Open Doors 2014 : la diversité africaine primée

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Du 9 au 12 août 2014, le laboratoire Open Doors du Festival du Film de Locarno (Suisse) accueillait 12 projets de réalisateurs d’Afrique anglophone et lusophone. Une opportunité rêvée pour connaître les idées de film en cours hors du monde francophone.

Huit pays, quatre femmes, huit hommes, deux documentaires, dix fictions, douze narrations différentes. En 2014, sur environ 180 projets d’Afrique anglophone et lusophone reçus par le laboratoire Open Doors du Festival du Film de Locarno, le comité de sélection composé d’Ananda Scepka, Martina Malacrida (Suisse), Jean-Michel Frodon et Elisabeth Lequeret (France) en a reçu soixante. Soixante parmi lesquels douze projets ont été finalement retenu.

« Nous avons beaucoup ri avec les réalisateurs présents car ils nous disaient ‘’On passe notre temps à nous parler des films africains mais on ne sait pas ce que cela veut dire », témoignait le critique de cinéma français Jean-Michel Frodon. Les films du Mozambique n’ont rien à voir avec les films du Kenya et, même par pays, nous avions des projets incroyablement différents, allant du documentaire au film d’auteur assez radical. Beaucoup de films mélangeaient des situations politiques et sociales contemporaines avec un rapport au fantastique qui pouvait passer de la mythologie aux croyances locales selon des formes extrêmement variées, certaines de façon quasi documentaires et d’autres, plutôt du côté de la science-fiction. Cela offrait un éventail très ouvert qui, au nom de l’ensemble du comité, nous a heureusement surpris par la qualité et la variété des projets proposés« .

Six premiers long-métrages

Pour cause, sur les douze projets reçus, six étaient des premiers longs-métrages : The Mercy of the Jungle du Rwandais Joel Karekezi (Prix CFI du projet audiovisuel le plus prometteur du Durban FilmMart 2012 et sélectionné à La Fabrique Les Cinémas du Monde du Festival de Cannes 2013) ; Fig Tree de l’Ethiopienne Alamork Marsha ; I Am Not A Witch de la Zambienne Rungano Nyoni (projet écrit durant sa résidence d’écriture à la Cinéfondation du Festival de Cannes 2013) ; Territorial Pissings du Sud-africain Sibs Shongwe-LaMer (présenté au programme d’aide à la post-production Final Cut Venice de la Mostra de Venise 2013) ; Kula : A Memory in Three Acts du Mozambicain Inadelso Cossa (présenté au Durban FilmMart et lauréat d’une bourse IDFA Bertha Fund en 2014) et Unbalanced de la Ghanéenne Sam Kessie.

Face à eux, quelques aînés comme l’Angolais Zézé Gamboa (à qui l’on doit notamment Un héros et Le Grand Kilapy) avec son projet Alleluia, les Mozambicains Sol de Carvalho (Le jardin d’un autre homme, Impunités criminelles) avec son projet Heart and Fire et Licinio Azevedo (dont le dernier long-métrage, Virgem Margarida, fait une belle carrière en festivals) avec son projet The Train of Salt and Sugar.

Et quelques autres jeunes qui n’en sont pas à leur premier long mais qui se sont déjà fait remarquer comme les Sud-africains Jamil XT Qubeka (vainqueur de 5 SAFTA en Afrique du Sud pour Off Good Report) et Teboho Edkins (Gangster Project, Gangster Backstage…) ou l’Ougandaise Caroline Kamya (multi-primée avec son premier long-métrage Imani).

Devoir de Mémoire

S’il fallait dégager quelques thématiques de ces projets (hormis le traitement fantastique que nous décrivait précédemment Jean-Michel Frodon), la mémoire, la guerre et la jeunesse seraient de fait citées.

Mémoire, car les cinéastes sélectionnés par Open Doors ont envie de regarder en arrière pour mieux comprendre le passé de leur pays : ainsi Zézé Gamboa s’empare d’un fait divers arrivé en 2004 où un bateau de pêche cap-verdien, parti pour trois jours, a dérivé pendant deux mois avant d’arriver au Brésil, ses quatre passagers indemnes.

A l’image de La Pirogue de Moussa Touré ou Yolé de Moussa Sene Absa (Sénégal), Alleluia se passe à 80% en mer et se focalise sur « la fragilité de la vie humaine et l’expérience, avec toutes ses peurs, ses angoisses, ses croyances, ses religions, et notre incapacité absolue à maîtriser les évènements ou les situations« .

Idem pour Hot Comb de l’Ougandaise Caroline Kamya qui revient à travers l’amitié de deux adolescentes, sur l’indépendance de son pays : «  Je suis fascinée par cette période particulière de l’Histoire de l’Ouganda. Je pense que nous avons besoin de savoir où nous sommes allés pour comprendre où nous devons aller« .

Mémoire encore pour le Mozambicain Inadelso Cossa qui retrace à travers son documentaire Kula : A Memory in Three Acts, les interrogatoires musclés menés par la Police internationale de défense de l’État (PIDE) dans les années 1960, lorsque l’armée portugaise occupait le pays. « J’ai trouvé ce sujet lors du tournage de mon précédent film Xilinguine, the Promised Land. Et je n’ai pas pu m’en détourner, mais j’ai décidé de réaliser ce projet parce qu’il nous dira beaucoup sur notre histoire« .

Guerres civiles

Autre thématique largement abordée : la guerre civile. Qu’elle soit éthiopienne (Fig Tree d’Alamok Marsha), congolaise (The Mercy of the Junglede Joel Karekezi) ou mozambicaine (The Train of Salt and Sugar de Licinio de Azevedo), la guerre est au cœur de plusieurs projets, soulignant l’affect qu’un passé collectif douloureux entraîne inévitablement dans l’imaginaire des créateurs.

« Même s’il y avait des rumeurs que la guerre allait cesser, mes derniers jours en Ethiopie – je ne savais pas que c’étaient les derniers – se sont déroulés de manière ordinaire« , explique Alamork Marsha de Fig Tree qui retracera les hésitations d’une jeune fille à s’exiler en Israël alors que son petit ami ne peut s’échapper du pays.

« Le film retrace comment les humains survivent lorsqu’une guerre déchire leur pays, acceptant même des conditions de vie extrêmes« , défend de son côté Licinio Azevedo au sujet de The Train of Salt and Sugar qui retracera le trajet parcouru par un train entre Nampula et le Malawi en période de guerre.

« En tant que réalisateur rwandais, je souhaite utiliser ma vision et mon approche créative pour raconter le voyage de (ces) deux soldats, leur combat, leur faiblesse et leurs espoirs« , rapporte Joel Karekezi au sujet du road-movie autour de deux soldats rwandais perdus dans la forêt congolaise qu’il souhaite tourner en Afrique du Sud.

Davantage abordée par la fiction que par le documentaire, la guerre a fortement marqué ces trois réalisateurs. Ainsi Alamork Marsha, s’est exilée en Israël dans les années 1990, Licinio Azevedo a vu arriver à Lichinga (Mozambique), des trains irréguliers qui drainaient une foule de personnes, tandis que Joel Karekezi, enfant durant le génocide des Tutsi du Rwanda, a dû surmonter le meurtre de son père.

Autant d’expériences douloureuses qui justifient l’indignation d’Aurélien Bodinaux (Belgique), producteur majoritaire de The Mercy of The Jungle, face à l’intervention déplacée d’un producteur venu écouter leur pitch : « Vous, savez, pour comprendre cette guerre, vous devriez regarder un film… Hôtel Rwanda » !

Cette jeunesse-là

Outre la mémoire et les guerres civiles qui ont déchiré de nombreux pays d’Afrique, demeure une thématique ancrée dans la réalité du continent africain : celle de la jeunesse.

Passage à l’âge adulte d’adolescents du Lesotho dans Faraway Friends du Sud-africain Teboho Edkins ou d’Ouganda dans Hot Comb de Caroline Kamya, adolescents hésitants au sujet de l’exil (Fig Tree), jeunesse sud-africaine post-apartheid désoeuvrée (Territorial Pissings), amitié entre adolescentes en passe petite fille enfermée dans un camp de sorcières (I Am Not A Witch), la représentation de la jeunesse africaine par de jeunes cinéastes émergents varie entre l’enfance (I Am not a Witch) et l’âge adulte (Fareway Friends).

Utilisant la naïveté de l’âge face à la complexité de la vie, chacun de ces films place les personnages face à des prises de décision conséquentes. En choisissant sa destinée plutôt que de se laisser porter par la vie, chacun bascule vers davantage de maturité, se confrontant ainsi à la difficulté d’assumer ses choix face aux autres mais aussi face à soi-même.

Sci-Fi, femme et cinéma

Enfin, hors thématiques guerre, mémoire et jeunesse se trouvent trois projets. La science-fiction néo-futuriste de Jamil XT Qubeka (Afrique du Sud), First Man, qui retrace la disparition des hommes d’un groupe d’habitants dans le désert de Kalahari 50 000 ans avant notre ère.

Le long-métrage Heart and Fire de Sol de Carvalho (Mozambique), aborde quant à lui le dilemme d’un propriétaire d’une salle de cinéma hésitant à la vendre, faute d’héritiers, à des promoteurs mais revisitant le passé au travers de nombreux souvenirs.

Quant à Sam Kessie (Ghana), son projet Unbalanced confronte une mère de famille face à ses choix de femme et au fait qu’elle ait complètement mis de côté sa carrière artistique au profit de sa vie d’épouse et de mère.

« La qualité était vraiment au rendez-vous et les sélectionneurs avaient fait un bon travail« , commentait André de Margerie de la chaîne ARTE, à l’issue de la cérémonie de clôture d’Open Doors.

Ainsi, Rungano Nyoni et son projet I Am Not A Witch ont remporté le prix ARTE et une partie du prix Open Doors, Licinio Azevedo et The Train of Salt and Sugar a remporté le prix CNC et une partie du prix Open Doors, Teboho Edkins et Faraway Friends a remporté une dernière partie du prix Open Doors tandis que Sibs Shongwe-LaMer et son Territorial Pissings a reçu une mention spéciale du jury.

« C’est politique, maugréait l’un des réalisateurs non-primés. Quitte à couper le grand prix en trois (le prix initial était de 50000FCH divisé en deux tranches de 20000FCH et une tranche de 10000FCH, NDLR) ils auraient pu primer d’autres projets… En plus ils attribuent des aides au développement alors que Territorial Pissings, auto-produit, qui est maintenant en post-production, ne décroche aucun financement avec sa mention spéciale…« . Qu’à cela ne tienne. Puisque la force de proposition était au rendez-vous, parions que plusieurs de ces films verront bientôt le jour.

///Article N° : 12367

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Les images de l'article
Teboho Edkins et Luciano Barisone de Vision Sud-est © Claire Diao
Rungano Nyoni et André de Mougerie d'ARTE © Claire Diao
Le producteur Elias Ribeiro, Sibs Shongwe-LaMer et Tiziana Mona © Claire Diao





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