a en effet une fonction symbolique non négligeable. Mon équipe municipale et moi avons toujours veillé à ce que les noms de personnages qui se sont illustrés dans le combat contre l’esclavage et pour les droits de l’homme soient très présents dans les rues ou les équipements de Nantes : j’en veux pour preuve le centre Louis Delgrès, la passerelle Victor Schoelcher mais aussi le futur pont Léopold Sédar Senghor, parmi beaucoup d’autres encore.
Faut-il débaptiser le nom de certaines rues comme votre courrier le propose ? Pour ma part et comme bon nombre d’associations concernées par cette question, je suis très réservé. En l’espèce, je crois que cette forme d’effacement reviendrait à nier une parcelle de notre histoire.
Le sens de notre politique est pour moi très clair : s’il y a un devoir de mémoire, c’est parce qu’il est nécessaire de s’armer collectivement contre les injustices présentes et à venir. Cela implique pour ma part une nécessaire « mise à distance » du passé {j’emprunte ce terme au sociologue Michel GIRAUD) qui passe par le travail des historiens, sans cesse renouvelé, ou parfois des artistes, avec le soucis constant d’éviter tout amalgame ou raccourcis faciles.
Aussi, si la signalétique historique à Nantes doit sans doute encore progresser, il ne me semble pas que débaptiser certaines rues soit une réponse appropriée. Il me semble au contraire que ces rues doivent garder leur nom comme la marque d’un passé historique, aussi sombre soit-il, qui doit être accepté, révélé et expliqué, pour que les générations futures apprécient à sa juste mesure le chemin parcouru et portent à leur tour témoignage de l’horreur que représentent toutes les formes d’esclavage.
A cet effet j’entends mettre en place dans la Ville, autour du Mémorial des abolitions, une signalétique historique sur les principaux lieux emblématiques du passé négrier mais aussi dans les rues qui rappellent par leurs noms ce sombre « commerce », pour construire ainsi un véritable parcours urbain autour des traces multiples de l’histoire négrière à Nantes.
La seule réponse qui vaille pour moi passe par un dialogue sans cesse réinventé entre la société civile, les élus et les chercheurs, l’essentiel étant pour chacun d’entre nous, comme le rappelait Frantz FANON, de ne pas être « esclave de l’esclavage » et de ne pas perdre de vue le sens fondamental du « devoir de mémoire », ou devrais-je dire du « devoir d’histoire » : forger les bases d’une société où chacun peut entrer en relation avec l’autre avec l’assurance d’un enrichissement mutuel et d’un égal respect.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.

Jean-Marc Ayrault
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