Le Mois de la Photo à Madagascar

SAR'nao 2011, une édition axée sur la formation

Entretien de Marian Nur Goni avec Ange Rasolonindrina, administratrice de SAR'nao 2011
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Longtemps resté en sommeil, puisque sa première édition avait été créée en 1994, le Mois de la Photo à Madagascar renaissait de ses cendres en juillet 2010 sous le nom de SAR’nao. Pouvez-vous retracer l’historique de cette manifestation ?
Le Mois de la Photo a effectivement vu le jour en 1994, sur l’initiative des membres de l’association TIF’Image. L’événement était destiné à être annuel, mais cela apparemment n’a pu se faire.
Cependant, en 2005, un autre événement photographique d’envergure internationale avait été lancé : il s’agissait de Photoana, la biennale de la photographie, sous la houlette de l’association ARA SARY. Elle a également eu lieu en 2007 mais n’a pas été rééditée depuis 2009.
C’est là que l’association AS’ART a pris l’initiative de remettre au goût du jour le Mois de la Photo avec en tête un objectif premier : mettre en place un événement annuel pour apporter aux jeunes photographes malgaches un tremplin qui leur permettrait d’accéder à des expositions ; de communiquer et d’échanger, tout aussi bien sur le plan technique qu’artistique, avec des photographes professionnels malgaches et étrangers.
Nous souhaitions également nous ouvrir à d’autres pays. Ainsi, cette année, avec l’aide d’Aline Payet, responsable des Coopérations culturelles Réunion – Madagascar – Afrique Australe et Océan Indien, nous avons été mis en contact avec Nathalie Gonthier qui travaille au FRAC de la Réunion et qui a relayé notre appel à candidatures à l’Île de la Réunion. Deux photographes réunionnais, Bastien Brillard et David Lemor, ont ainsi été sélectionnés pour une exposition collective ayant pour thème « La ville dans tous ses états ».
Autre exemple de collaboration : l’association ARA SARY, cité précédemment, nous a prêté gracieusement des cadres.
SAR’nao apporte en fait une ouverture à tous, et se pose en quelque sorte comme « découvreur » de nouveaux talents dans le domaine de la photographie en tant qu’art, tout en travaillant la transversalité afin de favoriser les échanges entre les artistes de disciplines différentes.
En même temps, il faut savoir qu’à Madagascar, très peu de photographes vivent vraiment de ce métier, nombreux sont ceux qui exercent une autre profession : grâce aux rencontres et aux échanges, cela a créé une synergie formidable qui a amené certains d’entre eux à se constituer en collectifs tels Oxygen Niouz et D-Cliq Art, afin d’essayer de vivre de ce métier.
Comment le bilan de l’édition 2010 a-t-il influé sur les choix qui président à ce nouvel événement ?
Tout d’abord, ce qui a influencé le plus l’édition de cette année, c’était la demande des photographes : elle portait particulièrement sur la question de la formation. Sur la pratique même de la photographie.
C’est en ce sens que l’Institut français de Madagascar (IFM) (1) a pris en charge la venue d’un formateur, Pascal Grimaud, qui a apporté aux jeunes sélectionnés son expérience et les a guidés dans le montage d’un projet photographique. Sur vingt postulants, dix ont été retenus : tous sont des photographes amateurs (2).
Ainsi, une exposition de restitution des travaux a été mise en place à l’Alliance française de Tananarive lors du Mois de la Photo. Et nous leur avons demandé de préparer une exposition collective sur un thème de leur choix qui, j’espère, aura lieu début 2012.
Des ateliers en techniques de prise de vue et retouches ont été proposés également avec des intervenants malgaches : Rijasolo et Mamy Andrianasolo ont piloté le premier, Faly Rakotoarivony s’étant chargé du second.
Par ailleurs, des conférences-débats, qui ont eu lieu à l’IFM, ont porté sur les droits des photographes et le photojournalisme.
La conférence sur les droits des photographes avait, comme intervenants, le directeur et le responsable juridique de l’Office malgache des droits d’auteur (OMDA) : ils ont expliqué les différents droits liés au travail d’artiste/auteur et ont proposé la mise en place d’un syndicat de photographes. Les questions ont surtout porté sur l’application de ces droits et sur la faisabilité de la mise en place d’une charte sur la photographie à Madagascar.
Daniel Rakotoseheno – Dany Be (le doyen des photojournalistes malgaches) et Fabrice Delannoy (photojournaliste français résidant à Madagascar) ont, quant à eux, animé la conférence qui portait sur la crise du photojournalisme et les problèmes pouvant être rencontrés dans l’exercice de cette profession (manque d’effectifs et, par conséquent, insuffisance de couverture d’événements et d’investigation, mauvaise rémunération, censure, utilisation des photojournalistes comme des outils de communication pour certaines institutions, les questions de déontologie…).
Tout était à retenir ! Des travaux ont eu lieu dans la foulée pour la mise en place d’un syndicat des photographes pour que, justement, ils puissent revendiquer leurs droits. Quel est le public de SAR’nao ? Avez-vous mis en place des dispositifs particuliers pour aller à la rencontre du public ?
Le public de SAR’nao est très éclectique. Cependant, nous avons une majorité de jeunes cadres et d’étudiants. Il n’y a pas eu de dispositifs particuliers pour attirer un public plus nombreux, toutefois les expositions ont eu lieu sur quatre sites bien connus : l’hôtel Le Louvre, l’IFM et le Cercle germano-malgache.
De quel budget dispose le festival ?
En subventions, le festival dispose de 4 000 euros octroyés par le projet du FSP – ART MADA 2, si l’on compte les valorisations diverses (mise à disposition des salles, prix, prises en charge de formations et de l’hébergement des artistes), l’on atteint environ 15 000 euros.
Est-ce que votre association ou le Mois de la Photo « nouvelle version » cherchent aussi à valoriser le patrimoine photographique très riche de l’Île, ou l’attention est-elle uniquement portée sur la jeune génération et l’aspect formation ?
Le Mois de la Photo cherche effectivement à valoriser cet important patrimoine photographique. Nous faisons connaître au public les photographes malgaches anciens, notamment par le biais d’expositions d’archives, à l’instar de celles du photographe Émile Rakotondrazaka (dit Ramily). Pour cela, nous travaillons avec l’agence ANTA (organisme national qui archive les photographies d’époque, dont la véritable appellation est Taratra), avec le Centre d’Information et de Documentation du Parc Botanique et Zoologique de Tsimbazaza (CIDPBZT) qui gère le « fonds Grandidier », ainsi qu’avec des particuliers : les parents des photographes qui nous permettent d’utiliser les photographies et de les replacer dans leur contexte. Actuellement, nous sommes justement dans la phase de collecte.
D’autre part, nous avons remis en place, cette année encore, un « studio ambulant ». Le photographe, Jules Andrianarijaona (3), réalise les prises de vue et les tirages à l’ancienne devant un public qui se prête au jeu en se faisant tirer le portrait. L’idée est justement de ne pas laisser mourir cette méthode en enseignant aux jeunes cette vieille technique.
L’aspect formation est vraiment important car, comme nous n’avons aucune école de photographie, tout est à prendre. Et il n’y a pas que les jeunes qui sont intéressés !
Nous avons des demandes émanant de personnes plus âgées qui ont les moyens d’acheter de bons appareils, mais qui n’ont aucune technique. Des gens qui ont vraiment envie d’apprendre et de pratiquer un art.
Grâce au Mois de la Photo, nous avons constaté que plusieurs jeunes filles/femmes sont en fait intéressées par la photographie. Activité qui, à Madagascar, est surtout pratiquée par les hommes. Étudiantes, agentes administratives, couturière, chargée de communication… La photographie est pour elles une vraie passion. Elles n’en vivent pas encore, mais comptent bien y arriver !
Les images qu’elles nous montrent sont le reflet de ce qu’elles voient et – ceci est mon appréciation personnelle – avec une perception différente de celles des hommes. Une autre sensibilité, quand bien même elles travaillent sur le même thème qu’eux. En plus, il y a le « défi » de s’imposer dans le milieu. D’ailleurs, c’est une fille, Fandresena Ranaivo, qui a remporté le Grand Prix SAR’nao 2011 dans la catégorie « Art an-tsary » (L’Art en images) avec une série réalisée autour de la silhouette d’une danseuse. Cette jeune fille de 22 ans était déjà deuxième du concours « Art urbain » l’année dernière.
Pour l’année prochaine, nous leur avons proposé d’organiser une exposition collective, intitulée Photografilles de Mada. Le thème est encore à déterminer, et nous ne savons pas si elles seront toutes partantes ou non. Et, surtout, ce projet pourra-t-il être porté par SAR’nao ou faudra-t-il le mener indépendamment ? Ce qui est très encourageant, c’est que leurs homologues masculins reconnaissent leur talent et échangent avec elles sur le plan technique.

1. Ex Centre culturel Albert Camus (CCAC).
2. Il s’agit de Andonavalona Rabehanta, Haingoniony Viviane Rakotoarivony, Hoby Ratsimbazafy, Solohery Rasamimanana, Falihery, Tony Rasolonindriana, Tony Andrianjafitsara, Lofo Rabekoriana, Tolojanahary, Andriamparany Ranaivozanany.
3. Lire l’article que Jessica Oublié a consacré en août 2010 à ce photographe et à ces séances de prises de vue, Jules Andrianarijaona ou « M. photo à la minute » : [article 9609]
///Article N° : 10433

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Les images de l'article
Participants à l'un des ateliers de formation (montage d'un projet photographique et traitement d'un sujet)
Exposition Nature et biodiversité à l'IF
Exposition Art an-tsary, à l'hôtel Le Louvre
Photographie faisant partie de l'exposition collective Art an-tsary Mihary Andriamampianina est le lauréat des expositions collectives du festival © Mihary Andriamampianina
Force et action, exposition individuelle sur le photojournalisme © Mamy Rael
Destination Madagascar, sélectionné dans l'exposition collective Photomontage © Rabetanety





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