Nanga Def (comment ça va ?)

De Moussa Touré

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Qu’est-ce qui fait que les 52 minutes de Nanga Def ne pèsent jamais ? Pourtant, ces enfants de 13 ans de la 5ème SEGPA (Section d’Enseignement Professionnel Adapté) du lycée public d’Apt (Vaucluse) ont du mal à s’exprimer : la timidité, certes, mais aussi une non-maîtrise des mots, une difficulté à se dire, souvent un monde intérieur qui ne s’extériorise pas par la parole.
C’est pourtant l’échange verbal que choisit Moussa Touré pour communiquer avec Alexandre, Corinne, Christopher, Fadoua, Florian H., Florian S., Fouad, Jean-Paul, Louis, Ludovic, Mourad, Océane et Youssef. En les invitant chacun à se présenter, il ouvre déjà entièrement la relation : « Qu’est-ce que tu as envie de me demander ? » Sa grande réussite est de parvenir à instaurer cet échange que bien des professeurs ont tant de mal à établir, et qui commence par le fait de mobiliser son interlocuteur. « Qu’est-ce que tu as envie de me dire ? » « Rien, ou si : vous avez un beau chapeau. » La détente est de plus en plus palpable ; des choses se disent qui jamais ne s’expriment. Les enfants ont visionné Poussière de ville, le beau documentaire de Moussa sur les enfants des rues de Brazzaville. Quelques images en sont insérées en guise de plans de coupe, images d’enfants d’ailleurs, de réalités très différentes mais qui s’avèrent proches quand on gratte un peu du côté des familles où le divorce est fréquent. Comme dans Poussière de ville, les enfants de Nanga Def se révèlent peu à peu.
Dans l’espace public de la classe, Moussa aborde l’espace privé et fait le pas : des enfants lui montrent leur chambre, leur espace personnel. Jamais cette approche ne sera anecdotique, jamais cette intrusion n’est un viol : c’est l’enfant qui présente ses objets, dit leur importance. Ils ne sont jamais mignons, ils sont respectés, humains, dignes. Le cadrage y est pour beaucoup. Moussa tourne seul dans un dispositif minimaliste, avec pour unique outil une petite caméra dv : pas de grands effets, le plan fixe est de rigueur, sans gros plan ni zoom inquisiteur, juste un peu de décor pour préciser l’environnement, face caméra pour préciser l’échange. Le temps est aussi un facteur essentiel : Moussa respecte les silences, les hésitations, parce qu’ils sont signifiants. Nous partageons son intérêt pour l’être humain sans fioritures. Son approche sans hiérarchie et son regard de cinéaste nous rendent ces enfants d’Apt singulièrement proches et familiers, avec l’envie de mieux les connaître. Comme ceux de Poussière de ville, ce sont des enfants du monde.

///Article N° : 3948

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