Les Recluses

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Les Recluses, commandée par le Théâtre Varia de Bruxelles, a été écrite et créée par Koffi Kwahulé et Denis Mpunga à la suite d’un voyage au Burundi où ils ont rencontré et recueilli les témoignages de véritables recluses, bannies parce que souillées par le viol. Pendant plus d’une décennie de guerre au Burundi, les femmes ont été violées par des combattants des mouvements rebelles ainsi que par des soldats du gouvernement. Cette pièce quasi-documentaire, clairement opposée au sort réservé aux femmes lors des guerres en Afrique comme en Occident – on se souvient de la Yougoslavie – se veut un espace et un temps de parole, de réconciliation et d’espoir face à un passé honteux et culpabilisant. Koffi Kwahulé est peut-être ce « il » venu animer l’atelier des Recluses, cet auteur exilé et en perpétuel mouvement « qui est parti et qui n’est jamais arrivé » et qui leur offrit une forme proche de l’art-thérapie dans lequel chacune avait la possibilité d’exprimer ou de rejouer leur tragique histoire.

« Aujourd’hui je fais partie du groupe de
ces femmes recluses en elles-mêmes que
celui qui est parti et qui n’est jamais arrivé
essaie de guérir par la parole  »
Les Recluses, Koffi Kwahulé

Choisir un tel texte n’est pas anodin, la Compagnie La Troup’Ment – Le Théâtre du Risque qui a déjà monté Blue-s-cat et qui s’attellera prochainement à Des Yeux de verre de Michel Marc Bouchard a un intérêt particulier pour ces textes qui traitent des difficultés que rencontrent les femmes et notamment du viol : « Ce qui m’inspire ce sont les femmes, je m’engage aux côtés des femmes » précise le metteur en scène Sébastien Geraci. Une certaine sensibilité les caractérise donc et l’adaptation faite des Recluses en témoigne. La force de la mise en scène revient à ce travail collectif effectué avec les comédiennes dans l’adaptation du texte et bien sûr dans la justesse et la force du jeu. Elle tient aussi au travail et à la réflexion menés autour de la place du comédien sur scène.
En effet, leur travail s’est d’abord tourné vers le texte : « Il fallait trouver notre traduction personnelle, notre rythme, il y a des notes qu’on n’a pas jouées, volontairement, parce que Koffi Kwahulé le dit lui-même, il faut s’approprier les choses ! C’est pourquoi, par exemple, la scène « Bal masqué » a été transformée en « New York », c’est un clin d’œil… Nous savions que l’auteur avait terminé d’écrire le texte à New York et cette scène reflète les questions sous-jacentes, celles que nous voulions aussi aborder comme : Nous, occidentaux, en temps de guerre, serions-nous/sommes-nous encore capables d’aller aussi loin ? D’autres moments aussi, comme l’injection de drogue… »
Au niveau de la scénographie, l’espace est dessiné entre, en avant-scène, une rangée de fauteuils de cinéma dos au public ; en fond de scène un rideau de plastique transparent au-dessus duquel sont projetés les titres des scènes et au centre un espace sur lequel un praticable à roulettes permet aux recluses de mettre en scène leur confession. Le jeu tient quasiment tout le temps de la mise en abîme, les recluses se mettent en scène, se projettent dans leur passé ou dans celui de leur amie dans un jeu où la frontière est mince entre le réel et le théâtral.
Un espace visuel renforcé par : les costumes originaux, pulls à col roulé et pantalons sombres pour les femmes alors que les hommes, joués par les amatrices, sont vêtus de salopettes blanches au tour de taille disproportionné ; ce sont aussi les étranges échassiers montés les uns sur les autres ; ou le maquillage inscrivant de profondes larmes sur les visages ; comme les masques et le personnage « cheval » ; ou encore la sobre efficacité de la création lumière et la musique particulièrement travaillée à la manière d’une bande originale de film ; enfin les codes manuels qui donnent une dimension supplémentaire au jeu des comédiennes et matérialise le débat sur les questions de manipulations. Autant de procédés qui témoignent du rôle important du visuel qui d’après Sébastien Geraci : « […] s’explique par le fait que nous voulions donner l’idée de cette part de vérité, dont parle Gilles Mouellic dans la préface de Blue-s-cat : inventer sans filet sa propre lecture, avec pour seul objectif d’en révéler une part de vérité ». C’est-à-dire donner une lecture, à partir de notes choisies pour transmettre la part de vérité qui semble la plus palpable ou forte et la plus proche du message que l’on veut transmettre : « Nous avons recentré l’histoire sur un personnage qui n’est pas dans l’histoire et qui s’entend dans Geisha ». Des variations sur un même thème qui à la manière du jazz permet au créateur de s’approprier la musique, ici le texte et de composer un message personnel, sa part de vérité.
Finalement, cette 15e création de La Troup’Ment – Le Théâtre du Risque, Les Recluses est un spectacle à tout point de vue maîtrisé par ses créateurs pour le bonheur du public. Une création qui ne peut se résumer à quelques notes journalistes mais que vous pourrez retrouver du 06 au 9 octobre au Petit Théâtre de Grenoble (CREARC), à 20 h 30 et 17 heures le dimanche.

Plus d’information sur la compagnie La Troup’Ment
[ici] et [ici]
et sur le CREARC [ici]
Les recluses par la Compagnie La Troup’Ment – Le Théâtre du Risque
Avignon off 2011
Chapiteau Théâtre Fou///Article N° : 10409

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