Peter Lalande :  » Il faut se débrouiller et persévérer en trouvant des solutions pour continuer à publier ou à s’exprimer. « 

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Peter Lalande

De Saint Denis La Réunion, décembre 2009
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Le Seychellois Peter Lalande est une exception dans le paysage de la bande dessinée de l’océan Indien. Issu d’un pays peu ouvert au 9ème art, il compte à son actif, plusieurs publications diffusées localement dans de bonnes conditions. Rencontre avec un auteur de bande dessinée pour qui le simple fait de se considérer comme tel est déjà en soi un combat.

A quand remontent vos premières publications ?

J’ai commencé en 2005, avec le premier tome de ma série Zak qui est une auto publication comme tout le reste de mes travaux. On n’a pas le choix ici, il n’y a pas d’éditeur. Seul le tome 1 de Humour naturel, a pu être publié à La Réunion par l’association Terres créoles.

Comment vous y retrouvez-vous sur le plan financier en auto publiant vos albums ?

Je les tire à 3 000 exemplaires, aussi bien le tome 1 que le tome 2. Cela suffit. J’ai écoulé le tome 1 en six mois et le tome 2 en trois mois et demi. Ce qui reste pour un pays de 90 000 habitants une belle performance. Le tome 3 est attendu, j’espère le sortir bientôt. Quand on édite, on a l’appui du ministère de l’éducation nationale, aussi bien, pour les bibliothèques que les écoles qui en prennent déjà environ 1 500. Je suis donc assez optimiste pour le troisième volume qui sera intitulé The zombie maker. Il traite de la drogue donc cela devrait bien s’écouler car il y a pas mal d’agences internationales présentes ici qui luttent contre ce fléau et qui seront intéressées.

Essayez-vous de coller au marché ?

Non ! J’aborde ces thèmes par envie, d’abord et avant tout, afin de véhiculer des choses qui me tiennent à cœur avec humour et légèreté. Dans les deux premiers tomes, je traitais de la nature et de l’environnement, en particulier le second tome qui parlait de la vallée de mai et de ses coco-fesses (1). Certaines agences de voyage y ont vu un moyen de promouvoir le patrimoine écologique du pays et d’embellir son image. Mais le financement s’arrête aux coûts d’impression, pas plus. Pour moi, c’est une façon intelligente d’avancer tout en gardant ma liberté de création. Et puis aborder des particularités ou des problèmes sociaux d’un pays, c’est une démarche citoyenne qui me touche aussi.

Certains pourraient vous le reprocher…

Il faut se mettre à ma place. Ce pays n’a, je le répète, pas de maison d’édition et pas de culture de la BD. Je ne connais, en dehors de moi, qu’un seul autre dessinateur de BD dans le pays. Mais il ne veut plus rien faire ni produire, il a peur d’une absence de retour sur investissement. Et puis, ici, c’est un peu un désert. En ce qui concerne ce jeune dessinateur, par exemple, son modèle, c’est moi ! Donc, il faut se débrouiller et persévérer en trouvant des solutions pour continuer à publier ou à s’exprimer.

Comment se fait-il que vous ayez pu être publié à La Réunion ?

C’est une belle histoire ! Une amie réunionnaise trouvait dommage que je sois confronté à cette absence d’ouverture. Elle est allée voir ARS Terres créoles et son président, Mario Serviable, connu pour son engagement dans le soutien à l’édition régionale. Ils ont accepté de m’aider et de soutenir l’impression et la diffusion de l’ouvrage. Je ne sais pas si le livre a marché sur place, par contre, ici, les 500 que j’avais reçus sont tous partis, même si j’en ai gardé une centaine pour la promotion. Proportionnellement à la population, l’archipel des Seychelles est un très bon marché !

Avez-vous d’autres publications ?

Il y a un livre illustrant des paraboles de la Bible qui était dans mon tiroir depuis l’université. Quelqu’un de l’International bible society l’a lu et a adoré le manuscrit. Ils ont acheté le copyright pour la version en français, anglais et créole. Cela m’a fait du bien, car j’aimerais vivre de ça, de la création. Me consacrer entièrement à la BD et pouvoir en vivre. Par exemple, je fais des BD sur l’ordinateur pour apprendre l’alphabet. C’est pour le plaisir, pour mon fils, aussi.

En attendant de pouvoir vivre de votre art, exercez-vous une autre activité ?

Je suis fonctionnaire. Je travaillais aux archives nationales jusqu’en 2008 en tant que directeur général. Maintenant, je suis au National Cultural Heritage, toujours comme D.G. Cela me prend toutes mes journées, évidemment, mais le reste du temps, je travaille et je crée. En octobre 2008, j’ai exposé des planches grand format à l’Alliance française. Le thème tournait autour du patrimoine. L’exposition intitulée Affaire de familles a bien marché et les planches se sont bien vendues.

Vous faites du dessin depuis longtemps ?

Comme tout le monde qui fait ce métier-là, depuis l’enfance. Je dessinais partout. Sur des feuilles papiers, bien sûr, quand j’en trouvais, mais aussi dès qu’il y avait un espace blanc, je faisais des lignes, j’essayais de représenter des mouvements. J’étais très seul, c’était mon monde. Plus tard, j’ai beaucoup fréquenté le Centre Culturel français, devenu depuis l’Alliance française. Je me perdais dans la section BD, pour moi c’était une forme d’évasion. J’étais très pauvre et bien incapable d’acheter des BD, alors, je pouvais goûter à tout ça librement. J’inventais, je voyais des choses là où personne ne voyait rien.

Comment, dans un tel environnement, arrivez-vous à progresser, à vous enrichir artistiquement ?

Toutes les occasions sont bonnes pour faire des rencontres, pour entrer en interaction avec d’autres. À Saint Denis par exemple, à l’occasion du 6ème Festival international du livre et de la bande dessinée (2), j’ai découvert un milieu très sympa. J’ai pu animer un atelier face à une classe avec Jo Pirelli, un grand artiste, cela m’a énormément apporté. J’ai été attentif à tous les ateliers qui se sont déroulés durant ces cinq jours. J’ai un fort désir d’apprendre car je connais mes limites. Cela ne me dérange pas.

Quels sont vos projets ?

J’ai un projet pour un travail avec des ombres, quelque chose qui intéresserait une maison d’édition, d’ailleurs. Il y a le tome 3 de Zak, dont j’ai déjà parlé, le volume 2 de Humour naturel, qui est prêt, un titre : Rions de nous que j’ai retravaillé. Et puis, le ministère de l’Éducation nationale envisage de produire une histoire des Seychelles en BD, projet qui me tient à cœur. Il y a aussi l’idée d’un carnet de voyage sur le même mode que la série des Gaston. Je viens de lire le Gaston à La Réunion, pourquoi ne pas le faire pour Les Seychelles ? Et puis j’ai aussi d’autres choses sur le feu, dont un livre de jeux sur Les Seychelles pour les touristes, avec des questions sur la culture, la gastronomie, l’histoire… Mais, encore une fois, tout cela dépend des sponsors…

On sent que vous avez un rapport un peu particulier à votre pays…

Incontestablement, Les Seychelles sont un frein à ma créativité, à mon évolution. Mais en même temps, j’aime mon pays, j’y suis à l’aise, c’est de là que je viens et je lui dois aussi ce que je suis. Je navigue dans cette eau, et j’y suis à l’aise, j’ouvre des portes. Mon fils, inconsciemment, m’aide beaucoup pour ça. Il me montre des choses que je ne vois pas, par exemple. C’est ma vie !

Comment êtes-vous perçu dans votre pays ?

J’aime que les gens m’associent à ce que je fais. Historien de profession, bédéiste par passion. C’est encourageant quand les gens m’appellent  » le bédéiste « . Malheureusement, je suis un peu seul, il est vrai qu’il n’y a guère d’opportunités de développer ses talents. À l’école, il y a des cours de dessin, mais le travail n’est pas valorisé et peu payé. Beaucoup d’enseignants ne continuent pas le métier et préfèrent trouver un autre boulot. Par contre, les artistes vivent assez bien dans le pays grâce au tourisme… Mais pour la BD, c’est différent, les opportunités sont mineures. Mais c’est également le cas pour la littérature pour enfants qui possède peu de possibilité de développement hormis par le biais du ministère de l’Éducation et de l’Institut créole (3). Globalement, il y a peu de débouchés, car peu d’investissements, peu de moyens. Quand les livres sortent, il y a deux ou trois illustrations par ouvrage, pas plus. Je rêve de vrais livres pour les enfants, faits de façon professionnelle. Colette Gillieaux (4) le fait, j’ai vu son dernier titre, Bonfam larivière, mais elle doit tout faire, et c’est épuisant.

Connaissez-vous dans ce contexte des périodes de doute ?

Non, au contraire ! Comme tout est vide, il faut d’abord se trouver et être déterminé. En partant de pas-grand-chose, on apprend beaucoup, on acquiert une grande liberté de création et on touche à beaucoup d’aspects artistiques. Tout cela est vivifiant, non ?

(1) Nom donné du fait de sa forme au fruit du cocotier de mer, un arbre-palmier originaire des Seychelles
(2) La 6ème édition du Festival international du livre et de la bande dessinée a eu lieu du 9 au 13 décembre 2009
(3) L’Institut créole est chargé de la défense et de la promotion de la langue créole seychelloise dans le pays.
(4) Colette Gillieaux, psychologue pour enfants, a dirigé Koksinel, principale revue pour enfants du pays, durant 10 ans. Elle écrit également des livres pour enfants.
Depuis décembre 2009 :
Peter Lalande continue à travailler sur le tome 3 de sa série Zak. Il a également illustré des brochures pour le Seychelles National heritage disponible sur toute l’île.
Il sort Humour des Seychelles chez l’éditeur réunionnais Des bulles dans l’océan en avril 2011.
Peter et Jennyfer Lalande ont tenu une seconde exposition en novembre 2010 à l‘Alliance Française des Seychelles, Affaire de famille bis.///Article N° : 10187

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