Nha fala (Ma voix)

De Flora Gomes

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On voit « Nah falla » avec le même bonheur qu’une comédie musicale de Jacques Demy : les chants orchestrés par Manu Dibango sont pleins de vie, les danses donnent envie de se dandiner sur son fauteuil, les couleurs sont vives, même le moindre papier-peint servant de décor. Le film démarre véritablement, instaurant un vrai suspens dont on attendra tout le film la résolution, lorsqu’on apprend que Vita, qui part continuer ses études en Europe, ne doit pas chanter parce que sa famille est atteinte d’une malédiction qui fait mourir tous ceux qui s’y risqueraient. Après un début très musical et dansé, on perçoit le drame que cela représente. Nah falla s’avère être une seule et même joyeuse invitation à élever la voix, à prendre la parole, et comme le dit la chanson finale, à oser : « Que faire quand quelqu’un t’empêche d’avancer ? Il faut oser ! Quand tu veux faire l’amour une deuxième fois, il faut oser ! » Le film commençait déjà par la procession des enfants de l’école qui enterrent leur perroquet qui ne savait dire que « silence ! » On les retrouve à la fin : tout est en boucle dans ce film, mais la boucle passe par une expérience autre, la confrontation à un ailleurs, une autre façon de voir les choses, éventuellement le rejet comme le suggère de façon comique un vieux qui danse avec les autres voisins de Vita à Paris et ne cesse de répéter : « Moi, j’aime pas les Noirs ! »
Flora Gomes délaisse ainsi le registre rabattu des appels à l’action pour suggérer sur un mode musical parlant au plus grand nombre qu’il faut dépasser la peur. C’est le thème du CD à succès qu’enregistrera Vita avec le musicien parisien dont elle est tombée amoureuse : « La peur, elle te prend, elle te dévore, et tu n’as plus d’ami en toi ».
Est-ce à dire qu’il faille en passer par l’Europe pour s’en libérer ? En somme, où puiser la force d’oser ? Deux personnages fous traversent le film, qui portent une statue d’Amilcar Cabral et cherchent un endroit pour la poser. Ils ne lui trouveront un piédestal qu’en fin de film, lorsque tous osent chanter, après que tous aient refusé de l’accueillir chez eux, fermant portes et fenêtres au rythme de la musique. En mettant ainsi en avant celui qui fut à la fois penseur de l’indépendance et combattant de la liberté, Gomes inscrit son film dans la continuité historique de la résistance à la colonisation et rappelle qu’il ne faut pas aller chercher loin les penseurs de la désaliénation, si l’on veut bien s’intéresser à sa propre culture. Mais il le situe aussi, comme avec son film précédent « Po di Sangui », dans le grand mélange des peuples : la chanson finale se termine par « Que faut-il faire pour être ensemble et différent ? Il faut oser ! »
Nah Falla, qui retrouve en outre les acteurs repérés dans les précédents films de Flora Gomes, est servi par la remarquable Fatou Ndiaye, rendue célèbre par son rôle dans le téléfilm « Fatou la Malienne ». Jamais elle n’en fait trop mais son visage expressif et sa gestuelle décontractée lui confèrent une remarquable présence, même s’il lui fallut pour ce film apprendre le créole guinéen et à chanter !
Un beau film sans prétentions et bourré de joie de vivre dont la sincérité donne envie d’entrer dans la danse.

2002, 35 mm coul., 90 min, image : Edgar Moura, musique : Manu Dibango, avec Fatou N’Diaye, Jean-Christophe Doll, Angelo Torres, Bia Gomes. Les Films de mai (+33 1 43 57 07 01). Sélection officielle au festival de Venise 2002.///Article N° : 2690

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