Nouveautés du livre

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Une difficile fin de moi, d’Ahmed Zitouni, Le Cherche Midi Éditeur, 148 p., 1998, 85 FF.
Haletant le roman de Zitouni. Haletant comme une course insoutenable vers la mort. Le héros est un médecin qui a choisi de faire une grève de la faim par solidarité avec tous les affamés, volontaires ou contraints, de la terre. Dans un soliloque d’une extraordinaire densité, il décrit toutes les étapes de son action, l’évolution de son corps, les bruits d’une machine chaque jour un peu plus affaiblie, un peu plus déréglée et la progression inexorable vers le gouffre salvateur. Chose extraordinaire, plus la plongée dans le puits de la faim est longue, plus la volonté d’aller au bout du gréviste est inébranlable. Partir, oui, mais avec le panache si possible. Il faut être capable de : « Se concentrer. Se rêver un et indivisible. Écouter griller les veilleuses de l’âme. Mettre de l’ordre dans un cerveau assiégé par la faim. Penser en bornes et en enclos, avec des dates et des liens entre les solitudes résolues à l’assaut de ma conscience. Si je veux bien finir, en beauté et en cohérence, il me faut impérativement me barricader dans le cerveau. Ma citadelle de retraite. » Pour le gréviste, c’est l’occasion de faire le bilan d’une vie, de son ignorance organisée des malheurs crasses qui ceinturaient son environnement de petit-bourgeois protégé, d’avoir enfin une pensée pour les hommes qui souffrent. Pas une pensée de médecin ganté, mais une pensée d’homme. Il voulait accomplir une dernière mission humanitaire « une mission sans retour. C’est ma dernière ; et c’est mon humanité. Ma seule humanité que je tente de raccommoder« . Il regrette de ne pas avoir su, des années durant, « déceler chez les autres de l’humanité, lire du mal-être, réveiller de la mal-vie. Je n’étais pas des vôtres. Pas tout à fait. Pas encore… » L’expérience de la faim emmène le médecin dans les profondeurs des souvenirs, jusqu’à l’enfance. Il se remémore alors les grandes et héroïques grèves de la faim de ceux qui étaient appelés « terroristes » par la horde coloniale en Algérie. une époque « où les crève-la-faim avaient brandi l’arme de la faim… » Une écriture à la Léo Ferré : agressive, dérangeante, résolue. Une rafale poétique qui vous prend à la gorge et vous contraint de la suivre jusqu’à essoufflement. Un vrai texte de combat. F.C.
Cérémonie, de Yasmine Chami-Kettani, Ed. Actes Sud, 1999, 112 p., 89 FF.
Ce roman, écrit d’une plume racée, vive, chatoyante, est le roman de la douleur. La douleur d’une belle femme, Khadija, architecte de son état, mère de trois enfants, condamnée à revenir vivre dans la maison paternelle après avoir divorcé d’avec Farid, un homme brutal et sans coeur qu’elle avait pourtant choisi après avoir rejeté les mariages « prometteurs » mais arrangés par ses parents. L’histoire de sa vie, ses souvenirs d’enfance heureuse, ses échecs récents, remontent à la surface la veille même de la cérémonie du mariage de son jeune frère Saïd. Elle se souvient et se confie à sa cousine Malika avec laquelle elle avait partagé tant de choses et dont elle avait été autrefois si proche. Malika dont la vie familiale semble plus brillante, plus réussie. Khadidja est bouleversée par sa propre impuissance face au destin : « Je construis des maisons où les gens vivent, mais ma maison s’écroule et je ne peux rien faire pour la retenir, debout… » Dans cet instant solennel qu’est la cérémonie, où la tradition retrouve toute sa place, la réflexion tourne autour de la réception que chacune des femmes a fait aux valeurs de l’éducation ancestrale. Malika pense que dans la vie une femme doit savoir supporter l’insupportable et freiner ses désirs les plus profonds : « C’est quoi cette invention, choisir son mari, qu’est-ce que tu choisis si tu ne sais rien de son passé, de ses ancêtres, de ses alliées, tu choisis d’aller là où te mène ton sexe en folie, et rien d’autre… » Malika, Khadija, Aïcha, Lalla Najiia, Lalla Zohra… Histoires de femmes et de souffrances, histoires où les hommes sont tapis tout au fond derrière une toile… Pour le meilleur, mais aussi pour le pire. F.C.
Albert Camus, vérité et légendes, Ed. du Chêne, 1999, 185 p., 178 FF.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur Albert-Camus l’Algérien, l’un des plus illustres écrivains de ce siècle. Alain Vircondelet, ne vient pas ajouter un livre de plus seulement. Romancier et essayiste de talent, originaire d’Algérie lui aussi, il nous offre une biographie émouvante, tendre mais aussi riche de toutes les vérités sur un homme à la dualité exceptionnelle. Camus, affirme l’auteur, étonnait parce qu’il était « à la fois fonceur et viril, réservé et hautain, tendre et sévère, exigeant et pétri de compassion pour ses compatriotes, poulbot pied-noir et aristocrate de la pensée. » Il nous fait redécouvrir pas à pas, la vie tumultueuse, pleine de contradictions assumées d’un Albert Camus avant tout homme qui veut « dépenser toutes ses forces » et « employer toute sa jeunesse« , avant d’être écrivain et penseur. Un homme qui brûle en lui quelque chose d’ardent et de violent et qui voue à cette terre ensoleillée d’Algérie qui l’a vu naître et grandir une passion incommensurable. Ce pays dont « la splendeur de la lumière (…) et la nudité innocente des paysages apprivoisent la mort et l’absurde… » Albert Camus qui connaissait et avait dénoncé dans ses écrits journalistiques et littéraires toutes les injustices de la colonisation et les misères qu’elle faisait vivre aux populations arabes mais qui ne s’est pratiquement jamais résolu à « la solution radicale de l’indépendance« . Une attitude que les Algériens ont longtemps reprochée au Prix Nobel de littérature et qui en feront presque pour toujours un « Étranger« . Son fantasme d’une Algérie fraternelle, métissée, immémoriale est tenace chez lui. En épaisse toile de fond, Vircondelet, déroule la vie ombre et lumières de Camus, ses succès littéraires (Le Premier Homme, La Peste, l’Étranger), ses passions amoureuses (de Simone à Casarès en passant par Francine), mais aussi la maladie sournoise et violente qui guette le moindre relâchement et la peur de l’exil qui pointe le bout du nez, inexorablement jusqu’à la mort dans un accident de la route le 5 janvier 1961, près de Pont-sur-Yonne…Un document passionnant, d’une écriture dentelée et tendre. F.C.
Le Tassili des Ajjer, de Malika Hachid, Edif 2000-Paris Méditerranée, 310 p, 555 FF.
Cet ouvrage sur une des plus belles régions du monde, classée par l’UNESCO patrimoine mondial, est écrit par un auteur qui sait de quoi il retourne puisque Malika Hachida, spécialiste de la préhistoire, a été pendant une longue période directrice du Parc national du Tassili. Le plateau du Tassili recèle des trésors de dessins, de gravures rupestres, de fresques à la fraîcheur étonnante ou de « rondes-bosses » (fabuleuses sculptures sur pierre) malgré les milliers d’années qui nous séparent aujourd’hui de leur réalisation. Ces travaux millénaires témoignent selon l’auteur d’un fonds religieux paléo-africain incontestable et d’un peuplement important aux pratiques sociales et culturelles déjà sophistiquées. Outre l’intérêt scientifique de ce livre magnifiquement illustré (450 photos réalisées pour la plupart par l’auteur), Malika Hachid souhaiterait qu’on y décèle aussi deux messages importants qu’elle a développé lors d’une conférence de presse donnée en janvier à Alger à l’occasion de la sortie du livre. Un, c’est un « acte de résistance » : « Au delà du souci didactique, qui m’animait et qui consistait à réaliser un ouvrage sur cette région de l’Algérie, j’ai voulu prouver que j’existe, que je suis là, que je travaille, que je me bats…Donc qu’il faut compter avec nous… » Deux, c’est un acte politique : « La dimension culturelle de notre pays est volontairement ou involontairement occultée et notre histoire complètement tronquée. En ce moment, donc, plus que jamais, il est important pour nous de réhabiliter et de mettre en valeur notre histoire. » Mission accomplie, car « Le Tassili des Ajjer » est un véritable « coup de poing » qui déstabilisera sans doute tous ceux qui veulent obstinément limiter l’aire historique et culturelle de l’Algérie à l’aire et à l’ère arabes. F.C.
Yaba Terminus, d’Achille Ngoye, Ed. Le Serpent à Plumes, 180 p., 59 FF.
Deux polars avaient déjà marqué la signature d’Achille Ngoye (cf. Africultures n° 5 et 11) : un style piquant d’humour féroce, une langue mêlant joyeusement argot et africanismes. Dans son dernier ouvrage, Ngoye passe du roman à la nouvelle mais garde la même recette.
Pas vraiment dans le genre policier, Yaba Terminus rassemble une dizaine de nouvelles (très) noires, dont la première a donné son nom au recueil. C’est aussi le nom de l’hôtel pouilleux d’un quartier mal famé de Lagos où atterrissent les fuyards des deux Congo, candidats à l’immigration dans l’Eldorado belge ou français. Rares sont ceux qui parviennent à franchir les portes de l’avion. Midy, jeune Zaïroise en rade, en réussit l’exploit mais le voyage se transforme vite en un aller-retour. En attendant une nouvelle occasion, elle se terre au Terminus, sous les ailes de Mère Six. Mais on n’échappe pas aussi facilement aux maillons du Black President qui régit la vie les habitants du Yaba Terminus, faite de trafic et de prostitution. Encore moins quand on a le malheur de découvrir le corps d’un certain João Manteka dans l’hôtel.
La mort semble bien être la seule issue à cet engrenage – toutes les nouvelles du recueil sont des variations sur ce même thème. Que ce soit dans les bidonvilles africains ou dans les petits appartements des familles immigrées en banlieue parisienne, pas de fin heureuse pour les héros d’Achille Ngoye… qui font la fête quand même. T.T.
Le Fils-récompense, d’Anne de Bragance, Ed. Stock, 237 p., 110 FF.
Blaise Massamba Diouf, le héros du dernier roman d’Anne de Bragance, est plusieurs fois miraculé. D’abord parce qu’il est revenu de la grande boucherie européenne, où il a servi comme tirailleur, seulement éclopé alors que tant d’autres de ses compatriotes y avaient laissé leur vie. Ensuite, parce qu’à son retour, sa bien aimée, la magnifique Coumba Diallo, n’a pas détourné les yeux de son moignon et lui a tendu la main pour le meilleur et pour le pire. Des mois et des années de bonheur simple face à l’Océan immense et magique. Juste troublées par deux regrets. Que la France ne se soit pas montrée reconnaissante envers ceux qui l’on servi avec droiture alors qu’elle chavirait dangereusement et que sa « chérie noire » n’ait pas pu lui donner un enfant. Montré du doigt, critiqué pour son refus de prendre une seconde femme pour « doubler » Coumba comme le lui conseillaient famille, amis et voisins, Massamba ne céda pas. Il était hors de question de lâcher une femme avec laquelle il était « cousi-cousi l’un à l’autre comme le fil et le coton du basin-riche« . Massamba avait raison de croire en son étoile. Car un autre miracle va donner un nouveau sens à sa vie. Un soir, alors qu’il se trouvait sur la plage en train d’écrire à la France (mandaté par ses frères tirailleurs de Dakar) pour lui rappeler ses devoirs, il voit les grosses vagues repousser vers la terre une énorme calebasse. Et dans le récipient-berceau, un bébé blanc, « un tigou emmailloté de linges blancs« … Commence alors pour Coumba et Massamba, une aventure extraordinaire qui va les obliger à fuir la plage et l’océan pour rejoindre l’intérieur du pays, fuir les gendarmes qui cherchent à récupérer le « tigou »… Le petit Simon Demba grandira à Bakel entouré d’un berger muet, d’une grand-mère au « sourire bijouté » et de ses parents adoptifs traqués mais tellement heureux. Le petit « tigou » s’avère un enfant doté d’arguments exceptionnels qui lui permettent de communiquer avec les bêtes et d’écouter les paroles de tout ce qui portait « plumes, cornes, écailles… » Tigou était un signe des Dieux. Il était pour Massamba « la récompense » et la reconnaissance de la dette qu’avait la France envers les Tirailleurs comme lui. « Toi qui sais parler au ciel et en obtenir réponse, tu iras le voir (le Président de la France) quand tu sera grand, celui-là ou un autre, et tu plaideras la cause des anciens Tirailleurs… ». L’auteur a réussi avec cette belle parabole à rendre un hommage émouvant aux héros africains de la dernière guerre. F.C.

///Article N° : 2042

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Les images de l'article
Albert Camus © DR





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