3ème édition du festival Quintessence du 7 au 12 janvier à Ouidah, Bénin : le festival dirigé par le cinéaste Jean Odoutan est un incroyable et attachant mélange à l’image de son infatigable instigateur.
« Je suis la solution » proclame Jean Odoutan durant la cérémonie de clôture : on pourrait prendre cela pour la preuve d’un ego surdimensionné, d’une vile suffisance. Sur le terrain, ce n’est plus de l’outrecuidance, c’est de l’action. Odoutan se donne à fond, avec une énergie militante qui mobilise. Une trentaine d’invités sont là, les pros du cinéma, qui se retrouvent à animer des ateliers tous les matins, jury et/ou intervenants dans des tables-rondes l’après-midi, puis tous ensemble à partager un repas et se disséminer dans les projections organisées en plein air dans tous les coins de Ouidah ou dans la belle salle du centre de formation qui accueille le centre du festival, avant de se retrouver pour danser la nuit.
A Ouidah, on ne dort pas. Ni les invités, ni surtout les organisateurs complètement débordés, ni même les habitants qui se rassemblent en foule tous les soirs jusque tard cinq jours durant devant les écrans disposés près du Fort français, au marché Zobeto ou devant le temple des pythons. Pas de siège, les enfants rigolards sont par terre en masse, les adultes debout derrière. Comme partout en Afrique, l’événement gratuit rassemble et la patience est de mise quand on attend que ce soit prêt bien après l’heure prévue. Radio Kpassé, la radio de Ouidah, a fait courir l’information : Quintessence amène le cinéma aux 25 000 habitants de ce village où l’internet, l’électricité ou le téléphone ne marchent que lorsqu’ils le veulent bien. Leur soif d’images est sans limite. Les impressionnants camions de Quintessence, qui servent au cinéma itinérant, ces ciné-goûters dans les écoles ou les orphelinats, ces ciné-dîners dans les villages (une étude serait à faire pour en connaître l’impact réel), sont suffisamment gros pour servir d’écrans plats sans se soucier du vent d’harmattan qui couvre tout Ouidah d’une fine poussière de désert et s’infiltre dans tout.
Ouidah, porte du non-retour, port de pleine mer en eaux profondes qui deviendra vite le centre négrier du golfe de Guinée : pour tirer profit de la traite, le roi d’Abomey y nomme un représentant, le yovogan, chargé de négocier avec les Européens, Anglais, Français et Portugais qui se livrent au commerce juteux du « bois d’ébène ». L’huile de palme remplacera les esclaves après l’abolition mais le souvenir persiste. Il n’y a pas de hasard : royalement hébergé par l’IRSP, institut de formation à la santé publique géré par l’OMS, Quintessence est au bord de la piste empruntée par les dizaines de milliers d’esclaves dirigés vers les chaloupes d’embarquement. Avant d’être marqués au fer rouge, on leur faisait faire trois fois le tour de « l’arbre de l’oubli » dans le village de Zoungbodji, à mi-chemin du parcours, histoire de bien signifier qu’ils laissaient là tout ce qu’ils sont et empêcher les âmes de se venger. Mais la mémoire hante les lieux.
Ouidah, berceau du vodou. Quintessence profite de la foule des grands jours se rassemblant pour la fête egungun où les masques des revenants sortent rappeler parfois violemment aux vivants les mythes essentiels qui définissent la distribution des rôles et la répartition des interdits, et hantent la nuit pour mater les non-initiés qui osent les défier. Vodûn et traite négrière participent d’une mémoire commune : la grande fête se déroule à la porte du non-retour. Le festival montre de nombreux documentaires sur les rites vodûn.
Ouidah, porte du retour : affranchis, les « Brésiliens », les Medeiros ou De Souza, qui portaient le nom de leur maître, reviennent et s’installent à Ouidah, apportant leur sens du carnaval et leur culture métissée. En amenant des films de partout, Quintessence s’inscrit dans cette logique de l’échange.
Le but : nourrir les analphabètes du 24 images seconde, lance Odoutan. Toujours provocateur, systématiquement dérangeant, il impose un style mais aussi une pensée : l’Afrique mérite la quintessence, pas les pacotilles de négriers ! Jusqu’au-boutiste invétéré, extrémiste de la culture, il veut pour son village le nec plus ultra : Ouidah sera le centre, le phare, le modèle. « J’ai une grande gueule parce que je voudrais qu’on ne soit plus des pantins, les négros de service ». Et dès la première édition, il lance tout à la fois : cinémathèque, école de cinéma, festival annuel, cinéma itinérant, production ! On pose les premières pierres avec les ministres bluffés et advienne que pourra : une façon de forcer la main aux bailleurs. L’argument ? Les jeunes. Ils sont tous là, par centaines, pour suivre les ateliers proposés le matin : écriture de scénario, cinéma d’animation, musique de film, prise de son. Tous bénévoles, des réalisateurs et techniciens renommés les animent. Les journalistes culturels sont conviés à un atelier de critique de cinéma et techniques de lecture d’un film. Une bonne occasion de les mobiliser pour la dynamique panafricaine d’Africine.org et de la fédération africaine de la critique cinématographique lancée à Carthage en novembre 2004.
Les jeunes, c’est le pétrole d’Odoutan : il veut les intéresser aux questions de cinéma. Pari gagné : tous ces cinéphiles en herbe seront les artisans de cette reprise en mains de l’image que permet le numérique. Ce sont tous des vidéastes potentiels, des agitateurs du 7ème art. Sur le modèle du maître qui n’hésite pas à leur faire miroiter Paname : « En France, je suis connu : il arrive que les gens me demandent des autographes dans la rue et que les filles m’embrassent sur la bouche », lâche-t-il sur sa lancée durant la conférence de presse devant les caméras des deux télévisions béninoises. La preuve : le 5 minutes de Sylvain Adjahossi produit par sa boîte Tabou-Tabac films basée à Ouidah, D’abord tes études, est sélectionné au festival de Berlin en février 2005 ! Le rêve est possible, il suffit d’en avoir l’énergie.
Dans une Afrique où la torpeur se nourrit de l’absence de perspectives, les jeunes voient en lui un espoir. Avec un père né sur les nattes d’une maison de terre battue à cinq kilomètres de Ouidah, Odoutan est un modèle de réussite et en rajoute volontiers : « Je suis allé dans des palaces un peu partout ». La passion rendra le rêve possible, le vodûn fera le reste. Et il faudra sérieusement invoquer les prêtres pour que l’école de cinéma voie le jour en septembre 2005, scoop de la cérémonie de clôture. Réservée aux bac+3 de tous pays, exigence de quintessence oblige, elle est annoncée comme calquée sur le modèle de la prestigieuse Fémis. Directement interpellé et sans en être prévenu, méthode Odoutan, le chef de cabinet du ministre la Culture promet les locaux de la maison de la Culture de Ouidah, effectivement délaissée. Et fait de la surenchère, reprenant l’invocation d’Odoutan : Ouidah peut devenir le pendant du Fespaco. Sacrilège. On peut supputer que l’anathème ne tardera pas, déjà annoncée par l’absence des réalisateurs burkinabè prévus, pourtant déjà munis de billets d’avion.
« La première fois que j’ai rencontré Jean Odoutan, dira le ministre de la Culture à l’inauguration en s’éloignant singulièrement de son discours obligé pour s’adapter à l’ambiance rigolarde et déchaînée, c’était dans mon bureau. Il m’a dit : « Monsieur le ministre, je vais vous amener au cinéma. Au début, je n’ai rien compris. Et je n’ai d’ailleurs pas fini de comprendre ! » Véritable taureau de corrida, Odoutan fonce dans le bailleur pour extirper les moyens de son projet total. Il agace mais fascine et n’obtient pas tout mais un peu. Il construit sur le peu. Le festival est à l’encan : tous sont mobilisés au maximum, le matériel de projection est là mais souvent déficient, l’organisation à la mesure de la petitesse de l’équipe de Noirs et de Blancs qui se donne sans compter. Et tout finit par fonctionner parce que l’ambiance est là. Pas le temps de s’ennuyer : les invités sont sans cesse entre le four et le moulin, les projections se succèdent, même si le temps est africain. Les coupures de courant qui obligent en l’absence d’onduleur à rechercher sur le dvd la place où on était sont acceptées sans sourciller : personne ne s’énerve, ce n’est pas dans l’air du temps, car tous intègrent le message : on fait avec ce qu’on a, c’est peu mais on le fait et ça existe !
Et effectivement, ça existe. L’ambiance est plus que chaleureuse : elle est comme un virus, tous sont piqués et plus personne ne dort, préférant le groupe et la fête. La fatigue, c’est pour plus tard. Quintessence est une expérience de survie dont on sort grandi ! Avec près de 40 000 spectateurs (on nous annonce un laborieux comptage à la clôture : 37 254 ! et on le croit puisque c’est bourré en ville), mais aussi avec les officiels, les bailleurs, les notables et sages de Ouidah, les réalisateurs et pros du 7ème art, Quintessence réussit le pari de la mobilisation. La sauce prend à l’arrache mais la mayonnaise à le goût du hors-norme. Face aux Monsieur Loyal de tous styles, Odoutan est l’Auguste qui attire la sympathie. « Mes actions sont loin d’être vaines » : effectivement, c’est sans doute ce genre d’initiative qui pourront accompagner la révolution numérique en insistant sur la formation et la cinéphilie. Non sans contradiction : l’exigence de quintessence, comme pour le futur Institut cinématographique de Ouidah, se contente mal des incertitudes de financement.
Il n’est pas sorti de l’auberge. L’agitateur Odoutan en dérange plus d’un, mais pose sur place à Ouidah les bases pratiques d’un cinéma enfin populaire au sens où chacun le prend en mains. Son talon d’Achille est son isolement. Son activisme le condamne à ne jamais baisser les bras. Courage !
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Palmarès
Python royal (grand prix long métrage) : Frontières, de Mostefa Djadjam (Algérie)
Python à la tête noire (prix du scénario long métrage) : Le Prix du pardon, de Mansour Sora Wade (Sénégal)
Prix spécial du jury long métrage : Tenja, de Hassan Legzouli.
Le jury long métrage était présidé par Dany Martin, avec Cheikh Ngaido Ba, Denis Gheerbrant, Jean-Marie Mollo Olinga et Béatrice Adjovi.
Python pygmée (court métrage) : Visa, de Brahim Letaïef (Tunisie).
Mention spécial à « La Dictée » de Meiji U Tum’si et Encouragements à « D’abord tes études » de Sylvain Adjahossi et « La Noiraude » de Fabienne Kanor
Jury présidé par Tola Koukoui et décerné par huit élèves des collèges et lycées de Ouidah.
Python papou (documentaire) : Closed District, de Pierre-Yves Vandeweerd (Belgique).
Prix spécial du jury : Après (un voyage dans le Rwanda), de Denis Gheerbrant.
Jury présidé par Mostefa Djadjam, avec Hassan Legzouli, Aïda Ndiaye et Olivier Barlet.
Python de children (prix long métrage du public) : Frontières, de Mostefa Djadjam (Algérie).
On peut lire la critique de tous ces films en suivant les liens.///Article N° : 3670