Les plasticiens africains à l’honneur à la Galerie Hussenot

Joël Andrianomearisoa, Romuald Hazoumé, Moshekwa Langa, Cameron Platter, Chéri Samba, Kura Shomali et Billie Zangewa.

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Du 12 mars au 23 avril 2011 est présentée à la galerie Hussenot une exposition collective de plasticiens venus du Bénin, de la République Démocratique du Congo, d’Afrique du Sud et de Madagascar. André Magnin et Eric Hussenot, les deux commissaires, ont choisi de rassembler des artistes dont les œuvres reflètent une infime partie de la création africaine actuelle. Un aperçu éclectique d’une scène aussi diverse que bouillonnante. Voici quelques notes sur les artistes présentés.

Joël Andrianomearisoa (né en 1977 à Antananarivo, Madagascar) a suivi une formation interdisciplinaire alliant l’univers de la mode, l’architecture et la photographie. Trois domaines de la création qu’il allie ingénieusement dans son travail plastique. Il utilise aussi bien le papier, les tissus, la photographie, la vidéo que l’installation ou la performance. Ses œuvres textiles ont un point commun : la couleur noire. Une couleur prédominante qui apparaît comme un fil conducteur dans sa réflexion plastique. « Pour moi c’est un vrai défi. Dans chaque voyage, chaque pièce, il faut que je trouve différentes couleurs du noir, différentes postures. Quand j’utilise le noir, ce n’est pas seulement la couleur. C’est une attitude, une posture qui n’exclut pas le reste. Cette récurrence dans mon travail peut paraître fermée mais elle ne l’est pas. Au contraire, elle tend vers l’universel. Le noir intrigue, dérange parfois, mais il est présent et fait sens partout » (1). Joël Andrianomearisoa travaille entre Paris et Antananarivo, depuis le début des années 2000 il expose à travers le monde, une œuvre poétique et esthétique, toujours en harmonie avec l’espace où elle est présentée. L’œuvre présentée à la galerie Hussenot est une pièce textile suspendue au plafond. Un rectangle noir flottant dans l’espace blanc, qui n’est pas sans nous rappeler une peinture de Pierre Soulage. Les tissus proviennent de Madagascar où ils sont fabriqués de manière artisanale et selon des pratiques traditionnelles. Entre tradition et modernité, les pièces textiles de Joël Andrianomearisoa forment un entre-deux inédit. Mode et art plastique fusionnent, créant ainsi une œuvre, dont les lectures plurielles et les différents niveaux de significations, s’affranchissent de toute forme de hiérarchie formelle.

Le travail de Romuald Hazoumé (né en 1962 à Porto-Novo, Bénin) repose sur une relecture et une réinterprétation de la culture ancestrale Yoruba (Nigeria) dont il est l’héritier. À partir d’un langage plastique traditionnel, il produit une œuvre extrêmement critique et politique à l’encontre non seulement des politiques africaines mais aussi des relations salies entre l’Occident et le continent Noir. « Je dénonce une Afrique, un monde, gérés par des roitelets corrompus qui volent, pillent, détournent, s’approprient, s’enrichissent en surexploitant le peuple. Je n’ai pas peur de le dénoncer. Aujourd’hui encore nombreuses sont les familles obligées de vendre leurs enfants pour survivre. C’est inacceptable. » Sculpteur, photographe, peintre, Hazoumé est un plasticien pluriel. Un élément est récurrent dans son travail depuis les années 1980, celui du bidon en plastique. Entre ready-made et recyclage critique, les bidons servent au transport de l’eau, de l’essence et autres produits chimiques. Romuald Hazoumé a réalisé une série de masques « tribaux » conçus à partir des bidons colorés, un contrepoint aux visions stéréotypées des cultures africaines. Les bidons sont le reflet de trafics en tous genres dont le continent souffre. Ils sont les débris d’un capitalisme outrancier au centre duquel l’Afrique est seulement considérée comme un puit de ressources à épuiser. Dans l’installation Elf, Rien à Foutre, la moitié d’une carcasse de voiture est comme encastrée dans le mur du lieu d’exposition, elle est submergée de bidons d’essence. L’artiste souligne ici l’exploitation par l’Occident des ressources énergétiques africaines et du non-partage de ses bénéfices. L’œuvre s’inscrit dans sa réflexion sur les nouvelles formes d’exploitation depuis l’esclavage.

La galerie présente également des peintures de Moshekwa Langa (né en 1975, Afrique du Sud) qui s’est fait connaître du grand public d’abord en Europe puisqu’il vit et travaille aux Pays-Bas. Dessinateur, peintre, sculpteur, photographe, Moshekwa Langa produit une œuvre riche. Il a marqué les esprits avec l’installation Temporal Distance, où sur le sol étaient disposées des centaines de bobines de fil, de tailles et de couleurs différentes. Les fils de chaque bobine étaient tirés et enchevêtrés, un maillage qui nous rappelle les drippings de l’artiste Américain Jackson Pollock. Les fils forment ainsi une cartographie absurde et surréaliste. La notion de cartographie est placée au cœur de sa pratique, qu’elles soient géographiques, poétiques ou psychiques, ses cartes personnelles évoquent les désirs, les envies et les frustrations du plasticien.

Cameron Platter (né en 1978 à Johannesburg, Afrique du Sud) a suivi une formation de graveur avant de devenir peintre et vidéaste. Dans un univers pop où se croisent les influences de la bande dessinée, la sculpture ready-made et les films d’animation expérimentaux, Cameron Platter apparaît comme un ovni créateur d’un langage plastique cynique, drôle et satirique. Il crée ainsi une œuvre prolifique à l’image de cinéastes comme Quentin Tarantino ou Michel Gondry, qui, comme Platter, mixent les références et superposent les niveaux de lectures engendrant un décalage critique pertinent. Le sexe joue un rôle moteur dans son œuvre, il dit : « Pour le monde, l’art sud-africain a toujours été un moyen de se documenter sur les races, la violence et les effets de l’Apartheid. Il est intéressant de voir comment le sexe, et comment il est perçu, a changé dans la démocratie. Le sexe nous amène à être tolérant et à nous ouvrir sur de nouvelles choses (2). » Au moyen d’une iconographie hallucinée et libérée, Platter décrypte les codes sociétaux et les mœurs sud-africains. À cela s’ajoute une critique acerbe de la surconsommation, qui est un moyen pour l’artiste d’interroger la société sud-africaine postapartheid, ses contradictions, sa beauté et ses incompréhensions.

Chéri Samba (né en 1956 à Kinto M’Vuila, République Démocratique du Congo) est une figure emblématique de la scène contemporaine non seulement congolaise mais aussi internationale. Il apparaît ici comme l’artiste à la fois référent et fédérateur grâce à une œuvre plus historique et explosive. Dans les années 1970, il s’installe à Kinshasa et devient peintre d’enseignes publicitaire pour d’abord gagner sa vie. Parallèlement il dessine pour la revue Bilenge des planches de bandes dessinées. Deux activités qu’il va traduire sur la toile quelques années plus tard. Au moyen de deux pratiques différentes, l’une qui est une stratégie commerciale et l’autre le dessin, Chéri Samba formule peut à peu un langage personnel et complexe. Sur ses toiles toujours colorées et attrayantes, figure les maux et les mots de la société africaine dans son ensemble. Il garde les codes de la peinture populaire : la simplicité du dessin, le texte et les couleurs en aplat. Toutes les problématiques y sont scrutées, politiques, sociales, sexuelles etc. Au fil du temps sa critique et son observation se sont étendues au monde entier. « Je ne suis pas un monument national mais un monument du monde parce que mon travail n’est pas seulement destiné aux Congolais. Je suis un observateur du monde et mon œuvre s’adresse au monde entier même si les cultures diffèrent (3). »

Après de courtes études de médecine, Kura Shomali (né en 1979 à Karanga, République Démocratique du Congo), entre à l’académie des Beaux-arts de Kinshasa et intègre ainsi une scène artistique effervescente. Il pratique le dessin, l’aquarelle, le collage ou encore le fusain. Shomali est l’un des membres fondateurs du groupe artistique Eza-possibles (4). Ses œuvres sur papier sont marquées par une urgence du trait à l’image de la vie à Kinshasa. « C’est la ville et ses composantes que j’essaie de digérer pour faire de l’art. Pas un art de recyclage à l’africaine mais un art qui est comme la vie. Le recyclage est une nécessité vitale pour la plupart des habitants de Kinshasa, pour moi, c’est cette ville et ses habitants qui nourrissent mon inspiration et mon travail. […] J’illustre le Songi Songi, ces rumeurs colportées par radiotrottoir qui sont les principales informations qui circulent dans les innombrables rues (5). » Sa production polymorphe et quasi boulimique retrace ses expériences personnelles, ses rencontres et ses influences artistiques.

Billie Zangewa (née en 1973 à Blantyre, Malawi) diplômée en gravure de l’université de Rhodes en Afrique du Sud, elle vit et travaille aujourd’hui entre Londres et Johannesburg. La gravure l’a amené à travailler les matières textiles et particulièrement la soie qui est son matériau de prédilection. Elle brode sur la soie des images et textes. L’artiste dit : « La soie a une qualité de reflet fabuleuse, mais en même temps, je pense qu’elle est très moderne et à la pointe de la mode […] Le tissu est aussi important en ce qu’il définit mon obsession de la mode et des surfaces […] La surface est aussi importante que la chose que vous mettez dessus. » Si l’artiste a choisi de représenter le cadre urbain et son expérience personnelle, Les portraits de personnes rencontrées, des paysages citadins, des hommages à des figures de l’histoire Noire comme Joséphine Baker etc. Au fil de ses œuvres raffinées et totalement contemporaines, Billie Zangewa nous livre son histoire et s’inscrit dans la mouvance féministe où le slogan « personal is political » résonne dans son travail. Grâce à ses aiguilles, elle parvient à nous faire entrer dans un univers à la fois intime et universel où la femme Noire reprend sa place.
L’exposition regroupe des pratiques artistiques extrêmement différentes où les thématiques critiques et politiques se rejoignent et interagissent. Mis à part Chéri Samba dont la carrière a commencé plus tôt, les autres plasticiens forment un aperçu de la nouvelle scène artistique africaine.

1. ANDRIAMIRADO, Virginie. « Joël Andrianomearisoa : Les Vibrations d’une Œuvre » in Africultures, avril 2008. En ligne : [ici]
2. YUAN, Di. « Interview with Cameron Platter » in Jia Za Zhi Magazine, septembre 2010. En ligne : [ici]
3. ANDRIAMIRADO, Virginie. « ‘Je suis un observateur du monde’. Entretien avec Chéri Samba » in Africultures, juin 2004. En ligne : [ici]
4. Voir : http://eza-possibles.over-blog.com/
5. SHOMALI, Kura. En ligne : [ici]
Exposition à la galerie Hussenot du 12 mars au 23 avril. 5 bis rue des haudriettes – 75 003 Paris. 01 48 87 60 81. http://www.galeriehussenot.com////Article N° : 10006

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Les images de l'article
Cameron Platter Unlock your Life Now Couretsy Galerie Hussenot. © Cameron Platter





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