Nazim Mekebel et Dalila Nadjam : « La BD est un art dans le plein sens du terme et à ce titre, il mérite d’être valorisé et promu. »

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Nazim Mekebel et Dalila Nadjam

Par MSN entre Maurice et Alger, juin 2009.
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Un vent nouveau souffle sur la BD d’Afrique. Sur un continent où le monde artistique et culturel ne leur reconnaît guère la place qui leur revient, les auteurs de BD se sentent enfin reconnus à leur juste valeur avec l’apparition, en octobre 2009, du nouveau Festival international de Bande dessinée d’Alger (FIBDA). Volontaires, engagés et dynamiques, ses organisateurs veulent en faire un lieu de rencontres et d’échanges, une vitrine sur la créativité africaine dans le domaine. Après une première édition réussie, suivie du PANAF de juillet 2009, la seconde édition – du 14 au 18 octobre 2009 – promet de belles rencontres. Entretien avec son commissaire, Dalila Nadjam et Nazim Mekebel, son responsable des relations internationales.

D’où vous est venue l’idée de faire un festival de BD à Alger ?
La BD algérienne a connu une période de floraison qui en a fait dès le lendemain de l’indépendance un mode d’expression extrêmement prometteur. Cette floraison, s’est traduite d’abord par de nombreuses publications puis par un festival dans les années 1980 qui a connu plusieurs éditions et énormément de succès. Aujourd’hui, on peut constater que les mêmes potentialités existent toujours mais que les cadres de prise en charge et de soutien font cruellement défaut. C’est la raison pour laquelle nous avons eu l’idée d’offrir aux jeunes bédéistes les opportunités nécessaires pour montrer leurs travaux, les confronter à ce qui se fait dans le monde et avoir un contact direct avec les ténors internationaux de la bande dessinée. Il va s’en dire que tout cela procède de notre intime conviction que la BD est un art dans le plein sens du terme et qu’à ce titre il mérite d’être valorisé et promu.
Quels étaient les principaux objectifs de la première édition du festival ?
Il a fallu sept mois d’efforts conjugués, d’enthousiasme et de passion nécessaire à la réalisation de ce grand projet. C’est cette combinaison qui a permis au comité d’organisation d’être en mesure de tenir son pari. En premier lieu, il fallait ménager les meilleures conditions de crédibilité pour les bédéistes nationaux car il était primordial pour nous de ne pas contrarier leurs attentes. En second lieu, il fallait s’assurer d’une participation internationale de qualité et donc mener un travail de prospection pouvant permettre de repérer, à travers le monde, des personnalités de renom dans le domaine de la BD. Sur ce chapitre, le réseau internet a été le chemin le plus court et le plus sûr dans la mesure où la toile est balisée des sites de grandes rencontres internationales de la bande dessinée. En troisième lieu, nous ne devions pas perdre de vue que l’objectif essentiel de ce premier festival était de promouvoir, revaloriser, réactiver le vivier algérien des producteurs de BD, toutes spécialités confondues ; dessinateurs, scénaristes, dialoguistes, adaptateurs etc., et arracher tout ce potentiel créatif à la marginalisation et à l’éparpillement.
Au final, quel est le bilan en avez-vous tiré ?
Au vu de toutes ces conditions, nous pensons que le bilan de ce premier festival est positif et ce pour plusieurs raisons :
– de nombreux moments forts ont marqué cette manifestation, notamment les échanges entre le public et les professionnels, entre les auteurs algériens et leurs confrères de nombreux pays étrangers, entre différentes générations de dessinateurs etc.
– Près de deux cents nationaux ont pris part aux différents concours révélant ainsi un gisement considérable de jeunes talents, dont certains, de surcroît, ont été récompensés.
– Quatre-vingt-dix-huit professionnels de la BD représentant vingt-six pays ont participé et ce, dans différentes activités : le concours international, les ateliers, les conférences etc.
– La composition du jury international avec des personnalités imminentes. La présence de grands bédéistes à l’instar du Suisse Cosey, de l’incontournable baroudeur français P’tiluc, du Congolais Barly Baruti, élève d’Hergé et bien d’autres ;
– Et pour finir, s’agissant toujours des participants étrangers, les impressions qu’ils nous ont adressées par e-mail sont des preuves éclatantes, si l’on peut dire, que nous avons réussi notre pari. Le visage de l’Algérie qu’il leur a été donné de découvrir, l’accueil et les rencontres professionnelles qu’ils ont pu faire, attestent que le FIBDA a atteint ses objectifs et que le monde algérien de la BD a repris pied dans l’environnement culturel international.
Quelles sont, selon vous, les erreurs qu’il ne faudrait pas réitérer ?
Il serait prétentieux et même anormal de dire que tout était parfait lors de la première édition. Sous d’autres cieux et pour être inscrites dans les agendas culturels internationaux, de telles manifestations font l’objet d’une préparation s’étalant sur des temps beaucoup plus longs, ne fût-ce que pour permettre à des participants pressentis de se rendre disponibles dans les délais requis. L’édition 2008 a été préparée en sept mois seulement ! Il est utile de relever les principales faiblesses et lacunes comme le manque d’expérience, la nouveauté d’une telle manifestation et une communication défaillante. De même que l’éclatement des principaux foyers d’activités et souvent l’éloignement pour ces derniers les uns des autres, ont quelque peu pénalisé le public. Une réflexion a été faite à ce sujet qui permettra de mieux gérer le temps et l’espace. Pour l’édition de 2009, nous avons choisi de concentrer toutes les activités du festival sur un seul site de la Capitale et nous avons élaboré une communication plus performante
Pourquoi le choix de la bande dessinée africaine ?
Ce n’est pas un choix. Cela s’est presque imposé de lui-même. Nous avons découvert les créations africaines grâce entre autres, à votre site. Nous avons été très surpris par la qualité et la créativité des auteurs africains. La BD a sa place en Afrique et les auteurs africains prennent petit à petit leur rang dans le concert de la bande dessinée mondiale. Elle donne une image originale et créative de la réalité mouvementée en Afrique à la différence de la BD occidentale et l’engouement des Africains pour la BD est réel. Mais elle connaît des difficultés de publication dues au coût excessif des maisons d’édition, du faible pouvoir d’achat des lecteurs et l’inexistence des subventions pour soutenir la production des œuvres. Etant nous-même un pays africain, il était logique et légitime de mettre en valeur ce 9 ème art et d’unifier les compétences africaines avec celles des internationaux. La première édition du FIBDA a levé le voile sur la richesse des œuvres d’artistes africains et a provoqué un moment d’émotion et de reconnaissance.
Comment expliquez-vous le fort soutien du ministère de la Culture ?
Il n’y a rien à expliquer parce que la mission d’un ministère de la Culture est d’accorder son soutien à toutes les formes d’expressions culturelles. Notre chance c’est d’avoir à la tête du département de la culture une ministre qui entend faire jouer leur rôle aux institutions placées sous son autorité.
Quel est votre regard sur la BD algérienne ?
L’Algérie a été considérée pendant de longues années comme le pays de la BD dans le Maghreb, voire dans le monde arabe. Aujourd’hui la production de bandes dessinées est faible, et les nouvelles parutions se comptent sur les doigts de la main. Elle a connu ses moments de gloire mais aussi des moments d’infortune totale. Les années troubles et sanglantes qu’a connues notre pays ont entraîné la disparition de ce mode d’expression. La plupart de nos dessinateurs sont allés s’exprimer là où leur talent trouvait preneur. De très bons bédéistes se sont fait un nom, à l’étranger, en France, aux États-Unis, par exemple. D’autres se sont orientés vers le dessin de presse pour assurer leur survie. Avec la mise en place du festival, il y a un grand espoir de redynamisation de la bande dessinée. Le bilan de la première édition le prouve. Nous avons une jeunesse pleine de créativité. Ce potentiel novateur a encouragé quelques éditeurs à s’investir sur cette ligne éditoriale dont moi-même (1). L’industrie de la BD est en marche avec tout ce que cet art peut entraîner comme ouverture entre autre dans le cinéma. Pour la prochaine édition, nous allons découvrir de nouveaux auteurs, de nouvelles BD, de nouveaux éditeurs et également un nouveau magazine.

(1) Il s’agit de Dalimen éditions, qui a publié Cases et bulles d’Hilaire Mbiye en août 2009Depuis juin 2009 :
La 2ème puis la 3ème édition du FIBDA ont eu lieu en 2009 et 2010.
Alger a également accueilli la 2ème édition du festival Panafricain (PANAF), festival qui a accueilli à cette occasion de nombreux auteurs du continent. Un album collectif en sortira : La BD conte l’Afrique.
En matière de bandes dessinées, Dalimen éditions a publié en 2009 une biographie du dessinateur algérien, Slim : Le Gatt et moi puis en 2010, une autre biographie sur Redouane Assari : Redone, l’énigme du mystérieux dessinateur oublié. A ceci, on peut rajouter des recueils de caricatures : L’Algiré et Nage dans ta mer de Le Hic, Algé rien de France de Gyps, Walou à l’horizon de Slim ainsi que des bandes dessinées : Où est passé le grand troupeau !? de Denis Martinez et Abdelhamid Laghouati, Djeloul El bahri de Djamel Bouchnef, La bonne destinée de Ahmede Haroun, Togui Diary de Togui, Ahlam toufoula et Samaka taicha de Kaci Nadia.
En savoir plus : [http://www.bdalger.net/] ///Article N° : 10181

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