Le cinéaste nigérien Mustapha Alassane a été fait chevalier de la Légion d’Honneur durant le festival de Cannes 2007. C’est Véronique Cayla, directrice du Centre national de la Cinématographie (CNC) qui a prononcé l’hommage d’usage, que l’on lira ci-dessous, ainsi que la réponse du cinéaste.
Mustapha Alassane, bonjour. Vous avez toujours été et continuez d’être un homme engagé et nous souhaitons vous rendre hommage. Né en 1942 à N’Dougou au Niger, vous êtes autodidacte et passionné de mécanique. Vous vous êtes formé à la technique cinématographique grâce à une rencontre providentielle avec Jean Rouch, amoureux du Niger, qui est devenu votre ami et qui repose désormais dans votre pays. Puis vous êtes parti au Canada où vous vous êtes initié au cinéma d’animation sous la direction de Norman McLaren.
Votre premier film « Aouré » (« Mariage »), un court-métrage sur la tradition nuptiale d’un village du Niger, est récompensé en 1963. En 1965, vous réalisez le premier dessin animé africain, « La mort de Gandji », une allégorie tirée d’une légende qui met en scène des courtisans et un roi crapaud. Grâce au crapaud Sim, qui deviendra roi des crapauds et président de la République des crapauds, parti en mission diplomatique dans une république voisine, vous avez dessiné le portrait drôle et sans concession des jeunes républiques africaines des années 60 dans l’étonnant « Bon voyage, Sim ». Quinze ans plus tard, vous remettrez en scène le crapaud Sim dans « Kokoa », autre fabulation ironique où la foule est conviée à un immense concours de lutte entre le caméléon, la grenouille, l’oiseau et le margouillat. Sim le crapaud aurait pu être une créature de La Fontaine : vous possédez l’art de la fable sur le bout des doigts.
En 1966, vous surprenez encore avec le moyen-métrage parodique, « Le retour d’un aventurier », le premier western africain que nous avons eu le plaisir de découvrir ici au sein du Pavillon des Cinémas du Sud. Djibril Diop Mambéty, cinéaste sénégalais et autre grande figure du cinéma africain, malheureusement disparu, avait été marqué par cette uvre majeure qui avait inspiré un de ses chefs-d’uvre « Touki Bouki ».
« FVVA : Femme, Villa, Voiture, Argent », votre premier long métrage au titre évocateur en 1972, est une satire dénonçant l’arrivisme et la soif de pouvoir des nouveaux riches en Afrique. Ce film a marqué toutes les générations de jeunes africains. En 1977, vos magnifiques mélanges de marionnettes et de décors dessinés et peints, révèlent toute leur force dans votre film « Samba le Grand », une légende ancienne contant les rapports toujours épineux de l’amour et du pouvoir.
Aujourd’hui, vous avez plus d’une trentaine de films d’animation, de fiction, de documentaires à votre actif, qui restituent avec un regard ironique et satirique les situations sociales et les murs de votre pays et de votre continent. Votre engagement pour le cinéma s’est poursuivi pendant quinze ans comme directeur de la section Cinéma de l’université de Niamey. Toujours insatiable, vous vous êtes également tourné vers la distribution. Avec un minibus et quelques projecteurs, vous avez parcouru le Niger, partageant votre passion avec vos compatriotes jusqu’aux coins les plus reculés de votre pays.
Par votre création prolifique et votre perpétuel engagement, vous avez contribué dans les années 60/70 à faire du Niger un grand pays du cinéma avec Oumarou Ganda, Moustapha Diop et Djingarey Maïga. Vous vivez aujourd’hui à Tahoua au nord du Niger, dans votre hôtel où vous avez transformé quelques chambres en studio de tournage et de montage. Chez vous, vous continuez à creuser votre sillon
Vous poursuivez votre dessin en apprenant les techniques d’infographie et de montage virtuel, un bon moyen selon vous de continuer à travailler sans quitter votre Tahoua, auquel vous êtes tant attaché. Parce que vous connaissez l’importance de la transmission et de l’héritage, vous avez insufflé votre enthousiasme à vos fils et vos voisins qui animent des marionnettes pour votre cinéma d’animation, qui reste votre véritable passion. Vous êtes le cinéaste d’animation de référence en Afrique. Si les jeunes cinéastes d’Afrique vous doivent tant de respect, c’est parce que vous êtes le plus vif et le plus alerte de tous : un » garnement génial caché sous l’écorce du vieux singe » comme le dit un de vos biographes. Je forme le vu ce soir, avec tous ceux qui nous entourent, que cette énergie et cette conviction continue de vous animer encore longtemps : nous en avons tous grand besoin. M. Mustapha Alassane, au nom du président de la République, et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, nous vous faisons chevalier de la Légion d’Honneur.
Je vous remercie beaucoup. Ce que vous avez fait aujourd’hui pour moi est un geste à destination de mon pays et surtout de toute l’Afrique. Nous avons ici des enfants du continent africain du nord, du sud, de tous les côtés, et des enfants africains de la Diaspora. Tous sont venus quand ils ont appris l’initiative que vous avez prise pour nous. Depuis les années 60, j’ai toujours bénéficié de la compréhension du CNC. Je regrette que certaines personnes comme Jean Rouch, qui ont beaucoup fait pour le cinéma africain, aient disparu. J’aurais voulu qu’elles soient à mes côtés aujourd’hui pour assister à cette cérémonie.
Nous pensons que nous devons bénéficier encore plus du CNC, que ce soit les cinéastes européens ou africains. Nous espérons qu’avec le renouvellement de tout le système, vous penserez aux pays africains qui ont commencé à prendre des dispositions pour améliorer les moyens audiovisuels à la télévision, dans les cinémas etc. Ces pays ont besoin de votre aide. L’aide que nous avons reçue de la France correspond à 5 % de ce que nous devons recevoir. Vous devez continuer à nous aider pour que nous puissions continuer à travailler ! Des pays comme le Nigeria ont trouvé le moyen de produire l’équivalent de 1300 films par an, qui sont vus par tout le monde. Ils ont mis au point un système idéal ; nous voulons pouvoir faire de même dans les pays francophones. Je remercie tous ceux qui sont là et qui souhaitent que les jeunes continuent comme nous l’avons fait. Celui qui créé quelque chose peut s’attendre à une récompense : c’est une affaire de Dieu. Que Dieu nous aide et vous aide. Merci.
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