La 7e édition du Forum du film documentaire de Niamey (10 au 18 décembre 2012) a confirmé son rôle dans l’émergence de jeunes réalisateurs décidés à redonner sa place au Niger dans les cinémas d’Afrique, mais les questions critiques demeurent centrales.
Qu’il s’agisse de feu Oumarou Ganda ou de Moustapha Diop, ou des vétérans encore bien actifs Moustapha Alassane et Djingarey Maïga, pour peu qu’on s’intéresse aux cinémas d’Afrique, on a croisé les films des grands noms du cinéma nigérien. Mais si ces anciens continuent malgré les difficultés leur chemin, la relève ne semblait pas assurée – jusqu’à ce que des documentaristes apparaissent dans les années 2000. C’est le cinéma du réel qui motive davantage aujourd’hui les cinéastes pour rendre compte de l’état de leur société et mobiliser leur peuple.
Le vétéran Inoussa Ousseiny, surtout connu pour Paris c’est joli (1974), qui a préféré une carrière politique et diplomatique, et qui est aujourd’hui ambassadeur du Niger auprès de l’Unesco, en avait senti l’urgence et initié un forum du film documentaire avec le soutien du Centre culturel franco-nigérien. Il se trouvait cependant isolé et hésitait à poursuivre l’expérience jusqu’à ce que de brillants documentaristes n’émergent grâce au réseau Africadoc, dont les films tournent dans les festivals internationaux. Malam Saguirou et surtout Sani Magori ont non seulement apporté la qualité de leurs films mais aussi leur énergie, ce dernier ayant même les locaux de sa maison de production, Maggia images, dans les murs du Centre culturel franco-nigérien en même temps qu’un bureau de soutien au renouveau du cinéma nigérien. Voilà qu’Inoussa Ousseini pouvait profiter de cette synergie et heureusement car son état de santé ne lui a pas permis cette année de participer activement au Forum. Le Forum est ainsi devenu le rendez-vous de tous ceux qui rêvent de faire rêver et penser. Des masters de réalisation de cinéma documentaire hébergés par l’IFTIC (qui forme les réalisateurs et techniciens de télévision) à la perspective d’une section cinéma à l’Université de Niamey, ce désir de cinéma est palpable. La présence du réalisateur ivoirien Idrissa Diabaté permit de soutenir les étudiants du master par un atelier d’échange d’expérience tandis que les journalistes culturels se regroupaient dans un atelier sur la critique. Le Forum vibrait des débats sur les films et assurait ainsi son rôle moteur.
Au Théâtre en Plein air du CCFN Jean Rouch, une projection avait lieu chaque soir devant une assistance d’une centaine de personnes en moyenne. Auparavant, en début de soirée, des documentaires d’école étaient présentés qui rassemblaient une assistance diffuse. Des projections très suivies eurent également lieu à dans l’amphithéâtre de la Faculté des Lettres de l’Université Abdou Moumouni, où une conférence a été donnée sur la lecture des films d’Afrique. Le Cinéma numérique ambulant a également habillé d’un grand écran la Place Toumo, la place de la Fête du 18 décembre, où adultes et enfants ont vivement apprécié ces moments de convivialité en pleine rue.
Un bon festival de cinéma est un des éléments essentiels pour qu’une cinématographie nationale émerge. Ce n’est pas le seul : il faut aussi une bonne école de cinéma et une solide activité critique qui se groupe et se manifeste autour d’une revue. Si la question reste posée pour l’IFTIC de savoir si elle a les moyens de former de vrais réalisateurs de cinéma, l’enjeu de l’atelier sur la critique était d’amorcer les perspectives d’un travail critique et de renforcer le regroupement autour de l’association de critiques existante. Une perspective intéressante de rapprochement est offerte par l’organisation de l’information culturelle : sont en projet une lettre d’information culturelle et un site nigercultures.net profitant des outils et de la synergie de la base de données internationale Sudplanète. Mais il s’agissait aussi d’échanger sur les films et de muscler l’écriture critique pour donner aux films une meilleure visibilité médiatique tout en éclairant leur démarche.
Des documentaires nigériens présentés au Forum souffraient en effet d’un manque d’aboutissement bien regrettable au vu de la qualité de leur sujet, qui leur empêche d’envisager de circuler sur le marché international. Le forum présentait ainsi deux films de Moumouni Mahamane Bakabé (qui présentait aussi sa série télévisée Gari Yayi Zafi), qui s’affirme avec sa société Agence intermédia comme un acteur important de la scène nigérienne. Courageux dans un pays où il est bien mal vu de s’attaquer à la question de l’exploitation de l’uranium, L’Uranium et nous commence sur une touche personnelle bienvenue mais bien vite abandonnée au profit d’un mélange des genres qui passera du reportage distancié au documentaire scientifique, tout en maintenant la volonté de donner la parole aux personnes concernées. Si le film manque ainsi de cohérence dans son rapport au spectateur, il n’en soulève pas moins de bien pertinentes questions sur les conséquences sur la santé publique et l’environnement des mines d’uranium (qui ne sont pas seulement celle d’Areva à Arlit mais aussi d’intérêts chinois et autres) et sur le gain réel du Niger dans cette exploitation. Une table-ronde réunissant de virulents acteurs de la société civile (1) montrait combien ces questions sont prises en charge tant au niveau national qu’international – une dimension que le film ne développe que peu, si bien qu’il apparaît comme plutôt désabusé alors qu’il devrait se donner pour but de mobiliser le spectateur en documentant aussi les énergies et les luttes. Éveiller les consciences ne suffit pas : si le cinéma n’a pas pour rôle de donner les solutions, un de ses objectifs essentiels est d’ouvrir les possibles pour que le spectateur puisse sortir du découragement et prendre en main sa vie, sa société. Il s’agit là d’inverser ce qui est souvent perçu comme une malédiction historique qui collerait à la peau, celle de l’éternel dominé qui ne peut envisager comment changer les choses.
Il a alors du mal à sortir du reportage d’investigation : là encore, le cinéma n’a pas pour fonction de remplacer la presse ou les livres, le pouvoir de l’image étant tel mais sa véracité si sujette à caution que toute démonstration est vite qualifiée de mensongère, sans compter qu’elle devient vite ennuyeuse. L’implication du réalisateur et les métaphores en disent bien plus long que de grands discours, tant il est important de percevoir pour comprendre et avoir envie de chercher davantage d’informations.
L’utilisation d’une musique dramatique, les effets spéciaux comme les superpositions, les ralentis, les effets d’écho, etc. servent davantage la déréalisation qu’ils ne soutiennent l’écart que tout film doit marquer entre le spectateur et le sujet pour permettre la réflexion. On retrouve là l’influence des systèmes télévisuels et du clip qui n’apporte rien au cinéma si ce n’est l’impression de faire jeune ou branché, sans rapport avec l’originalité du traitement d’un sujet.
L’autre film de Bakabé, Argent-argile aurait lui aussi pu être formidable si son traitement avait été plus abouti. Le sujet est magnifique : une femme suisse, Monika Boubon, s’est installée dans un village de potières et y a développé une nouvelle approche de la poterie qui allie le tour et l’utilisation du fil d’argent, autre artisanat local. C’est bien sûr la fécondité de cette relation interculturelle le sujet du film mais l’approche est trop superficielle pour en rendre compte : les potières du village n’y ont jamais la parole, et Monika Boubon n’est pas non plus conviée à approfondir les thèmes qu’elle entrouvre comme sa fascination pour la gestion du provisoire de la part des femmes qu’elle côtoie. Le film vire dès lors vers le reportage patrimonial lorsqu’il s’agit de documenter le travail de l’argile, une pesante voix-off achevant d’enfermer ces passages dans le film d’ONG.
Nous n’apprendrons ainsi pas grand-chose de la force humaine de Monika, des échanges établis avec les potières, ni même de l’impact économique de sa présence et des synergies qui ont pu en résulter mais que le film ne nous indique pas
Dommage !
À l’occasion d’une conférence sur la critique à l’IFTIC, nous avons eu l’occasion d’analyser Anagad, le port du turban, un film de Mohamed Abdoulatif : heureuse surprise devant la beauté simple de ce film de mémoire. Parfaitement homogène dans son propos et son traitement, le film met clairement la parole d’un sage en exergue, filmé de face au milieu de l’écran, qui va nous introduire aux signes du turban ainsi qu’à l’initiation de son port par laquelle les jeunes Touaregs deviennent des hommes. Une musique traditionnelle accompagne la préparation des jeunes hommes au rituel et leur progression vers l’auvent des anciens, mais lorsqu’il s’agit de documenter la façon dont le turban est enroulé et noué, un heureux silence est observé qui permet la concentration sur le geste cérémoniel et le respect de sa complexité. Les chants et danses de la fête au village pourront ensuite reprendre leurs droits, après que les vieux aient expliqué aux jeunes la signification de tous les plis du turban.
La simplicité d’un dispositif qui n’hésite pas à mettre en scène pour soutenir le sujet, le respect des personnes filmées en dignité, la beauté du cadre, la diversité des plans et la cohérence du montage mettent en valeur aussi bien les êtres que la culture : ce film de 13 minutes sert admirablement la mémoire et donne envie de mieux connaître ce monde inconnu qui conserve son altérité tout en nous semblant plus familier. Produit dans le cadre du master 2 de réalisation documentaire, il a été sélectionné aux rencontres Henri Langlois de Poitiers, festival international des écoles de cinéma, le 2 décembre 2012.
Ainsi donc, c’est bien l’approfondissement d’un sujet qui fait la qualité d’un film, le temps passé à son écriture pour en envisager les enjeux et les choix esthétiques. La formation est pour cela incontournable et c’est tout l’enjeu actuel au Niger : consolider le master de réalisation documentaire et faire de l’IFTIC une véritable école de cinéma, développer un département cinéma à l’université, consolider l’accompagnement critique
En s’affirmant espace de débats et de formations, le Forum confirme son rôle moteur pour le renouveau du cinéma nigérien.
1. Moustapha Kadi, président du Collectif de défense du droit à l’Énergie au Niger (CODDAE) et Mme Solli Ramatou du Groupe de Réflexion sur les Industries Extractives au Niger (GREN)///Article N° : 11223