Nouveautés du livre

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D’amour et d’exil, d’Eduardo Manet, éd. Grasset, 1999, 274 p., 129 FF.
Après nous avoir régalé en 1996 avec Rhapsodie cubaine, une magnifique saga se déroulant dans la communauté cubaine de Miami, Eduardo Manet revient avec talent et bonheur sur la question fondamentale de l’exil. Le ton est donné dès les premières pages lorsque Leonardo Esteban, le personnage central du roman, raconte comment Antton (l’amant de sa défunte mère), son basque de parrain, le met en garde en lui disant : « Ne laisse jamais personne te raconter des histoires sur l’exil… », car d’aucuns font tout pour en banaliser le douloureux contenu. L’exilé tient un peu de l’esclave noir enchaîné dans la cale du bateau. La seule différence est que lui « est enchaîné à sa nostalgie, à sa rage impuissante. » Dans un Cuba qui navigue entre clichés et réalités, Leonardo Esteban avait en principe quelques sérieux atouts pour accrocher le bonheur : un super job au ministère du Commerce extérieur qui lui donne l’occasion de faire de nombreux voyages à l’étranger, une vie pas si désagréable que çà à La Havane et, surtout, il avait Berta Maria, une amante du feu de Dieu. Métisse roulée comme un cigare de luxe, déesse à la fois de l’amour, du désir et de la passion, qui le réconciliait avec la joie voluptueuse à chacune de leurs rencontres semi-clandestines. A cinquante-trois ans, Leonardo aurait pu attendre tranquillement une retraite au soleil aux côtés de Berta Maria. Mais voilà que tout bascule lors d’un voyage au Pays basque français. Leonardo décide de ne plus rentrer à Cuba. Berta-Maria (qui fait partie aussi des services secrets cubains) le rejoint en Europe pour essayer de le faire revenir. Ils vont passer ensemble quinze jours où se mêlent à leur amour infini beaucoup de questions sur leur avenir commun mais aussi sur le sens de leur vie. Tout comme Antton, la raison de Leonardo a longtemps préféré la justice à la liberté, ce « choix ridicule » « d’hommes ridicules… » Un choix fait au prix d’un terrible silence. Leonardo avoue à son amante que de ce silence il ne veut plus : « Je ne m’exile pas, Bert, je choisis d’être un étranger sur la terre... Je veux pouvoir exprimer le malaise que je sens, le crier à tous vents, même si personne ne m’écoute. Cette possibilité n’a pas de prix... ». Le choix de l’exil sera plus fort que onze années d’amour. Entre Leonardo et l’émouvante métisse se dressent désormais la mer, le silence et une angoissante recherche de l’équilibre. Un texte de haute volée. F.C.
Hilda, de Marie N’Diaye, Ed. de Minuit. 1999, 92 p., 59 FF.
La jeune Marie N’Diaye continue à tracer sa route dans le sinueux chemin de la belle littérature. La Sorcière, paru en 1996, l’avait révélé au plus haut niveau et lui avait valu une excellente presse. La voilà qui récidive avec ce court texte, écrit sous la forme d’une pièce de théâtre à deux personnages, intitulé sobrement Hilda. Originalité : Hilda qui est le sujet central de l’histoire, n’intervient jamais directement dans les dialogues. Le débat se déroule entre Mme Lemarchand, l’employeur de Hilda et Frank Meyer, le mari de l’employée. Lemarchand, bourgeoise BCBG, veut absolument prendre à son service la superbe femme de Franck pour l’aider « à affronter la longueur des jours« . Mais la bourgeoise « branchée », votant à gauche, lisant et se nourrissant de toutes les écritures de gauche, a en fait besoin d’une personne à manipuler, à dominer. Elle veut imiter tout ce que fait Hilda et pousse Hilda à en faire autant en ce qui la concerne. L’objectif est de faire de l’employée sa chose, de la posséder, de fusionner avec elle. La distinguée Mme Lemarchand pousse le jeu jusqu’à l’absurde : devenir l’esclave de Hilda puisqu’elle avoue ne plus pouvoir se passer de sa présence comme une droguée ne peut plus se passer de sa dose. Par son silence-absence, Hilda est soumise, défaite. Mais dans ce combat d’apparence inégal, il n’y a en fait que des vaincues. Mme Lemarchand n’est pas mieux lotie puisqu’à défaut de réussir à être autre, elle ne réussit même pas à être l’autre. Dans cette création concise, où l’auteur confirme le côté incisif de son écriture, nombre de lecteurs pourraient voir une poursuite de l’offensive de Marie-N’Diaye contre Marie Darrieussecq qu’elle avait accusé il y a un an d’avoir plagié son roman La Sorcière pour écrire Naissance de fantômes. Ils n’auraient pas tout à fait tort… F.C.
Les sept jours de l’homme, d’Abdel Hakim Qassem, Ed. Sindbad-Actes Sud, 1999, 202 p., 108 FF.
A travers le regard tantôt émerveillé, conquis, curieux, interrogateur ou inquiet de Abdelaziz, enfant puis adolescent, on découvre des pans entiers de la vie campagnarde égyptienne, loin des bruits des cités surpeuplées. Le fils du vénérable Hagg Karim décrit la vie simple de gens simples. La préparation de la fête du mouled, l’année nouvelle, est un petit morceau d’anthologie. On y apprécie les bruissements de la vie, la chaleur des rencontres, les plaisirs sincères de la solidarité paysanne et même des effluves de sensualité. Le voyage des villageois à Tanta pour y apporter les offrandes traditionnelles au Sultan est un moment unique où les hommes et les femmes de toute la contrée ont l’occasion d’échanger leurs façons d’ensemencer, « de tracer leurs sillons, d’affronter les rigueurs du soleil, (…) leur manière de cuisiner, de traire, de protéger leurs petits du mauvais oeil… » Puis, c’est l’arrivée dans la Cité, « cet arbre enraciné dans la campagne« , dont les habitants doivent penser que les paysans « sont nés pour être malmenés. » Ville grouillante, dédaigneuse, condescendante. Pour Abdelaziz, c’est déjà un autre jour ! Un jour parmi les sept jours que compte la grande fête consacrée au Sultan. Jours de ripailles, de danses, de chants, d’offrandes qui ont fini par sortir le jeune Abdelaziz de ses gonds et lui faire rejeter en bloc ses pratiques rurales et à l’obliger quitter ce monde qui l’a bercé durant de longues années pour rejoindre les lumières d’Alexandrie. Il savait pourtant que la ville n’était pas que bonheur et qu’elle pouvait même être très féroce. Par moment, il s’est demandé si elle ne risquait pas de le transformer un jour, lui aussi, « en policier à la gueule de paysan, une matraque à la main et, à la bouche, des insultes avec l’accent du bourg… » Lorsqu’il se réveille, le monde de son enfance aura changé. C’est devant le lit de son père malade et gagné par la démence qu’Abdelaziz se rend compte qu’il a été injuste dans son jugement et qu’il n’a pas su voir que le monde de son père avait commencé à s’effriter bien plus tôt. F.C.

///Article N° : 2044

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