Nigeria : la voie de la qualité

Entretien d'Olivier Barlet avec Victor Okhai

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Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter et nous parler de vos différentes activités ?
Je m’appelle Victor Okhai. Je suis réalisateur producteur nigérian. Je suis aussi à la tête d’une école de cinéma à Lagos, l’International Film and Broadcast Academy. Je n’aime pas le terme « spécialiste de Nollywood », mais je suis un de ses pionniers. Je suis aussi un des fondateurs de la Guilde des réalisateurs nigérians. Je suis membre depuis le début, et on m’invite souvent à parler de Nollywood, d’un point de vue universitaire. Les gens veulent connaître les faits, les chiffres et veulent une vraie analyse de l’industrie. On m’invite partout pour en parler. J’ai aussi fait partie de plusieurs jurys internationaux et j’étais président du jury numérique international du Kara Film Festival, il y a deux ans. Je suis consultant en cinéma aussi auprès de nombreuses organisations, au Nigeria et à l’étranger.
Vous travaillez dans la formation, la réalisation, et la production, mais, à travers le festival de court-métrage que vous êtes actuellement en train de mettre en place, vous présentez aussi de nouveaux films et de nouvelles perspectives.
Oui, nous avons créé un nouveau festival de court-métrage à Lagos, Nigeria, qui s’appelle In Short (En Bref). Le court-métrage parce que les vrais talents, non seulement à Nollywood, mais à travers tout le continent africain, sont les jeunes. Beaucoup sont des diplômés des écoles de cinéma, qui cherchent une ouverture mais n’ont pas de financements. Nombreux parmi eux expérimentent de nouvelles choses sur l’Internet, sur You Tube, mais ils n’ont pas de vitrine. Nous voulons éviter le gaspillage de ces talents et croyons que si nous voulons puiser dans les vrais futurs talents de l’Afrique, nous devons les cueillir jeune en créant une plateforme. In Short se veut une telle plateforme permettant de dévoiler de nouveaux talents en Afrique, localement et mondialement. In Short est unique aussi car nous songeons à inclure également des moyens-métrages. Il y a tant de super films tournés pour la télévision, mais personne ne veut les inviter dans les compétitions de long-métrage, et ils sont trop longs pour les sélections court-métrage. De nombreux films de fin d’études tombent dans cette catégorie. Imaginez la frustration des réalisateurs. Ils ont besoin d’une vitrine. Ils ont besoin d’une plateforme pour montrer leur travail. Nous espérons donc que notre festival deviendra un rendez-vous important pour de tels cinéastes à travers le monde.
Notre principal partenaire est l’Institut Goethe. Ils ont des instituts dans plus d’une centaine de pays dans le monde et représentent donc un formidable réseau. Ils sont sur le terrain, ils sont connus, et ils ont des contacts avec des réalisateurs locaux, les jeunes talents. Donc ils peuvent être aux aguets pour nous, et dénicher les meilleurs films à travers le monde, que ce soit dans le monde arabe, aux Amériques, dans le monde hispanique, l’Afrique, l’Asie ou les Caraïbes. Nous accordons une grande importance à ce partenariat ; cela représente bien plus qu’un simple financement. Ils comprennent ce que nous cherchons à faire et motivations.
Comment décririez-vous la situation actuelle du cinéma nigérian ? Nollywood est internationalement connu. Mais la production a baissé d’environ deux mille longs-métrages de fiction par an à près de trois cents, et les chiffres de vente sont plus bas que prévus. L’industrie traverse-t-elle une crise ?
Elle est dans une phase de transition. Comme tout produit. Les gestionnaires de produit, de marques, de marketing vous parleront du cycle de vie d’un produit. Le cycle débute, atteint son sommet, puis commence à décroître. Il faut savoir identifier le moment où il a atteint son sommet et commence à décroître ; c’est le moment de réinventer le produit. A ce moment-là, vous verrez apparaître de nouvelles formes améliorées du produit, avec un nouveau packaging, une nouvelle image de marque, destinés à attirer à nouveau le consommateur. Nollywood est sorti de la première phase. Il est maintenant dans une phase de transition. Il ne mourra pas, je peux vous en assurer, mais il doit se réinventer. Et il le fait. Des films sont encore produits, mais la nouveauté de Nollywood est terminée. Le consommateur est plus averti. Les producteurs doivent réfléchir à deux fois à leurs stratégies de marketing, à cause du piratage. Ils ont aussi découvert quelque chose que l’on dénomme la pyramide de Maslow, ou la pyramide de besoins en psychologie : au niveau de base est la subsistance, la survie ; on veut survivre, manger. Nollywood était au stade de la subsistance. Ce stade est désormais révolu. Une fois les premiers besoins satisfaits, vient l’étape suivante : on veut porter de beaux vêtements. Après la nourriture et les vêtements, on veut du respect. Nous voulons désormais être respectés. Nous avons fait le tour des festivals et nous sommes revenus bredouilles. Nous voulons être respectés, et pour cela, nous devons améliorer la qualité. Donc on commence à réfléchir autrement. On ne fait plus n’importe quoi. Le consommateur est plus averti désormais, donc on commence à prendre le temps à chercher davantage de financements afin de faire des films de meilleure qualité. Nollywood est actuellement arrivé à ce stade.
En parlant de marchés, si soixante films sortent chaque semaine, cela crée une sacrée concurrence. Si vous améliorez la qualité, le coût des films augmente, et il devient impossible de récupérer les coûts si on continue à sortir soixante films par semaine.
Les films de meilleure qualité ne sortent plus en premier lieu sur ce marché. Des salles de cinéma, qui avaient été reprises par les églises dans le passé, sont en train de ressusciter. On construit de nouveau multiplexes, et ils exigent un niveau qui est, sinon aussi bon que les films américains qu’ils programment, du moins très proche. C’est là que tout le monde veut être désormais. On peut faire de l’argent là, plutôt que sur le marché habituel. Il y aura toujours un marché pour ceux qui veulent faire partie des soixante films, mais il y a aussi ceux qui diront : « non, je dépenserai de l’argent, mais je veux faire de l’argent, et ça je peux le faire dans les salles de cinéma. » C’est ce qui se passe à présent.
Je suis allé au multiplexe Silverbird. Est-ce que ces multiplexes sont vraiment prêts à accueillir les films nigérians ?
Absolument.
Ils passent beaucoup de films américains.
Ils sont prêts à accueillir les films nigérians. Les films bien faits passent chez eux maintenant et ils rapportent des sommes très impressionnantes. Il y avait un film : Ije ; le seul film qui ait battu son record dans les salles Silverbird était Avatar. Il a rapporté tellement d’argent que c’est en deuxième place des films qui ont le plus rapportés dans le cinéma nigérian. Faire le tour des festivals n’intéresse pas le producteur. Si le film était venu ici au Fespaco, il aurait certainement gagné. C’est un film en 35 mm.
Qui est le réalisateur ?
Elle s’appelle Chineze Anyaene.
Pensez-vous que le public s’intéresse à de nouvelles manières de faire des films ?
Le public s’intéresse à des films de meilleure qualité. Ils sont plus conscients des valeurs de production et ils sont plus exigeants. Désormais on peut entendre des Nigérians dire : « Je n’aime pas regarder les films nollywoodiens parce qu’on connaît toujours la fin », ou « Une fois que vous en avez vu un, vous les avez tous vus « . Ils sont devenus plus critiques ; ils ne sont pas idiots. Ils savent ce qu’est un bon film et ils commencent à réclamer la même qualité. Et les producteurs écoutent, bien entendu. Ils sont obligés s’ils veulent faire de l’argent.
L’amélioration de la qualité devrait apporter plus de diversité dans les pratiques et les styles cinématographiques.
C’est vrai. Les producteurs se rendent compte désormais qu’ils ont besoin de bons scénarios. Avant, ils vendaient des visages. Avant, il suffisait de mettre le visage d’une star sur l’affiche ou en couverture d’un CD ou d’un DVD pour que les gens l’achètent. Ce n’est plus le cas. Maintenant le public veut savoir si c’est une bonne histoire, avec de bons acteurs et de bons techniciens.
Quel type de film voulez-vous montrer dans votre festival. De quelle provenance ? Sur quels critères les sélectionnerez-vous ?
C’est un festival international. Nous voulons que cela soit international, et non pas uniquement un festival de court-métrages africains, car nous voulons être en compétition avec les meilleurs. Si les meilleures productions viennent au Nigeria, les Nigérians voudront être au même niveau. Ils verront des bons films. Si l’on met le médiocre avec le médiocre c’est, comme on dit chez moi, « au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ». Mais qui veut rester roi dans le royaume des aveugles ? Le cinéma est un langage universel. Nous n’allons pas baisser le niveau juste parce vous êtes Nigérian. Nous voulons que vous puissiez venir et être en concurrence sur la même plateforme internationale, en vous montrant les meilleurs films du monde. Je suis allé dans plusieurs festivals, où j’ai déniché des films turcs, allemands, suédois, espagnols, iraniens, camerounais… Nous n’allons pas baisser le niveau, ni limiter la sélection à la seule Afrique.
Adoptez-vous la même approche vis-à-vis de la formation que vous proposez dans votre école ? Voulez-vous atteindre un niveau international et donner à vos étudiants une ouverture au cinéma international ?
C’est une bonne question. Nous sommes une institution restreinte et volontairement petite. Nous avons choisi de créer une marque qui, partout, est associée la qualité. Nous aurions pu ouvrir une grande l’école, accueillir des milliers d’élèves, mais nous savons que si vous avez des milliers d’élèves et très peu de moyens, c’est comme un rail de cocaïne : on le prend, on plane, et puis les effets s’estompent, et on cherche tout de suite à en reprendre. Chez nous, avec notre formation, on vous donne la totalité tout de suite. Je dis toujours à mes étudiants, nous ne sommes pas une machine de fabrication de masse où l’on produit des lots ; une fois un lot terminé, c’est « Au suivant ! Au suivant ! Au suivant ! ». Non ! Il y a une blague chez nous qui dit qu’on ne termine jamais ses études, car nous faisons revenir gratuitement les étudiants quand nous en avons les moyens, car c’est eux qui représentent notre marque. Alors voilà la stratégie de l’école : nous cherchons à produire le meilleur et nous cherchons à être en compétition au niveau international. Un des nos étudiants était ici au Fespaco. Il a été sponsorisé par l’Institut Goethe, parce qu’il avait gagné un prix à un festival de court-métrage. Visiter un festival international faisait partie du prix. Nous étions présents au Schesüchte, le plus grand festival de films d’étudiants en Europe, à Potsdam, près de Berlin. Un de nos étudiants a présenté son travail d’école et a gagné un prix. C’est ce que nous voulons, aller se frotter aux autres, au niveau international, et gagner. Nous ne voulons pas être uniquement des champions locaux. Nous ne voulons pas nous limiter à aux compétitions locales. Nous voulons être parmi les meilleurs. Il s’avère que nous sommes situés dans un pays du Tiers Monde, mais nous ne comptons pas produire des étudiants de troisième zone. Nous sommes ouverts. L’école est internationale, avec des financements provenant de partout. En ce moment, nous essayons d’avoir des financements de l’ACP/Union européenne. J’espère les obtenir pour que nous puissions vraiment réaliser notre vision, notre rêve, comme nous le voudrions, car il faut dire que nous sommes limités par les financements. Nous avons besoin de livres si les gens peuvent en donner, de livres en anglais, du matériel pour nos élèves, et des gens qui peuvent venir partager leurs connaissances.
Je voulais justement vous demander comment sont financées les formations et l’école ? Une école peut-elle exister au Nigeria sans financements étrangers, payée par juste les frais scolaires ?
Pour être honnête, si vous voulez proposer la qualité, il faut des financements supplémentaires. Les étudiants n’ont pas les moyens de payer des frais suffisamment élevés. On ne pourrait pas dire de manière honnête qu’on va dépendre uniquement des frais. Cela fait des années que je soutiens cette école. C’est ma passion. Pour moi, c’est comme un sort, un virus dans mes veines, c’est plus fort que moi. Je gagne de l’argent ailleurs et je le jette dans cette école ! C’est pour ça que je ne suis pas riche ! Mais je ne peux pas abandonner mon rêve. C’est quelque chose qui, je ne sais pas comment le dire… ce n’est assurément pas une entreprise, sinon j’aurais abandonné il y a longtemps, ou j’aurais fait autrement pour faire venir des milliers d’étudiants à qui j’aurais donné n’importe quoi… Non, ce n’est pas le but. Nous voulons produire le meilleur, c’est cela mon rêve, ma vision. Nos étudiants peuvent aller sur la scène mondiale et être à la hauteur. Cela n’a pas été facile, je ne vais pas dire le contraire. J’ai été personnellement affecté. Je suis obligé de courir derrière les financements. J’ai besoin de toute l’aide que je peux trouver. On se sent facilement gêné quand on demande de l’aide. Si j’avais assez d’argent, je créerais une fondation et j’y investirais tout mon argent. Mais je ne peux pas faire suffisamment d’affaires rentables pour créer une fondation car tout l’argent que je gagne va déjà dans l’école ! Donc je suis au point où je dis oui, j’ai besoin d’aide, sous n’importe quelle forme, car il ne faut pas abandonner ce rêve. Il ne s’agit pas juste de faire venir des étudiants et de leur donner un diplôme, qu’ils soient bons ou pas. Je peux vous assurer que chaque élève de notre école qui montre son diplôme est à la hauteur, n’importe où. Et ce qui est bien, c’est que notre marque est bien respectée au Nigeria. Le Nigerian Film Corporation nous envoie ses employés, bien qu’il existe un institut de film national au Nigeria. Récemment, le directeur du BBC Nigeria a participé à une de nos formations, avec l’aval de ses supérieurs à Londres et à Johannesburg. C’était une formation courte, de quinze jours, en prise de vue et montage. Elle, c’est une journaliste qui travaillait au départ juste pour la radio et le net. Mais maintenant elle peut filmer et monter ses propres reportages et ses patrons sont très impressionnés. Donc cela vous montre la qualité de notre marque. Et désormais il faut la pérenniser. C’est pourquoi nous devons nous agrandir en termes d’équipements et d’infrastructures.
Vous avez combien d’élèves ?
Nous proposons trois sortes de formation qui peuvent accueillir douze étudiants maximum à la fois. Une dure six mois. C’est intensif et rassemble les principaux domaines de la réalisation, le montage, la production, la mise en scène, l’écriture de scénario, la direction des acteurs et la prise de vue. Nous proposons aussi régulièrement des formations courtes d’une ou de deux semaines pour des professionnels qui veulent améliorer l’art du cinéma. Et finalement, nous proposons des formations in situ aux chaînes de télévision. Ils nous invitent et nous nous rendons sur place pour former leurs employés.
Vos étudiants sont-ils destinés à faire carrière à Nollywood, ou se lanceront-il aussi dans d’autres types de cinéma ?
Laissez-moi vous dire ceci : je ne suis pas un de ceux qui cherche à se dissocier du nom de Nollywood. Nollywood est devenu une marque, un nom générique pour tout cinéma produit au Nigeria. Quelle que soit sa qualité, si ça vient du Nigeria, on l’appellera Nollywood. Et Nollywood, le nom de marque, est un avantage car il n’y a pas de nom pour l’industrie cinématographique anglais, bien qu’ils possèdent les studios Pinewood. Ils n’ont pas créé une marque, donc les gens disent, « un film anglais a gagné » ; ce n’est pas aussi évocateur que Nollywood, ou Bollywood, ou Hollywood, les trois appellations de cinéma les plus fortes dans le monde. Nous ferons de bons films, qui seront en compétition de par le monde, et les gens commenceront à respecter la marque. Nous comptons procéder de l’intérieur, réinventer la marque, et la hisser au rang suivant de la respectabilité. C’est ce qui s’est passé à Bollywood. Aujourd’hui Bollywood ne veut plus uniquement dire production de masse ; il a gagné en respect. De grands films sortent de là. Quel que soit le niveau, si ça vient de l’Inde, c’est du Bollywood. Ils ont beau gagner des Oscars, en anglais ou en langues indiennes, c’est toujours du Bollywood. Nous sommes fiers de la marque Nollywood, j’en fais partie depuis le début, j’en fais toujours partie, et je vais continuer. Mais nous cherchons à élever la marque au niveau supérieur.
Une dernière question pour bien comprendre la situation actuelle : on produit moins de films au Nigeria aujourd’hui…
Le nombre de films produits a baissé. Pour deux raisons : les gens ne veulent plus parier sur un marché dont ils ne sont pas sûrs, à cause du piratage. Si vous investissez de l’argent, vous voulez récupérer votre investissement…
…Mais le piratage n’est pas nouveau.
C’est vrai, mais c’est encore pire au Nigeria désormais. Donc les gens veulent étudier la situation avant de s’y jeter. Et beaucoup se tournent maintenant vers les salles de cinéma. C’est ce qui se passe. Mais la production est encore très importante. Au nord du Nigeria, de plus en plus de films sont produits quotidiennement. Chez les Yoruba dans le sud-ouest, ils produisent encore des films à la pelle. C’est dans la production générale, les films en anglais – qui sont principalement les plus vus à l’étranger – que la production a baissé. Mais cela ne veut pas dire que les gens de l’industrie ne travaillent pas. Ils travaillent, énormément.

Propos recueillis au Fespaco 2011, traduits de l’anglais par Melissa Thackway///Article N° : 10278

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